Wayland ✘ Go ahead and tell the dead it's only you

NOM. Haynes, il a une armée de frangins et une frangine avec le même nom alors... Il s’en cogne quoi. PRÉNOM(s). Wayland Curtis, ça l’a toujours fait râler, aussi loin qu’il s’en souvienne en tout cas, il trouve que ça fait pompeux mais il voit pas non plus comment se faire appeler autrement. ÂGE. 33 ans. DATE ET LIEU DE NAISSANCE. Le 20 avril 1985 à New York. ORIGINES/NATIONALITÉ. Des origines irlandaises, il paraît en tout cas, sauf qu’il a jamais cherché à vérifier. De nationalité américaine, tout simplement. TAFF. Electromécanicien et carrossier, réparateur d’un tas d’autres conneries, genre des générateurs, des grille-pains, des jouets, ... STATUT CIVIL. Célibataire et ça vaut peut-être mieux comme ça. GROUPE. Etesian.

Et ta piaule, à quoi elle ressemble ? T’as eu un appart’ en ville au début mais ça t’as pas convenu longtemps. Alors t’as investi dans une grande cabane de jardin en bois type préfabriqué qu’t’as installé au campement. Puis y a eu une vieille deuch morte découpée en deux qui sert de canap’ extérieur -y a un vrai canapé dedans depuis-, une tonnelle -plus un agencement de cordes, de tissus et de toiles qu’une vraie tonelle- pour pas que le soleil tape trop et une vieille roulotte éventrée rattachée à la cabane. T’as mis du temps mais t’es fier de ton monstre de Frankenstein.

Comment t'as débarqué ? C’est ta sœur qui t’as parlé de Slab à la base. La géo et toi, c’est pas ça, alors t’as cherché sur internet. T’as trouvé ça tellement génial que t’as pas pu résister, surtout qu’t’étais plus en liberté conditionnel. T’as mis les voiles dès qu’t’as pu. C’était typiquement le genre d’endroit qui te ressemblait. Délirant, fascinant, peut-être même un peu déglingué mais hé... Tu vas pas critiquer avec ta guibole artificielle.

Qu'est-ce que t'espères trouver ici ? Tout, rien, tu t’en fous. T’as déjà trouvé au fond. T’es qu’un gars de plus dont le passé indiffère tout le monde. Tout est permis, aucun rêve n’est débile. Y a qu’à voir Salvation Mountain après tout. La liberté quoi.

Tu te vois encore la fracturer cette caisse... Bordel ce que t’étais con. Tout ça pour prouver quoi ? Que tu pouvais te débrouiller malgré ton handicap ? C’était une belle connerie. Sur le moment, comme souvent, ça t’avait semblé intelligent, très intelligent même. Et puis, il y avait eu les conséquences. Ça aussi tu le revois encore. Ce presque accident, le poteau. T’avais pas prévu que quelqu’un tenterait de te traverser devant le nez. Pas le temps d’orienter ton pied vers la pédale de frein, alors t’as donné un coup de volant brusque et là seulement, t’as pilé net avec la bagnole. Manque de pot, le proprio de la caisse t’avait vu la lui piquer et les flics étaient pas loin, double manque de chance. Oh, tu comptais pas la revendre ou quoi que ce soit. Non, tu voulais juste prouver à tes potes que t’étais capable de conduire. Aucun de vous n’aviez une voiture et voilà où ça t’avait mené. Un flingue braqué sur la gueule alors qu’on te gueulait de mettre les mains en l’air et de sortir de la bagnole. Ils en avaient de bonnes eux. T’as hurlé que tu pouvais mettre qu’une seule main en l’air et t’es sorti avec ta béquille. Ah ça, t’avais l’air fin... Ils ont baissés leurs armes, t’ont regardé un moment. Tu savais pas trop s’ils étaient blasés ou bien s’ils te prenaient en pitié. T’as pas résisté, tu t’es laissé embarquer. Tu t’es expliqué. T’aurais dû avoir une peine moins lourde mais, le juge était un con, il voulait faire un exemple. T’as pris cinq ans, plus deux en conditionnelle. Ton père était déçu, c’était peu de le dire. Il comprenait ta colère mais, il était loin d’être fier de toi. Tu t’es senti très mal, franchement très mal. À l’époque, il faut dire que t’étais un peu déconnecté de la réalité, en colère contre la terre entière.

En taule, t’as appris à faire avec ton handicap, t’as aussi appris à botter des culs pour qu’on te fasse pas chier. T’avais beau être l’éclopé de service, tu devais montrer qu’il fallait pas te chercher ou te pousser à bout. T’aurais pu tourner mal à cette période. T’as eu mille opportunités de faire de la merde en sortant. Sauf que tu t’es concentré sur autre chose. T’as eu de la chance qu’un détenu plus vieux, coincé à perpétuité pour des conneries à cause de la règle des trois, te mette du plomb dans le crâne. Sans lui, t’aurais rien dans les mains et tu serais toujours un petit branleur.
Les cinq ans ont passés à la fois trop lentement et incroyablement vite. Ça dépendait des jours et de ton humeur. T’es parfois maussade mais, tu te bats contre toi-même. C’est normal on t’a dit, une sorte de difficulté de réinsertion en plus du reste. T’es sorti, t’avais un appart en partie meublé qui t’attendait, un rendez-vous chez un toubib pour une prothèse, ce truc que tu ne croyais jamais avoir et surtout, t’avais un job. Tout ça, tu le devais et tu le dois à ta sœur. Tu sais pas trop comment rembourser une dette pareille mais, tu fais tout pour.
Après, on ne peut pas dire que ton emménagement dans le Bronx ait été vraiment simple. Tu t’es senti relativement inutile en plus de ne pas avoir grand-chose à foutre dans cet appart’. Ça n’a pas été plus facile de te faire à ta jambe désormais complète. C’était douloureux au début, en quelque sorte. Tu devais te renforcer et ça n’était pas toujours évident. L’adaptation a été compliquée et tu as eu de belles crises de rage relativement mémorables et sans doute effrayantes vu de l’extérieur. Là encore, c’était normal, il paraît. Tu devais faire face au monde extérieur à nouveau, retrouver tes marques et les changements étaient nombreux. Y a encore des moments comme ça, ça arrive, moins souvent mais, ça arrive encore. Heureusement, ta conditionnelle a touché à sa fin, t’as pu tenter de vivre ta vie -pas très doué pour ça mais tu fais des efforts- et t’as pu mettre cette partie de ta vie derrière toi. C’est déjà ça. Tu sais que ça te poursuivra, quoi que tu fasses mais, tu feras avec et puis ici, c’est pas comme si ça gênait. Ça te manque pas franchement de voir le monde de derrière un grillage et des barreaux, et tu feras tout ce qu’il faut pour qu’on soit pas tenté de t’y remettre.
 
Y a ça de merveilleux, c’est que quand Dei t’as parlé de Slab City -quand t’as su ce que c’était-, t’as cru que Noël était tombé une deuxième fois dans l’année. Il t’a pas fallu longtemps pour te casser, putain d’oiseau de liberté que t’es devenu. Tu t’es établi là-bas plus vite que ton ombre et t’as fait couleur locale plus vite que n’importe qui. T’es pas là depuis des lustres mais on pourrait bien croire que si. Bon, et les quelques gueules que t’as recroisé du Bronx atteste que ta vie, elle a pas toujours été ici même si tu te vois bien crever là.