American Nightmare - Rafa

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American Nightmare

31-07-2018

Il fait nuit et je me tourne vers mes colis en posant un doigt sur ma bouche pour leur intimer le silence. Ce soir je me coltine une mère et ses deux gosses, un accroché à sa jupe - littéralement - je lui donne environ six ans, et un autre petit à bras, il doit avoir deux ans. C'est lui qui geint et je retiens un soupir. Ça va être chaud de passer par le mur mais on n'a vraiment pas le temps de se taper le grand tour. La mère est jeune, n'a pas l'air mal dégourdie, j'imagine que je pourrais lui balancer ses mioches de l'autre coté. Je l'ai déjà fait, c'est juste que c'est pas une partie de plaisir, sinon on ne me l'aurait pas confiée. Les gamins ou les jeunes hommes c'est plus facile - en tout cas rapport à leur condition physique, mais au moins celle-ci la boucle et obéit.

Après une longue marche dans le noir, à la lueur du ciel, on arrive au mur. Ici c'est une grille surmontée de barbelée. Je passe d'abord, escalade à moitié en m'arrêtant en haut et je lui fais signe de poser le bébé et de grimper. Elle refuse d'un signe de tête. Jebote de... Je soupire et je réfléchis, perché en haut avant de redescendre. Mon espagnol est très sommaire. Je prends le bébé qui chouine et d'un geste de la tête, je montre le mur à la mère. —toi monte. On va pas y passer la nuit, si ? Elle me dévisage, me dit quelque chose que je comprends pas et finalement comme je ne bronche pas, elle grimpe. Alléluia. Je hisse le mioche pour lui passer, puis je grimpe pour le récupérer. La mère passe de l'autre coté, et je descends le bébé. Ensuite seulement, je vais chercher le gamin qui attend en espérant sans doute qu'on le laisse pas là. Je le hisse à son tour en lui faisant un geste —Allez, va Surtout qu'un bruit me fait tourner la tête et je souffle, brusquement inquiet —vite

Ça fait déjà quelques jours qu’elle le traque. C’est pour ça que Rafa a fait Marshall. Et aussi chasseuse de prime. La chasse, c’est son adrénaline personnelle. Et clairement, les humains, c’est tellement plus amusant que les animaux. Son boulot de détective, ça lui permet de retrouver ce frisson qui lui manque tant.
Cachée dans une anfractuosité, ses coudes sont posés sur Dakota qui lui sert de coussin. Elle ronronne doucement, pas très impressionnée par cette longue attente.
Avec une petite torche, Raphaëlle regarde la photo qu’on lui a refilé. Elle est vieille et clairement abimée. Y a même un trou de cigarette sur un bord. Le mec doit vraiment lui en vouloir. Même si elle n’a pas vu son employeur, le commanditaire lui a filé une liasse assez épaisse pour qu’elle ne pose pas de questions. En vrai, elle ne pose en général que le strict nécessaire. Mais pour une fois, ça a éveillé sa curiosité.
Elle espère que le type qu’elle traque soit bien le même. Il a quelques années de plus, qui se voient sur le visage. Du moins, elle le devine avec ses lunettes à vision nocturne. Elle déteste ces saloperies. En plus, avec son budget, c’est quand même de la camelote. Elle voit les mouvements mais le moment venu, ce sera mieux de lui foutre la torche dans la gueule.

Elle attend près du mur. Hors de question de le suivre de l’autre côté. Trop risqué. Une silhouette arrive, bien trop petite et frêle. Les lunettes la font rager. Promis, avec une vraie prime, elle en achètera de meilleures. Ok. Avec cinq ou six primes plutôt. Les mouvements ont réveillé Dakota qui émet un grognement et se redresse sans attendre l’avis de sa maitresse qui retient un soupir. Même loin, avec ce silence quasi absolu, alors qu’il n’y a pas un brin de vent ni un bruit d’animal pour couvrir ses pas, elle se fait discrète.
Déjà son sang bouillonne et elle jubile de plaisir. L’intermédiaire l’a prévenu. Une arme est nécessaire. Il est peut-être dangereux et il vaut mieux être prudente.
Pourquoi diable on lui a demandé à elle de s’en occuper alors ?

Les mouvements sur le mur ont cessé. Elle jure intérieurement en comprenant qu’il y a des gosses. Menacer un gars, c’est pas un problème pour elle. Mais devant des gosses, y a des limites. Sauf qu’elle va pas attendre de savoir ce qu’il va faire de sa… « marchandise ».
Bon, tant pis pour les marmots. La prime est trop alléchante. Elle pourrait acheter de quoi retaper le toit. Pas la grande classe mais ce qu’il faut pour isoler.

Dak, traque.

Immédiatement, le bobcat, ventre à terre se précipite vers les cibles. L’animal est assez intelligent pour foncer directement vers ce qu’il y a de plus dangereux. Raphaëlle, avec son fusil, tire aux pieds du gars et gueule :

« bouge plus ! »

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Le môme est agile, léger, et je le propulse sans mal en haut de la barrière. J'ai le regard tourné vers la nuit, une mais agrippée à une des barre métallique près à me hisser à mon tour quand une ombre se détache dans la nuit. J'entends un feulement qui me décide à bouger mais je n'ai pas le temps d'esquisse plus qu'un geste de traction quand un coup de feu suivi d'un avertissement me décide à ne pas bouger. Je lève la tête vers le haut de la barrière où le gamin reste figé. Saute, tire-toi. Je ne sais pas s'il comprend l'anglais ou si c'est seulement mon ton qui le fait réagir mais il saute souplement de l'autre côté et coure vers sa mère qui a déjà reculé dans la nuit. Ils sont aux USA mais s'ils se font chopper maintenant, je ne donne pas cher de leur avenir. Mais je ne peux plus rien pour eux et mon regard se tourne vers mon problème.

Je pose les yeux sur l'espèce d'animal qui me regarde comme s'il allait faire de moi son quatre heures, j'ai cru que c'était un chien, mais non, c'est plutôt un puma, puis j'englobe la scène, la silhouette féminine qui commande visiblement à l'animal, et surtout mes options de fuite. Maigres. Je n'ai pas envie de ma faire trouer la peau. Je lâche la grille pour écarter lentement les mains, même si je n'ai même pas d'arme. J'ai laissé le Glock à Nina, comme tous les soirs, parce qu'elle rentre seule au campement la nuit, et que je veux qu'elle ait au moins ça. Je passe ma langue sur mes lèvres. —hé, trop tard ils sont passés... On peut s'arranger. Coté Mexicain, on peut s'arranger avec un guardian, surtout s'il est seul. Ils rechignent rarement à un pot-de-vin. Je veux bien lui filer toute ma thune du passage de ce soir, je n'ai d'ailleurs pas plus. Mon accent rocailleux d'enfant de l'est est trop prononcé, mon espagnol bancal et de traviole. Si elle baisse son arme, est-ce que j'ai une chance ? J'en doute, avec le puma, ça complique. Si je grimpe pour me mettre à l'abri, elle aura le temps de me tirer dessus. Si je courre, le puma va me rattraper. Il faut que j'attende une meilleure opportunité, que je négocie.

Rafa s'extirpe calmement de sa cachette et avance, prend son temps. Pas de faux pas. Il suffit qu'elle regarde ailleurs un instant et vu la carrure du type, il tentera surement quelque chose. À sa place, c'est ce qu'elle ferait. Et si Dakota est puissante et rapide, ce n'est pas non plus un tigre. C'est un très gros chat, rien de plus.
Elle a de la chance que la nuit soit super lumineuse. Il est con. C'est super risqué de faire le voyage cette nuit. Un putain de passeur. Une saloperie qui se fait de la thune sur la misère du monde. C'est abjecte dans la conception de morale que la détective possède. Il a de la chance qu'elle soit pas, enfin plus des feds. Elle a d'ailleurs une pointe de regret mais elle peut pas refaire le passé, pas vrai ? Et puis elle est déçue. Personne ne tente de s'enfuir. La femme ne bouge pas, elle semble tétanisée, jusqu'à ce que Rafe arrive à leur hauteur.

Personne ne bouge.

La nana bégaye en espagnol. Elle s'y connaît un peu. Elle sait commander des bières au bar quoi. Mais bon, elle atteint vite sa limite de compréhension. Elle tente de lui dire de pas s'inquiéter mais bon, hormis le « tranquilizate », qui est tout sauf rassurant, elle sait absolument pas quoi lui dire. Et pas question de baisser son arme devant un passeur. Il est probablement armé, comme tous ces fumiers, et il pourrait vouloir tirer, ou prendre le gamin en otage. Zéro confiance.

Ouai ouai. Tengo hambre aussi ouai. Embarasada ? Ouai moi aussi à ta place j'serais embarasada de la situacion !

Ses yeux se posent sur les gosses. Le plus petit commence à s'agiter dans les bras de sa mère. La tension nerveuse de cette pauvre femme doit être perceptible à des kilomètres à la ronde. Et si Raphaëlle a bien des défauts, elle manque pas de cœur. Ce qui l'intéresse, c'est le gars, pas cette pauvre femme qui a dû probablement vendre tout ce qu'elle avait pour se retrouver là. Elle inspire profondément en cherchant une solution mais y en a qu'une pour sa saloperie de conscience. Merde, merde, et remerde !

Ok. Ok ! On les ramène dans un coin sûr près de la ville. Ensuite tu me suis.

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Quand on finit par se rapprocher, chaque groupe à deux mètres de l'autre dans une réplique de la scène finale du Bon la Brute et le Truand, je peux jauger la fille au bout du fusil. Je vois mieux l'animal aussi. Au discours de la fille, à son équipement aussi, je comprends que ce n'est pas une guardian - elle parle trop mal espagnol pour ça - ni une fédérale américaine. Elle n'a pas répondu à ma proposition de fric, je cille d'incompréhension face à une situation dont les codes m'échappent.

Dans un premier temps, j'obtempère pour endormir sa vigilance. Je prends la direction de la ville où je devais amener la femme et ses gamins. Subtilement, mon pas se ralentit, je me tourne à demi pour observer la fille et tenter à nouveau d'engager la conversation. —Et où j'te suivrais ? Ce que je veux, c'est pouvoir choper son arme. Si elle m'offre une opportunité d'ici la ville. C'est pour ça que je réduis la distance entre nous, peu à peu. Sinon, dans la ville, j'essaierais de la semer dans les rues, ça devrait pouvoir se faire. Il va falloir que je me débrouille avec sa bestiole, tant pis. La fille est prudente, quand je réduis la distance, elle la remet entre nous, à moins de lui sauter dessus et de me prendre une balle, ça va être chaud. Mais si vraiment, je suis prêt à prendre le risque. Ça dépend de ce qu'elle me veut. Franchement, j'en ai aucune idée, je ne suis pas là depuis assez longtemps pou m'être fait de sérieux ennemis. Je stoppe brusquement ma marche, écarte les mains en signe de paix en lui faisant face —qu'est-ce que tu m'veux à la fin ? J'te connais même pas !

Il doit la prendre pour une buse. Ou une fragile. Ou il la croit pas capable de le buter. Rafa ne fait pas la conversation. Inutile. La nana capterait rien, elle est pas super à l'aise avec les gosses, de nature, et quant au gars, c'est sa proie, elle est pas venue pour copiner.
Il arrête pas de vouloir réduire la distance entre eux. Genre ! On lui a jamais fait le coup de tenter de la désarmer. Elle a plein de petites cicatrices, ici et là, de mecs qui ont plus ou moins réussi à la planter en réduisant bien trop la distance. Et spoiler alert : se faire planter, c'est hyper désagréable.
Mais Raphaëlle ne bronche pas. Elle se contente de remettre une distance entre eux, ce qu'il faut pour le garder en joue et pas trop près pour éviter les gestes brusques. En plus il a l'air de se méfier de Dakota, mais un bobcat ne suffit que rarement.

On va les laisser aux abords de la ville. Toi et moi, ensuite, on va faire une balade au clair de lune. P'tit veinard !

Pas folle la guêpe. Elle a laissé sa vieille jeep puante et moisie, vieux souvenir d'une vie passée, pas loin de là où ils s'approchent. Elle ne compte pas rentrer à pied en ville ou au campement, en tenant en joue un gars qu'elle ne connait pas et dont elle ignore s'il a des alliés ou des protecteurs. Jamais la femme ne parlera, elle aura trop peur des autorités. Mais si quelqu'un d'autre les voit...

Rafa daigne, enfin, répondre à la question. Elle sort de sa veste avec précaution la photo de lui qu'elle lance au type. Le pire c'est qu'elle connait pas son nom. On lui a donné des infos de base. D'où il vient. Où il est supposé se trouver. Ses activités présumées. Mais pas de nom, pas de passé. Et juste une photo.

T'as pas besoin de me connaître, alors que des potes qui voudraient te voir mon chou et qui payent vachement bien te retrouver.

Des potes parce qu'elle sait même pas non plus à qui elle va le livrer. Mais au pire, un passeur, ça mérite pas trop de compassion. Sa conscience sera pas trop souillée.

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Je tente l'ironie, mordante, qui ressurgit malgré moi. Allez Kovács, on se motive, tu vas pas te laisser avoir si facilement. Je secoue la tête négativement en la jaugeant une nouvelle fois —au clair de lune, désolé mais t'es vraiment pas mon genre. Je traine des pieds, rechigne à avancer, et j'aperçois soudain la jeep dans mon champ de vision tandis que la femme et ses gosses s'éloignent vers la ville trop loin pour moi.

Un mot s'impose dans mon esprit. Chasseuse de prime. Je blêmis brutalement, il n'y a qu'une personne pouvant me rechercher comme ça. Je pose mon pied sur la photo, baisse les yeux dessus. Lentement, je me baisse, m'accroupis pour la saisir. C'est moi mais la photo est étrangement ancienne, ce qui me fout le doute sur qui a commandité ma capture. P'tre bien qu'il y a une deuxième personne qui me cherche. Et des pièces de puzzle s'emboitent dans ma tête, je commence comprendre par qui Logan a eu tant d'info sur moi ! Je sais à présent qui me traque à travers cette fille. Aleks.

La rage rushe brusquement en moi et me fait perdre mon hésitation. Et surtout la peur. Je ne veux pas retourner dans la cave. Et c'est ce qui m'attend si ce n'est pire. Je lâche la photo en bondissant puissamment vers la fille. C'est sans grâce, un geste brut, impulsif. Je la percute au niveau des jambes, la fait basculer au sol. Le fusil bascule aussi un coup part dans les airs, sans toucher personne. Je n'ai pas beaucoup de temps avant que le Bobcat, un instant effrayé par le tir ne vienne à la charge. Dans un cri grondement étranglé de peur et de colère, je me bats pour prendre le fusil, avec toute l'énergie de mon désespoir.

Rafa a un petit rire à la remarque. C'est bien. Il perd pas son humour. Non, en vrai c'est plutôt marrant, mais elle va pas baisser sa garde pour autant ou être sympa. No way. Et puis le gars, en vrai, elle a pas réellement vu sa tronche, et si elle est pas le genre de meuf franchement farouche, y a une limite sanitaire quand même. Si ça se trouve, il a la tronche de Freddy Krugger maintenant, allez savoir. Zavez vu ce qu'il est devenu l'acteur de 9 semaines et demi ? Ce gâchis? Brrr.

Alors que la photo est dans les mains du type, il a une réaction qu'elle ne comprend pas. Tellement pas qu'elle ne voit pas le mouvement s'initier et, totalement prise par surprise, alors que son regard glisse sur la photo qui tombe au sol, la voilà projetée à son tour. Elle laisse échapper une exclamation de surprise, s'attendant à avoir le souffle coupé. Mais non. La douleur vient des jambes. Elle tente de lui mettre un coup de genou, peu importe où ça touche (de préférence le nez mais là, on va pas faire dans le détail) mais elle ne fait que brasser de l'air. Un juron plus tard, elle lâche le fusil pour attraper, dans sa botte, un cran d'arrêt.

Elle est persuadée qu'il va vouloir jouer du fusil qu'elle lui a laissé. Mais il n'est pas chargé. Enfin une seule cartouche qu'elle a tiré. Les autres sont dans sa veste. Un coup, c'est vite parti, elle en sait quelque chose. Et elle a toujours compté sur Dak pour lui laisser le temps de charger l'arme. Du coup, elle en profite pour donner, encore une fois au hasard, un coup de couteau. La résistance qu'elle sent lui laisse à penser qu'elle a touché, sans savoir où ni si c'est grave.

Raphaëlle se met à tousser. Leur bagarre a dégagé une montagne de sable et de poussière. La femme se met à crier en espagnol, partant en courant vers les lumières de la ville, emportant avec elle les marmots. Merde.
Sans lacher son couteau, toussant trop fort – elle arrêtera de fumer demain, promis – elle reste sur ses gardes. Il peut encore lui foutre un coup de fusil en travers de la gueule.

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On lutte dans la poussière, au sol. J'aime pas me battre par terre, en plus j'y vois rien. Soudain elle lâche le fusil et je me relève. Dans le mouvement que je fais, une vive douleur me perce le flanc, déchirant mon tee-shirt. J'accuse le coup dans un grognement sourd. La salope, elle avait un couteau planqué. Tu te ramollis Kovács, bien sur qu'elle a un couteau. Elle te chasse ! Toi et Nina sans doute ! Sans état d'âme, je tire sur elle, et ... clic ! Le bruit de la gachette qui claque dans le vide, plus de balle. —Jebo... Pas le temps de finir ma phrase que cette saloperie de chat me saute dessus, m'empêchant d'asséner un coup de crosse à sa maitresse. C'est le gros chat que je repousse pour le reclaquer au sol après qu'il m'ait lacéré l'épaule. Dieu merci, j'ai toujours bien enduré la douleur et encore plus depuis la passage à la cave. D'un coup de ranger, je le repousse une seconde fois, il roule dans la poussière.

Ma seule chance c'est la jeep. Je serre le fusil et sans le lâcher, je déserte la scène en courant comme un dératé vers le véhicule dans une trainée de poussière et de sang. Je sais démarrer une caisse, j'en ai volé un tas. Même à cette heure de la nuit, il fait chaud et j'ai l'impression de me trainer dans le sable et la poussière du désert. La sueur roule sur ma peau, se mêle au sang qui fait plic ploc, roule, tâche mes fringues. Je saute dans la voiture, m'y vautre à demi en jetant un coup d’œil en arrière. J'essaye de démarrer la voiture, mais mes mains sont poisseuses de sang, fébrile et glissent sur ces putains de fils que j'extirpe de leur logement. Je n'ai rien pour les dénuder, que mes dents, ce qui m'oblige à me pencher.

Il appuie sur la gâchette. Evidemment qu'il appuie. Elle aurait fait pareil. N'importe qui dans sa situation aurait fait pareil. Mais quand même, elle réalise. Putain, elle a eu chaud. C'est vraiment pas passé loin cette fois. Rafa en a même une sueur froide rien que d'y penser. Heureusement que Dakota fait son taf. Elle lâche rien, enfin pas facilement, même s'il arrive à s'en défaire. C'était à prévoir, non ? À vrai dire, entre le danger ou la protéger, y a de grandes chances que l'animal préfère la protéger.

Rha putaiiiiin...

Rafe réalise que le gars s'est tiré. Merde ! Sa jeep ! Ah non, pas sa jeep. Non, tout mais pas ça. Elle y tient à cette vieille carcasse rouillée.Le mélange de sable et de poussière retombe. Elle tousse encore et encore. Saloperie de merde tiens... Elle se met à courir autant que ses poumons le lui permettent. D'ailleurs ils lui donnent l'impression de brûler de l'intérieur. Le gars a de la chance qu'elle ne souvrant la portière de la jeep alors que le gars apparemment a bien du mal à faire démarrer la voiture. Quand elle aura le temps, elle remerciera le Ptit Jésus pour sa bonne étoile tiens.
D'un geste, elle saisit le flingue caché sous le siège passager et vise le passeur. Quelle merde. Comment elle en est arrivée à cette situation là d'abord ?

La portière ouverte, la lumière du plafonnier s'est allumée, laissant pour la première fois réellement apparaître les traits du gars, dont elle ignore même le nom. Mais pendant un instant, elle cille, manque de trébucher et bégaye un :

James ?

Elle est blafarde, avant de se rassaisir. Avec cette lumière dégueulasse, il aurait pu passer pour lui mais non. Ils se ressemblent, c'est certain, mais elle sait aussi que ce n'est pas là. Déjà parce que jamais, au grand jamais, il ne l'aurait frappé pour commencer. Elle tente de contrôler sa respiration, de se calmer. Mais elle tremble encore du bref choc émotionnel reçu. Putain. Elle fait quoi. C'est pas James. Elle doit le livrer. Elle doit faire son taf, gagner de l'argent, avoir de quoi bouffer demain.

Allez, descends. Et crois moi, celui là il est chargé.

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Saloperie de merde de putain de fils... Je sais normalement démarrer une caisse en moins d'une minute, mais même une minute c'est trop long. La portière passager s'ouvre et je me retrouve nez à nez avec un flingue. Un son entre gémissement, grondement et juron se bloque dans ma gorge. J'ai vraiment le cerveau dans la colle pour ne pas avoir pensé à fouiller le véhicule. Je me fige sans lâcher les fils, comme si j'allais pouvoir continuer, revenir en arrière, aller plus vite. Mais non, on n'est pas dans un jeu vidéo bordel ! Y a pas de sauvegarde. Et je pisse le sang de partout.

La chasseuse prononce un prénom et je jette un regard derrière moi, croyant qu'il y a quelqu'un d'autre, sans comprendre, avant de reporter mon regard vers elle. Je cille, tente un sarcastique —tu t'es gourée de gars ? Si seulement ! Bon ok ça la fait pas rire, elle m'intime de sortir de là. J'obtempère et je descends de la voiture, me voilà de nouveau au point de départ sauf qu'en plus j'ai une sale entaille au flanc. J'ai une bouffée de désespoir très noir. Animal traqué et acculé, je cherche une échappatoire même idiote, lui claquer la portière dans la gueule ? Me mettre à courir ? Mais la saloperie de bestiole est revenue dans les parages et je sais que je ne vais pas aller bien loin. Je me sens acculé et je gronde farouchement —J'y r'tournerais pas. T'as qu'à me buter, j'y r'tournerais pas. J'imagine que Logan me veut vivant, mais je ne suis pas sur qu'Aleks ait transmis cette consigne là. Il a toujours été plus pragmatique comme garçon. Au point où j'en suis, je pose la question —y a que moi que tu cherches ?
Parce que je pense à Nina, mon Dieu, il faut que je prévienne Nina. C'est la seule chose qui m'empêche de faire un truc stupide.

Si elle s'est trompée de gars ? Elle répond pas. Les indications étaient pile assez claires pour qu'elle n'ait pas réellement de doute. Voire pas du tout. Juste un chouïa. Non. C'est lui. C'est sûr et certain, elle n'en démordra pas. C'est juste que pendant une brève seconde, elle est revenue quelques années en arrière. Mais c'est du passé maintenant. Next. Elle inspire. Cherche calmement comment amener sa cargaison à bon port, sans se prendre un mauvais coup. Elle a eu beaucoup de bol jusqu'à présent et elle aimerait bien rester en un seul morceau. C'est qu'il sait se défendre et ça faisait une paye qu'on lui avait pas fait bouffer la poussière. Faut dire que voilà le morceau. Elle, elle dépasse pas le mètre soixante dix, elle est pas freluquette mais pas forcément une force de la nature et au corps à corps contre lui, elle n'a aucune chance, même avec la blessure qu'elle lui a infligé.

Plutôt que de répondre aux questions, elle s'en préoccupe. Elle a pas envie de buter qui que ce soit.

Ça va aller ? C'est grave ? Relève ton t-shirt que je vérifie.

Elle livre une saloperie et elle a posé un mouchoir sur sa conscience à son sujet, mais elle préfèrerait qu'il ne douille pas devant elle. La suite, c'est une autre histoire qu'elle ne connaitra pas. Elle évitera les journaux pendant quelques jours. Et elle évite de poser la question pour savoir de quoi il parle. L'employeur a déjà dû le choper. Il a dû sacrément déconner. Et ça confirme sa dangerosité s'il a pu se casser. Rafa fait juste un pas de recul, par précaution.

J'bute pas moi. J'suis juste détective. J'fais pas la justice ou quoi. Fallait pas jouer les marchands de la misère humaine.
T'inquiètes, j'm'en branle de ton réseau. On m'a payé pour toi. Mais si on me paye pour tes potes, je vais me faire une joie de les choper un par un. Voler à des femmes seules, avec des gosses, leurs maigres économies, faut pas avoir honte. Et puis quoi ? Tu les violes aussi en chemin ?

Suffit de lire les journaux sur tous ces immigrants illégaux. Leurs histoires sont terribles et pour une fois qu'elle tient un responsable de leurs souffrances, sa colère gonfle de plus en plus. Hummmm... Un autre coup de schlass ? Non. Elle a dit qu'elle faisait pas la justice. Mais elle espère que son employeur va être cruel au possible. Non, non, elle a pas le droit de penser ça. C'est à la justice de faire son boulot.
Pendant un instant, elle considère l'idée de le refiler aux ICE plutôt qu'au type qui l'a payé. Mais le reste du pognon, merde quoi. Elle en a besoin.

Invité

Je ne m'approche pas, restant à cette distance de deux ou trois mètres où elle ne peut pas me chopper par le bras. Bien sur, il reste son flingue dont je subis le joug. Ça se trouve il est pas chargé, c'est juste de l'intox. Tu veux vraiment tenter le coup Kovács ? Si elle veut me ramener de force, oui. Elle me pose une question sur mon état physique et je reste surpris, méfiant comme un animal blessé. Je tâte mon tee-shirt de la main, il est poisseux de sang. Celui-ci s'écoule plus lentement je crois. Je relève un coin pour jeter un coup d'oeil rapide, tellement sur mes gardes qu'elle en profite pour me faire un coup de pute que je tremble, les muscles tendus, crispés. Je vais ajouter une nouvelle balafre aux autres qui ornent ma peau. Des cicatrices en tout genre, coupures savamment calculées, brûlure de cigares, étoiles déformées là où la pince a mordu la chair. D'un peu plus de quinze jours, elles sont rosées, encore boursouflées par endroit, mais elles sont enfin propres et cicatrisées. Le coup de couteau donné par la chasseuse de prime - ah non, détective privée, tu parles mon cul ouai ! - va juste s'ajouter aux autres. Je rabats mon tee-shirt d'un geste vif. —ça ira, j'vais pas en crever. Enfin j'espère...

—oui bien sur, c'est une putain de chasseuse de primes qui va me faire la morale. Tu chasses que les méchants et tes clients sont tous des saints. J'ai un rire cassé —tu ferais bien de te renseigner avant. J'ai par ailleurs un geste d'incompréhension —Quel réseau ? C'est pas mon réseau. Je bosse pour un mec, je ne suis qu'un de ses passeurs payés à la prime. Oui certains en profitent pour se faire une rallonge en pognon ou en nature mais c'est pas mon cas. J'ai un rictus sauvage à ses sous-entendus. Je ne dis rien, je suis pas un enfant de chœur, des trucs crades j'en ai fait dans ma vie, mais pas cette fois.

Je suis tellement soulagé d'apprendre qu'elle ne chasse pas Nina que ça se lit sur mon visage. Je voudrais la prévenir, mais je n'ose pas attraper mon téléphone. —combien il te paye ? Peut-être que si je peux allonger du fric, lui proposer, elle me laissera partir. C'est pas que j'ai grand chose mais je tente toutes mes chances.

Rafa pose ses yeux sur la plaie et a une petite moue appréciatrice. Pas mal. Elle le tuera pas mais il se souviendra d’elle. Au final, elle est assez contente de son geste. Ses réflexes sont bons. C’est bien. Par contre, les cicatrices autour sont… Comment dire ? Dégueulasses ? Des marques de torture. Si Raphaëlle n’en a jamais infligé elle-même, loin s’en faut, elle n’a pas besoin d’être un putain de génie pour savoir ce que c’est. Elle reconnait les marques de cigarettes. Par contre, y a des marques, elle n’a aucune idée d’où ça peut venir et ça n’a pas l’air franchement sympa, rien qu’à regarder. Il a dû bien morfler.

Ouai, non, tu crèveras pas.
Et t’es con ou tu votes Trump putain ?

Ce qui revient absolument au même, même si elle ne vote pas. Faut être un débilos pour avoir voter pour la Carotte à perruque blonde.

J’t’ai dit que j’étais privée.

Elle n’est plus chasseuse de prime et le sujet est un tantinet sensible pour la jeune femme. Elle lui foutrait une rouste rien que pour retourner le couteau dans la plaie putain. Elle s’abstient de répondre sur les clients. Vu sa situation financière, elle peut pas se permettre d’être regardante. C’est un fait. Alors ouai, il est bien possible qu’elle refile cette enflure à une autre enflure. Mais au final, ça fera toujours un connard de moins. Que ce soit lui ou l’autre type.

Au pire, vous vous entretuez, ça fera deux merdes humaines en moins, tout le monde sera content. Que tu sois dans un réseau ou freelance ça change rien. Tu vends de la misère humaine. Alors je me contrefous d’savoir à qui je te refile tu vois.

Maintenant, à distance raisonnable, Rafa calcule ce qu’ils peuvent faire. Elle va pas le laisser conduire, il pourrait défoncer sa voiture. Elle va pas conduire, il la tuerait à mains nues et assez facilement vu les paluches. La marche jusqu’au point de rendez-vous, c’est la pire idée du monde. A pieds, y en a pour des heures, c’est dangereux, déjà de jour, alors de nuit et avec ce putain de psychopathe, on en parle pas. Reste la dernière option, chiante, parce qu’elle perd une partie de sa prime. Elle fait venir le client. Et Rafa devine déjà que le gus va péter un cable.

Y a un truc qui interpelle Rafa, c’est qu’au cours de la conversation, même de nuit, elle a vu le soulagement. Y a un truc qu’il cache. Il a fait quoi ? Il couvre qui ? Non. Elle est pas payée pour ça. Elle s’en branle. Même s’il cache un chaton. Enfin non. Elle aurait les boules. Mais comme elle sait pas, hop, sa conscience va bien on va dire.
Rafa répond honnêtement à la question, glissant sa main libre dans sa poche de veste pour tatonner et saisir le numéro de téléphone qu’elle a retenu. Elle est pas du genre à mentir pour ça.

5000 pour te trouver. 5000 pour te livrer, somme que je perds si je vois le gars. Donc vaut mieux que je te dépose gentiment au lieu convenu tu vois.

5000 dollars… une putain de somme qu’elle n’a jamais eu de toute sa vie. Elle va pouvoir en boire des whisky bordel ! alors 10000, elle va pouvoir refaire le toit. Et imaginez, acheter un générateur p’t’être ? Ou avoir de l’eau dans la maison ? Oh le pied !

Invité

J'ai un rictus mauvais, je suis ce que je suis mais j'ai toujours regardé la vérité en face, je ne me suis jamais leurré sur le fait d'être un monstre. —Non, j'suis pas con, mais toi tu peux dire c'que tu veux pour endormir ta conscience, ça change pas que tu me livres à une putain d'saloperie pour du fric, ça s'appelle chasseur de primes ça, pas détective privé...Jebote... La fatigue et la perte de sang commencent à se faire sentir, mais je ne peux pas me permettre de flancher alors je tiens.

Je hausse les épaules, désabusé, sans idéal. Ça fait longtemps que j'en ai plus. Quand on m'a envoyé aux USA p'tre bien. Non, ce serait mentir, ça fait bien plus longtemps que ça, c'était en 1993 en fait, l'extinction de tous les rêves. Je crève brusquement d'envie d'une clope —Je fais passer des gens qui croient que le Rêve Américain c'est ici. C'est pas moi qui leur ai foutu ça dans le crâne, et c'est pas moi qui les empêche de passer légalement. Je soupire, secoue la tête, je ne sais même pas pourquoi je cherche à me justifier. Très franchement, je ferais un autre boulot si je pouvais. Mais quoi, sérieusement ? Sans papier, recherché, avec mon cv, la bonne blague. Alors j'ajoute, d'un ton agressif parce que je suis acculé et sans solution pour m'en sortir. —Tu crois que j'ai l'choix p'tre ?

Je blêmis à la somme. C'est qu'il a les moyens l'Aleks ! Le bâtard, il doit refacturer à Logan. Putain, je suis dans une merde noire. Étrangement, j'ai toujours été mauvais menteur et mauvais négociateur. C’est qu'avant, j'avais toujours au minimum un beretta dans les pattes et pour la négo, c'est un sacré argument de poids ! Sauf que là c'est elle qui a le flingue, mais à ce stade, c'est encore mieux de crever d'une balle dans la tête. J'y retournerais pas. Tant pis, je tente quand même d'une voix vibrante, aussi convaincue que possible quand j'ai moins de 100$ en poche en comptant mon salaire de ce soir. —J'peux trouver le fric. Tu me laisses partir, j'te paierais les 5000$, plus si tu me laisses le temps.

On s'regarde comme deux chiens de faïence, face à face à quelques mètres, mais toujours est-il que j'approche pas plus de cette caisse ni d'elle et que j'ai l'intention d'aller nulle part. —C'est simple j'irais pas. Et si tu le vois, il te butera.

Raphaëlle soupire et roule des yeux. Ok, donc il est con. En même temps, fallait pas s'attendre à mieux de sa part.

Je le suis plus connard ! Jebote toi même.

Bon, la prononciation, on repassera. Et puis ça veut dire quoi ? Et ça vient d'où ça d'abord ?
Rafa a un rire sans joie à l'évocation du rêve américain. L'idée la dépasse. Bouffer c'est bien. Avoir un toit sur sa tête c'est cool. Prendre son pied, c'est essentiel. Le reste, c'est du superflu dont elle n'a jamais vraiment eu besoin. Son éducation a au moins eu cet avantage là qu'elle n'est pas super matérialiste. Elle aime bien sa barraque parce qu'elle représente une histoire. Et sa jeep aussi. Mais si elles lui étaient enlevées, même si ça la ferait vraiment chier, profondément, bah elle saurait s'en remettre. Tant pis quoi. C'est jamais que du bois et de la tôle. Les gens qui rêvent d'une maison parfaite, d'un compte en banque remplie, d'une piscine, d'un chien et d'une famille, ils sont juste fous à ses yeux. Plus encore que le type en face d'elle.

On a toujours le choix à ce qu'il paraît.

Et elle sait de quoi elle parle. Elle a fait plein de choix, plutôt foireux dans l'ensemble, et qui l'ont emmené ici. Paradoxalement, elle ne le regrette pas forcément. Au moins, elle est libre et c'est déjà beaucoup vu d'où elle vient.

T'as pas le choix de faire ce job mais tu vas me sortir 5000 dollars comme ça ? Genre ! T'aurais pas cette dégaine de pouilleux si t'avais eu le pognon. En gros tu me demandes de m’asseoir sur de l'argent bien réel pour quoi ? Si j'ai pu te choper, demain ça sera des feds, peu importe leur nom. FBI ou sécurité intérieure, ICE, t'inquiètent. Ils vont te choper. Et là, adieu mon pognon.

Non, Raphaëlle n'est pas née de la dernière pluie. De ces quelques années de chasseuse de prime, il n'y a pas eu un gars qu'elle ait arrêté qui ne lui ait pas fait la même offre. C'est tellement classique. Ils lui tous juré de l'argent, tellement d'argent qu'Escobar, à côté, il serait passé pour un amish. Elle n'a pas confiance. En tout cas, jusqu'à ce qu'il lui promette qu'elle va mourir. Etonnamment, son instinct lui susurre perfidement qu'il dit vrai. Ça collerait avec l'absence totale d'info, tant de sa proie que du commenditaire. Rafa bouge un peu, soudain plus à l'écoute.

Pourquoi ? Il te veut quoi ? Tu lui as piqué du pognon c'est ça ?

Elle a besoin de l'info. Parce que si elle fout un mouchoir sur sa conscience assez facilement, y a des limites. Genre sauver sa couenne par exemple. Elle calcule à toute vitesse.

Ecoute. On fait un deal. Tu racontes ton histoire de merde, et moi j'te recouds. Tu tentes pas de te tirer, j'te bute pas.

Elle planquera le flingue dans la bagnole et ira plus loin pour que Dakota ait le temps de sauter sur le type. Elle le dévorera pas mais abimera assez ses jambes au besoin.
Elle lève son tshirt pour montrer une belle cicatrice, pas parfaite mais nette et propre. C'est pas du niveau chirurgical mais on sent qu'il y a une expérience certaine.

C'est mon œuvre. J'sais faire.

Et ça fait un putain de mal de chien d'sa mère. Mais au moins, pas de frais d'hosto. Chacun fait comme il peut dans la vie.

Invité

Elle joue sur les mots pour décrire son job et ça me fait ricaner, mais je le paye parce que les endorphines commencent à se faire la malle sous la pression et la fatigue et je commence à douiller. Enfin...avoir mal, j'ai l'habitude. Je serre les dents. J'ai un drôle d'air, une note sarcastique dans le regard et le ton de ma voix quand elle dit qu'on a le choix —ouai, y parait... Je n'ai jamais vraiment eu cette impression dans ma vie, j'ai trop souvent été le bon soldat obéissant mais paradoxalement ça me donne un sentiment factice de contrôle. Ça fait longtemps que j'ai renoncé à comprendre mon mode de fonctionnement complètement bancal - dingue. Si le choix c'est crever dignement ou vivre en étant en salaud, j'ai clairement fait le second choix, depuis très longtemps.

Ça aurait été bizarre qu'elle tombe dans le piège et ça me fait même sourire qu'elle se rende compte que je la prends pour un lapin de deux jours. J'ai un haussement d'épaule entendu, il fallait que j'essaye pas vrai ? Je pourrais lui proposer de payer autrement, mais j'ai le sentiment qu'elle apprécierait pas que je lui propose mes services de tueur. Parce que je sais faire que ça, pas vrai Kovács, t'as pas été élevé pour autre chose. Je secoue la tête —Du pognon ? Non c'est pas ça... Elle n'y ait pas du tout —C'est juste moi qu'il veut. Le prix se paye en nature, le prix du sang.

Je suis dans l'impasse et plus le temps passe plus elle prend l'ascendant. Je suis toujours aussi méfiant, mais j'ai pas beaucoup d'option alors à sa proposition je hoche la tête brusquement après plusieurs secondes pour me décider. Je suis bon au corps à corps, massif, j'ai été formé durant des années et je tenais une salle de sport et je suis encore en bonne condition physique malgré ces quinze jours de galère noire. Alors c'est peut-être ma chance. Et surtout je continue à pisser le sang plic ploc, dans une heure à ce rythme, je tombe dans les vapes. —ok, t'as l'air d'une vraie dentellière. Mais pose ton flingue plus loin. Je me déplace pour aller à l'avant de la jeep, m'appuyer au capot. Je ne la quitte pas du regard. Je n'ai aucunement l'intention de grimper dans la voiture. —j'espère que t'as du temps parce que c'est une longue histoire.L'histoire de deux vies. Encore que j'peux la faire brève. Quand elle s'approche avec la boite à pharmacie, j'enlève rapidement mon tee-shirt et j'éponge le sang avec pour qu'elle y voit clair. —Donne ta lampe, c'est pas j'sois coquet, mais j'aimerais bien que tu recouses au bon endroit. Ma voix change légèrement sous la douleur, respiration plus courte. —j'ai tabassé un mec qui avait fait du mal à ma femme, vraiment beaucoup de mal mais j'ai fait la connerie de le laisser en vie. Il a la rancune tenace et des moyens. Il s'est allié avec un ancien ami à moi qui a mal pris que je bute mon oncle, mais ça c'est des histoires de familles. Je pense que c'est avec lui que t'es en affaires On s'est fait choper mais on a pu s'évader. On avait réussi à se planquer jusqu'à présent. Mais il est malin ce con, il me connait bien, on a été formé ensemble.

Rafa prend son kit de secours, planque le flingue dans un endroit de la jeep en s’assurant que le gars ne sache pas où et vérifie que son cran d’arrêt est bien rangé et qu’il ne va pas le choper sans lui arracher sa godasse. Tout ça tout en le gardant à l’œil. Avec sa blessure et Dakota, de toute façon, il n’irait surement pas loin mais ça ne serait pas gagné pour autant, loin de là.
Rafe prépare son fil et commence les sutures après avoir foutu des compresses de lidocaïne. C’est pas injecté, elle saurait pas faire, mais ça atténuera au moins la douleur. C’est pas non plus une barbare de la pire espèce.

Bouge pas.

Oh, elle sait que c’est plus facile à dire qu’à faire. Allez vous recoudre vous-même. Vous verrez que la lidocaïne, vous êtes prêt à la boire si nécessaire pour faire cesser les tremblements.

T’inquiètes pas. J’ai eu des super profs de couture.

Il a même pas idée à quel point c’est vrai en plus. Cela dit, les gens du coin, pas un n’y croirait. Ça rigolerait sec à l’entendre dire ça. Après, ces cons, ils seraient bien contents qu’elle les rafistole mais ils demandent pas et elle les laisse se démerder.
Elle l’écoute sans dire un mot ni broncher, faisant gaffe à la suture. S’il crève, ça sera pas d’une septicémie, même s’ils sont dans un putain de désert avec beaucoup trop de sable autour d’eux. Rien à foutre. Elle fait gaffe.
Et au moins, à voir toutes les cicatrices qu’il a, une chose est sûre, c’est pas James. Elle a un vague ressentiment à son évocation mais elle l’éteint. C’est pas lui. Il a pas à faire les frais de ses histoires passées.

Dis donc, avec des amis comme les tiens, t’as pas besoin d’ennemis.

C’est sa conclusion. Cela dit, il a une femme. C’est dommage. Il a plutôt l’air d’avoir une veuve en devenir.

Enfin en même temps, tu butes ton oncle…

Ouai, ouai, elle sait, la famille, c’est compliqué. C’est pas elle qui dirait le contraire. Mais elle a jamais buté un membre de sa famille. Bon, aussi, aucun ne l’a franchement mérité, loin de là. Y a pas plus gentils qu’eux. Mais gentils veut pas dire que c’était forcément cool non plus.

Moi, à ta place, j’éviterais de côtoyer des humains. T’as l’air d’avoir du mal à choisir les bons.

C’est dit sur un ton mi-figue, mi-raisin. Elle a un sourire en coin et finit de recoudre la plaie.

à ta place, j’l’aurais buté. J’suis pas rancunière mais des fois, faut faire le choix du pire pour avoir le meilleur.

D’un coup de menton, elle désigne la ville un peu plus loin. C’est pas l’enfer ici. Du moins on peut s’en sortir.

Et ils font quoi dans la vie tes potes là ?

Invité

Les points de suture, j'en ai eu plus souvent qu'à mon tour. On est tous passé par chez Vuk, notre médecin au sein du Klan, la mafia serbe à la typologie paramilitaire, et avant ça...c'était mon père qui s'en chargeait. Non, le moment le plus compliqué pour moi, c'est quand elle s'approche et qu'elle pose la main sur mon flanc pour poser les compresses de lidocaïnes avant de me recoudre. Je serre les dents, pas à cause de la douleur mais depuis la cave, j'aime pas qu'on me touche, ni qu'on soit si près.

J'ai un rire entre l'amusé et l'amer —et encore, t'as pas connu ma famille. Elle a raison, je traine une kyrielle d'emmerdes qui ont été à un moment des amis, des proches. Je sourcille. —C'était un connard. Le regard posé sur ses gestes, je surveille ce qu'elle fait. Je ne bronche pas quand elle pique, hormis ce tressaillement involontaire de la peau. J'esquisse un sourire à sa remarque. —ça t'as pas tort, mais on choisit pas sa famille. Je hoche la tête —je sais, je m'en veux...J'ai été arrogant, j'pensais que ça suffirait, mais j'avais mal cerné l'enculé. Et c'est pas mes potes.

Je fais un geste vers ma poche, suspendu —Je peux ? J'veux juste une clope. Maintenant que je n'ai plus mon tee-shirt, elle voit bien que je n'ai pas d'arme. La poche latérale de mon treillis contient mes clopes et un briquet. J'en glisse une entre mes lèvres pour l'allumer —sers toi si tu veux... La première taffe est exquise, après l'avoir expiré, je répète —c'est pas mes potes. J'pense que celui qui t'a contacté, c'est Aleks. Lui c'est un ancien pote, ouai, de y a très longtemps. Il bossait avec mon oncle dans une organisation paramilitaire. Comme j'ai buté mon oncle, maintenant il bosse pour le mec qui nous cherche - enfin j'le soupçonne de jouer aussi en solo, c'est bien son genre à ce bâtard. L'autre, son nouveau boss, c'est Logan, un fils de pute qui tient un bordel haut de gamme, prestations spéciales pour le gratin des USA, flics, juges, sénateurs, mecs friqués...Ma femme avait été embarquée là dedans de force avant de se barrer. J'l'ai connue après, à NY mais bon...les emmerdes finissent toujours par vous rattraper. Je dodeline de la tête, elle est toute proche et je pourrais tenter ma chance, prendre le dessus. Je souffle doucement —tu devrais pas te mêler de ça, ça va t'attirer des emmerdes.

Non, c’est sûr, elle connait pas sa famille et franchement, déjà, vu le gus, elle a zéro envie de connaitre le reste s’ils sont tous aussi tarés ou mauvais que lui. Elle tire même un chouia trop sur le fil pour lui faire sentir sa désapprobation. Encore qu’avec la lidocaïne, il doit beaucoup moins ressentir dans la zone. Mais quand même.
Raphaëlle ne dit pas un mot, elle écoute. Une des vertus enseignées par sa famille. S’ils voyaient ce qu’elle est devenue… il est probable qu’ils aient honte en fait. Une rougeur, bien cachée par la nuit, nait sur ses joues en pensant, pour la première fois depuis longtemps, à la vie qu’elle a abandonné un beau jour, sans un mot ni une explication. Elle mettrait sa main au feu que personne ne l’a vu venir.

Quand on blesse les gens qu’on aime, y a qu’une solution.

Le ciseau coupe l’ultime fil et Rafa se redresse, le regardant avec un air farouche.

On coupe tout. Même l’étincelle de vie. Rien à foutre. Azy.

Elle-même recule, récupère son flingue. C’est bien d’en savoir un peu plus mais ils sont pas copains et elle a pas confiance. Elle-même tire une clope dans sa veste. Elle va pas lui taxer ce qui pourrait être la dernière clope de sa vie. Même si, à parler famille, voilà qu’elle se sent affreusement tiraillée d’un coup, d’un seul. Elle tire nerveusement sur sa clope. Le fameux James froncerait surement les sourcils à la voir faire.

Il lui dresse un portrait charmant. Elle a entendu l’accent et en plus paramilitaire, elle dirait qu’il est genre serbe ou bosniaque, enfin dans ce coin de tarés dégénérés qui savent que faire la guerre et se foutre sur la gueule à longueur de temps. Enfin elle croit. La géo, dans son éducation, a été hyper limitée. C’est juste qu’elle a déjà dû bosser avec des gars du coin, là bas.
Elle finit par rire.

En même temps, t’arrives de NY et t’atterris ici. De toute évidence, t’étais grave dans la merde. Personne vient vraiment s’enterrer ici volontairement. C’est qu’y a soit embrouilles, soit problème avec le GPS. Sauf si t’es du coin bien sûr.
j’aime bien les emmerdes.

ça fout de l’adrénaline. Elle se sent vivante comme ça de temps en temps. Pas qu’elle se sente morte le reste du temps mais c’est juste que… c’est pas trépidant quoi. Elle réfléchit soudain, avec un air rusé. Ça lui arrive comme ça, parfois, d’avoir des idées sublimes. C’est pas souvent, mais putain, quand ça pop, c’est l’éclate. Elle a un sourire en coin soudain.

J’ai p’t’être une soluce pour ta couenne.

Invité

Si on blesse les gens qu'on aime... Moi j'ai blessé tous ceux que j'aimais, même Nina, surtout Nina ? Je ne réponds rien à ça - j'ai pas un tempérament suicidaire - surtout que la miss a fini et récupère son flingue dans la bagnole. Moi je recule instinctivement de la bagnole, je m'en écarte de deux pas avant d'entendre un feulement animal. Saloperie de Bobcat. Je tâte mon flanc, teste les sutures, la douleur endormie par la lidocaïne. Je ne sais pas ce qu'elle veut faire, elle n'a pas l'air de vouloir me lâcher, elle aime les emmerdes, putain, elle va être servie si elle joue avec Aleks.

J'ai un sourire sarcastique et je réponds sur le mode d'humour noir qui m'est cher. —Tu te gourres, j'étais v'nu faire du tourisme. Parait que Salton sea c'est génial et qu'ils t'offrent la rédemption pour 2$ à Salvation mountain. Salton, je n'y suis pas encore allé, mon horizon ici est limité. Je connais déjà bien la frontière de nuit, si vous voyez ce que je veux dire, pour le taf, mais à part ça... —t'es du coin ? C'est ce que je crois comprendre entre les lignes.

Je la regarde me dire qu'elle a une idée. Une idée pour quoi au juste. ME sortir des emmerdes ? J'ai du mal à croire à son altruisme soudain et pourtant je m'entends demander —ah ouai ? Vas-y explique ...

Du tourisme, c’est celaaaa oui.

Elle éclate de rire, finit sa cigarette avant de l’écraser au sol. Le bobcat vient le renifler avant de grogner sa désapprobation.

La rédemption mon cul. T’es p’t’être con, mais pas ce genre de con qui finit dans cette secte avec ces illuminés qui se la jouent Coachella pour pauvres.
Et ouai, j’suis d’là.

Version officielle qui tient grave la route. Personne fait vraiment gaffe ici et ça lui a permis de faire son trou gentiment. Vous pouvez demander à n’importe qui, tout le monde vous racontera son enfance. Suffit qu’elle dise « mais siiii avec Mike, làààà ». Tout le monde connait un Mike et personne n’avouera jamais qu’il ne se souvient pas de son interlocuteur. Elle a pu créer tout un réseau de gens se souvenant de son enfance presque insouciante mais pauvre dans le coin. Sauf que bien sûr, personne ne connait les parents ni la maison où elle vivait. Mais au fond, personne ne cherche jamais à savoir. Ceux qui savent, à Slab, se compte sur un moignon de main.

Pour tenir aussi longtemps ici, faut être du coin. J’connais personne qui y reste bien longtemps sinon. C’est le désespoir du Rêve Américain par là. T’as aucune chance de faire fortune, d’être particulièrement heureux, de te cultiver ou d’aller à la fac ou des conneries du genre. Par contre, glander, te rouler dans les emmerdes ou te planquer, ça, c’est rare qu’on vienne te chercher.

Rafa fait une pause, un rire un rien moqueur.

Comme quoi, t’as vraiment pas de cul.
T’sais, ici, y a pas de chasseur de prime. C’une espèce de no go zone. Y a pas de taf pour ça.
Et c’est de là que vient mon plan figure-toi.

Alors Raphaëlle lui explique calmement. Y a ni gentillesse ni méchanceté dans la voix. Ni même de jugement, malgré ce qu’elle pense de lui. C’est juste du pragmatisme. S’il dit vrai et qu’elle risque sa couenne, elle préfère trouver une solution neutre. S’il ment, au pire, elle l’a trouvé et elle touchera la moitié de la prime, c’est pas si mal que ça. Elle fera pas la fine bouche. Vu l’histoire qu’il lui refile – bien trop alambiquée pour être fausse – elle a pas super envie de trop bosser avec ces gars, enfin pour ces gars ni s’en faire des ennemis.

T’es persuadé que j’en suis une. Or les chasseurs de prime ne bossent que dans un cadre légal. Donc ça signifie que t’es recherché par les flics. La loi m’oblige donc à te livrer à la police. C’est ballot non ? à défaut d’être libre, au moins, t’es en vie.

Et au pire, ici, les flics ça les fait chier de trouver des mecs recherchés dans d’autres états. Trop de paperasse. Y a des chances qu’il trouve un deal avec eux. Tant qu’elle y est pas mêlée, tout ira bien.

Invité

—touché ! Elle a vu juste, je ne suis pas en quête de rédemption, ça fait belle lurette que je crois pas à ces conneries et si l'Enfer existe, ma place y est déjà réservée. A moins que ce ne soit ici l'Enfer, il fait assez chaud pour ça, je le réalise seulement maintenant —J'étais dans le Bronx avant, c'est pas non plus un parc touristique, et avant ça... Sarajevo. Je devrais pouvoir m'acclimater à ce foutu pays. Le tout c'est de pas y croire au Rêve américain. Est-ce que j'ai failli le toucher du bout des doigts ? Est-ce que j'y ai cru? Oui, après vingt années passées ici, j'ai failli. J'avais un joli business, j'avais acheté une vieille grange qu'on avait retapé en magnifique baraque et j'étais même prêt à faire un moment. Avant que tout ne vole en éclats - littéralement.

Je l'écoute m'expliquer son plan, essayant d'assimiler les subtilités des lois du coin. J'ouvre la bouche pour répondre spontanément mais je me rend compte que je ferais mieux de la boucler et je referme la bouche. Je réfléchis un moment et je demande prudemment —aux flics ? aux flics d'ici ? Je frotte mon menton rapeux du pouce. Est-ce que c'est possible que Logan ait des flics à sa botte ici. Putain, il a pas pu payer chaque clampin de ces villes paumées ? De toute façon, je suis dans une impasse, et le temps ne joue pas en ma faveur. Tant qu'Aleks est dans le coin, j'imagine que Logan le laisse gérer. Et surtout je ne suis pas recherché par les flics. Mon casier a récemment été effacé pour service rendu à la CIA (tuer mon enculé et traitre d'oncle, en l'occurrence, mais j'vais pas entrer dans les détails de mon histoire familiale compliquée). Si elle m'emmène chez les flics ils seront forcés de me relâcher. Mais putain quand même, c'est contre nature d'aller chez les flics ! Je soupire —c'est les flics ou Aleks c’est ça ? C'est ça le choix que tu m'donnes ? Je tergiverse pour la forme avant d'accepter —ok, les flics alors.

Raphaëlle, qui sait être bavarde à ses heures perdues – et en fonction du nombre de verres descendus, qui lui délient aisément la langue – sait aussi et surtout écouter. Et au fond, les gens se ressemblent tous plus ou moins. Ou alors elle arrive à capter leur raisonnement. Allez savoir. Mais ce qui est sûr, c'est que si ce type veut la rédemption, elle, elle se fait nonne. En général, ici, y a plus des adeptes des enfers. Si sa famille savait ça... Enfin non. C'est bien pour ça qu'elle a déboulé ici.

Sarajevo... C'est le patelin en guerre ça non ?

Son éducation était finie bien avant ses 16 ans. Et la géographie qu'on enseignait chez elle n'englobait absolument pas l'Europe. Et encore. Elle a eu de la chance qu'on lui enseigne cette matière. Cela dit, comme elle a bossé parfois avec des mecs d'Europe de l'est, ils se sont fait un plaisir de lui parler de leur région. Et à ses yeux de gamine, à l'époque, ça semblait à la fois fascinant et terrifiant, un territoire fait de guerre, de meurtre et de mafia. Bon, surtout terrifiant. Aujourd'hui, elle pense qu'ils exagéraient, soit par fierté, soit parce que ses réactions devaient être drôles.

Tu sais choisir tes coins comme tes potes apparemment. Laisse ta femme choisir où déménager la prochaine fois.
Quant au rêve américain, la jolie voiture, la grande maison, la piscine plus chère que celle du voisin et la femme plus siliconée, j'vois pas en quoi ça peut faire bander mais bon. Chacun ses goûts à ce qu'il paraît.

Elle, elle a sa vieille baraque en bois. Rien n'y est droit. Si elle avait un niveau, le pauvre tomberait sûrement dans les pommes. Ça fuit de partout, y a rien qui va, mais c'est chez elle et c'est à son goût. Rafa passe une main affectueuse qui gratte entre les oreilles de Dakota pendant qu'il réfléchit à son offre.

Ouai. Les flics. Pas les feds. Ils tireraient à vue en me voyant.

Et Rafa anticipe la question.

Rancune tenace, tout ça tout ça. C'pas important. Mais les flics ils m'aiment bien. Enfin comme ils peuvent aimer une privée.

Ça et le fait qu'elle fasse parfois des extras dans leur bar, avec un minishort. Ils ont pas le droit de toucher mais ils lui refilent des infos du coup. Ça passe encore.

Bah si t'hésites, tu peux te demander vivre ou mourir. Généralement, l'choix est vite fait.

Raphaëlle, malgré ses défauts évidents, est une amoureuse de la vie. Elle préfèrerait être en taule que morte. Y a toujours une solution à tous les emmerdes. Elle en est la preuve vivante.

Va pour les flics. Tu conduis. Mets pas ta ceinture.

Mais elle, elle fout la sienne. Comme ça s'il veut déconner, c'est lui qui passe à travers le pare-brise. Elle ouvre la portière arrière pour y faire monter Dakota qui grogne en voyant qu'elle va côté passer. Rafe la rassure d'une voix douce et gentille, presque mère poule. Et elle met les clefs dans le contact.

Bon, pas besoin de te faire le topo sur les gestes brusques et tout le tintouin. Tu sais où c'est ?

Invité

—ouai, c'est ça, enfin ça l'était... La guerre est finie mais le territoire reste instable dévoré par la haine, le culte de la nationalité, et surtout les mafias qui mêlent argent et politique, pouvoir. La pauvreté et la rancœur sont des terreaux fertiles. J'ai une esquisse de sourire, on ne choisit pas où on nait, ni nos parents, tout a simplement découlé de ça. J'ai été emporté par le courant, je ne crois pas qu'on est toujours le choix comme elle le dit. Ou seulement celui de vivre ou mourir, et moi aussi je m'accroche furieusement à la vie !

Je ricane pour dissimuler mon trouble, je joue les machos que je ne suis plus vraiment depuis que Nina a bouleversé ma vie en déboulant dedans —bah une bombasse de femme même siliconée, j'te jure que ça fait bander. Mais faut être un mec pour comprendre. Et tu sais c'qu'on dit sur les grosses bagnoles !

Je hoche la tête sagement. Je suis soulagé de prendre le volant, comme ça je maîtrise le trajet, je sais qu'elle ne m'emmènera pas chez Aleks, je peux voir et contrôler où on va. —Non, mais t'as qu'à me guider. Je démarre et je suis ses instructions pour arriver en ville et au post. En chemin mon visage se ferme, je cogite. Je n'ai pas de papier, j'ai un accent étranger, des cicatrices partout, ils vont me foutre en taule c'est sur. Ils vont m'enfermer. Rien que l'idée fait trembler mes mains et je serre plus fort le volant. Je me sens acculé, j'ai peur que Logan nous retrouve si je suis enregistré. Je nous gare pas loin du poste et après avoir coupé le moteur, je me tourne vers la fille. D'une voix rauque et basse, avec cette note de désespoir intense, je la supplie —Laisse-moi partir. S'il te plait. Laisse-moi partir. J't'en devrais une mais laisse-moi partir.