American Nightmare - Rafa

C'était, c'était, les mecs t'en parlaient comme si c'était hier. Si y a plus de guerre, elle est prête à parier que dans la tête des gens, c'est bien ancré et dans les murs il doit y rester de traces. Mais bon, elle n'y a jamais foutu les pieds (et elle n'ira jamais) alors elle s'abstient de tout commentaire, ça serait quand même mal placé non ? Elle sait même pas pourquoi ils se tapaient sur la gueule et ils sont pas franchement dans un climat d'explications géopolitiques dont de toute façon elle n'aurait rien à foutre.

Elle hausse un sourcil devant le cliché sexiste. Il a de la chance de conduire, sinon elle aurait pilé pour qu'il se bouffe la boite à gant dans la gueule. Connard.

Ouai, ça fait bander les éjaculateurs précoces, ouaip.

Gros dégueulasse. Et sa pauvre femme putain, elle est tombée sur une grosse merde. Elle a dû cumuler les crevures et même plus voir qu'elle pourrait trouver mieux. Un mec normal. Ou alors comprendre que parfois, vaut mieux être seule que mâle accompagnée.

Laisse moi deviner.

Raphaëlle le scanne. Putain, de profil c'est vraiment James avec des cheveux courts. Fait chier quoi. Ça lui fait un pincement au cœur.

Elle ricane et le guide jusqu'au poste central. Les autres, ils sauraient pas quoi foutre de lui. Déjà ils savent pas qu'il y a autre chose à bouffer que des donuts et des bagels. Ils patrouillent à la frontière et ils s'agitent que si les mecs, de loin, n'ont pas l'air blancs. Et encore, si c'est moins d'une heure avant la fin de leur service, ils abandonnent parce que la paperasse les empêchera de partir à l'heure. Au central, c'est un peu mieux. Un peu. Les voilà qui s'approchent et l'autre commence à la supplier. Ah c'est à ce point. C'est pathétique. Aucune fierté.

Je te sauve déjà la couenne et t'en voudrais plus ? Et pourquoi je ferai ça hein ? Je m'assois déjà sur 5000 dollars. Tu sais ce que je pourrais faire ? Faire réviser cette bagnole, refaire mon toit, p't'être même raccorder mon puits à ma maison et avoir de l'eau. Courante !

Putain d'enfoiré d'égoïste. Elle devrait prendre son téléphone et le livrer. Un point c'est tout. Marre de ces gars qui pensent qu'on devrait tous les sauver. À son humble avis, ça sert tellement à rien. En plus les prisons sont surpeuplées. De sa poche, elle sort son sou fétiche. Le premier qu'elle ait jamais possédé. Elle a un attachement sentimental à cette pièce qu'elle lance dans l'habitacle, faisait un choix, un peu malgré elle. Quand la pièce retombe, elle a un rictus.

Evidemment. Tiens, regarde. Y a des flics devant. Tu vas sortir et te livrer toi-même. Moi j'vais me coucher.

Invité

Si je n'étais pas aussi stressé, son ton agressif à mes blagues débiles me ferait bien marrer. J'aurais répondu un t'inquiète, t'es pas mal non plus mais je suis prudent et je vais éviter de me manger un pain dans la gueule parce que j'aurais pas su la fermer. Je me sens mal à l'aise sous son visage qui me scrute, est-ce qu'elle essaye de s'assurer que c'est bien moi sur la photo ? Je crois que j'ai confirmé non ? Plus on approche du centre ville, plus je m'assombris.

Et je supplie, ouai je supplie, ma putain de fierté envolée. Parce que Nina m'attend, qu'elle est recherchée, à la merci d'Aleks, que je ne veux pas la laisser seule. Parce que j'ai peur de me retrouver à nouveau en cage, et pire encore dans cette cave où j'ai laissé mon orgueil. Au discours de la chasseuse, la lueur d'espoir s'éteint. Évidemment t'es un crétin Slavo, pourquoi elle ferait ça pour toi ? Il n'y a qu'à regarder ton passé, ton présent pour savoir que tu mérites pas d'être sauvé. Avec un drôle de détachement, je la regarde lancer une pièce qu'elle a tiré de sa poche sans savoir ce qu'elle fait, qu'est-ce qu'elle décide. Je ne comprends pas, la cervelle paralysée par ce qui m'attend, les mains moites, les mâchoires crispées dans l'effort que je fais de ne pas faire une connerie comme tenter de l'étrangler, tenter de prendre le dessus.

Je cille à ses paroles et je tourne la tête vers la direction qu'elle m'indique. Des flics devant le poste, ils rentrent peut-être de patrouille, ou du bar. La ruelle est sombre, je ne suis pas sur de comprendre ce qu'elle m'offre : une balle dans le dos, la taule, le salut ? C'est sans doute à moi de décider. Je sors de la bagnole, claque la portière avant de contourner la voiture et de me coller aux maisons sur ce qui sert de trottoir. Ma blessure me tire, je fais mine de ralentir pour tirer sur mon tee-shirt, ce qui me donne l'opportunité de mieux repérer les lieux une fois mon regard habitué à l'obscurité.

Au bruit de la portière, le regard des flics s'est porté vers moi dans un ensemble digne d'une scène de western. C'est comme ça que je la vis, au ralenti. Je prends mon paquet de clope dans ma poche, en allume une et ils se détendent, je suis juste un mec qui passe. Juste avant d'arriver au poste, je bifurque brusquement dans une ruelle sur ma gauche et lâchant ma clope qui roule au sol je me mets à courir puisque ma vie en dépend. Au diable ma blessure. J'escalade la palissade grillagée au bout de l'impasse et retombe lourdement de l'autre coté - bon dieu Kovács, un peu de sport te ferait du bien - avant de reprendre ma course comme un dératé.

Raphaëlle le regarde partir dans un mot. Nerveusement, elle chope son paquet de clopes et en tire une cigarette en tremblant légèrement. Elle fulmine contre lui, contre elle, contre le monde. Il s'approche des flics et elle a un rire en imaginant sa mère assister à la scène. Déjà, sa mère quand elle voyait la police, elle courait se cacher dans la maison alors là, dans une ville comme ici, elle claquerait sûrement.

Rafa le voit brusquement bifurquer et elle chope son téléphone, composant un message sur son téléphone. Faut quand même prévenir le client. Elle frotte ses cuisses. Y aura un bleu. Ça donnera de la crédibilité. Quant aux flics... Ils parleront sûrement pas d'un truc qui n'est pas arrivé. Elle devrait avoir la paix, si tout va bien. Elle soupire. C'est chiant quand même. Elle aurait bien besoin de ces 10,000$. Mais elle se contentera de la première moitié de la somme. Elle va p't'être se mettre au vert, le temps de dépenser judicieusement cet argent avec sa maison. Faut voir.

Un flic s'approche de la jeep et elle baisse la fenêtre. Une discussion s'amorce, un billet passe de la main de la jeune femme à celui de l'officier avec un sourire. Elle se mettra au vert plus tard.

» Rafa - (435) 013-2731