Seal the deal and let's do it all again (Dei)

Ta frangine est dans le coin. Tu le sais pas d’instinct mais t’as reçu un message alors forcément, ça aide. Vous êtes proche -même si y a eu mieux- mais pas assez pour que tu devines grâce à un sens incongru. Bon, ok, c’était un peu ta faute si vous n’aviez plus autant d’atomes crochus. Tu t’étais un peu barré comme un connard à la chasse à l’ex -t’aurais eu plus de chance de rencontrer un dahut- mais t’essayais de te racheter. C’est pas comme si en plus, tu lui devais déjà une blinde. Comment t’avais du réseau dans le coin, ça restait un mystère depuis ton arrivée mais y avait la radio alors pourquoi pas. C’est pas comme si tu te souciais réellement de savoir tant que t’avais ledit réseau. Au moins, tu pouvais faire en sorte que l’annexe de ton trou perso soit prête au cas où Dei, sa femme et la marmaille aient envie de se crasher chez toi. T’en doutes, mais tu prévois.

Au moins, y en a une qui s’en sort. Ouais, pour toi, Dei, c’est un peu le parangon de la réussite. C’est un peu bizarre vu comme ça mais ça plus le fait qu’elle a plus de couille que toi, c’est pas si surprenant finalement. Clope au bec et café glacé en main, tu te balades devant ta piaule étrange et totalement barrée en claquette bleu électrique, dans un short qui aurait déjà dû revoir une lessive et en t-shirt bleu ciel qui a rencontré un pot de peinture et une bétonneuse. Y a du laisser aller depuis que tu vis à Slab mais c’est pas comme si les gens du coin s’en souciait. Disons que c’était ta crise de la trentaine avec un poil de retard.

Quand tu vois Dei qui arrive, tu siffles pour attirer son attention. Le paysage change tellement ici que c’est pas forcément évident et puis ta piaule a encore changé de tronche depuis la dernière fois vu que t’as fait l’ajout pour elle et les siens. Elle t’a rien demandé, ça t’a juste semblé évident. Puis si ça sert pas, ça servira quand même. Tu t’en fais pas pour ça.

- « Hey Dei, pas encore grillée ? »

Puisque les retrouvailles s’enchaînaient depuis son arrivée à Slab comme si elle avait fait un voyage direct pour l’enfer, Deirdre s’était laissée aller à demander des nouvelles de ses frères dont aucun ne s’était pointé à son mariage. Evidemment personne n’avait répondu, parce qu’ils avaient probablement autre chose à glander, et sans nul doute parce que le père avait réussi à les contacter. Elle aurait été étonnée qu’ils suivent son opinion sur son mariage – elle-même s’étonnait encore d’en être là, même s’il y avait un an de travail et beaucoup d’émotion derrière tout ça – mais les gens changeaient avec le temps.
Et même si ses frères l’avaient abandonnée un à un, ils étaient capable de retourner soudainement leur veste s’ils voulaient un profit particulier. Il n’y avait donc vraiment que Deirdre qui connaissait le concept de loyauté ?

Toujours était-il que Wayland comme envoyé par le Seigneur avait répondu. Et toujours était-il qu’il se trouvait bien à Slab.
Et Deirdre ne croyait pas aux coïncidences, alors elle était allée vérifier par elle-même.

Elle masqua sa surprise en découvrant la gueule de son frère, ses cheveux que le soleil avait blondi sans scrupules, et son regard profond qui avait été donné par feu leur mère.

« Nah. » répondit-elle sans saisir le ton humoristique de la chose, définitivement terre à terre même mariée et heureuse. « Ta prothèse a pas encore fondu, l’éclopé ? »

Sérieux, tu crains vraiment et tu t’en veux d’avoir lâché ta sœur vu tout ce que tu lui dois. T’espères juste que t’es pas grillé advitam eternam avec elle et que y a moyen que tu rachètes tes conneries auprès d’elle. Au moins, t’avais eu de ses nouvelles et donc, dans un sens, ça voulait dire que t’étais pas encore foutu.

- « Nan. Mais c’est parfois chiant à supporter. »

Dei avait bien fait ça. Cette prothèse, c’était du solide et tu lui devais encore et toujours une blinde pour ça. Mais la chaleur, c’est pas toujours génial au niveau des frottements malgré toutes tes précautions, sans parler du fait qu’étrangement, les douleurs fantômes étaient un peu plus récurrentes. Personne pouvait vraiment comprendre ça à moins d’être éclopé aussi et tu t’attendais forcément à ce qu’un moment ou un autre, la tentation des antidouleurs te reviennent dans la gueule comme un boomerang. Ouais, t’étais déjà tenté mais tu tenais. Pour le moment.

- « Désolé. Pour mon absence à ton mariage. J’te jure que j’voulais être là, j’ai déconné. »

Tu sors direct le truc qui fâche et t’as pas vraiment d’excuses pour ton absence. La seule chose que tu peux dire, c’est que t’étais en train de te battre avec les ajouts de ta piaule pour pouvoir les accueillir au cas où et un peu en train de te dépêtrer avec une mauvaise passe. T’en as encore malheureusement. En fait, t’es juste largué.

- « Comment va la famille ? La tienne j’veux dire. »

T’avais plus vraiment de contact avec la vôtre, celle d’origine. C’était un peu ta faute, un peu la leur et le message du vieux n’avait pas vraiment suscité ton envie de prendre contact, fallait l’avouer. C’était même tout l’inverse.

« Mieux que des béquilles je suppose. »

Deirdre en avait pris des gamelles dans sa vie, surtout en moto et en voiture, mais jamais au point de ne pas récupérer un de ses membres. Pourtant elle s’était fait réellement peur plusieurs fois, croyant que le Seigneur daignait enfin trouver une place pour elle même en enfer – elle avait perdu l’espoir de la rédemption depuis un petit moment maintenant.
Puisqu’elle recroisait cet enfoiré qui maîtrisait décidément très bien le concept de fuite, Deirdre lui fit cadeau de sa reconnaissance pendant quelques minutes, et donc lui épargna une blague stupide au sujet du fait qu’il n’aurait pas du suivre Viggo le jour de l’accident.
Ce qui était fait était fait.

A ses excuses au sujet de son mariage, Deirdre haussa les épaules. Personne de sa famille biologique ne s’était rendu aux festivités, comme elle s’y était attendue ; c’était limite plus détendant qu’autre chose. Chez Aidan seul son jumeau était venu, et la sensation était apparemment la même.
De toute façon, rien n’avait été normal dans ce mariage. Et sa vraie famille comptant ses partenaires de guerre était présente, c’était tout ce qui comptait.
Deirdre ne sut toutefois pas de quelle famille parlait Wayland lorsqu’il la questionna, alors elle répondit sur tous les fronts.

« La nôtre aucune nouvelle. Ma femme ça va. Mon fils est chez son oncle et sa tante de l’autre côté pour l’instant. »

Un an en arrière Deirdre n’aurait jamais considéré le travesti qui sortait avec Adrien Williamson comme réel membre de sa famille. Comme quoi.

« Et toi ça va ? »

- « Clairement ouais. »

Tu pouvais pas dire le contraire. Les béquilles, ça avait été une putain de lance dans ton flanc. Une épine dans le pied, c’était trop gentil. T’avais clopiné avec ces merdes des années alors maintenant que t’avais ça, t’étais sûr de plus pouvoir t’en passer même si parfois ici, c’était l’enfer à garder. Tu devais redoubler de soins. Les gens imaginaient pas ce que ça demandait comme travail. Tu pouvais oublier de prendre soin de toi la plupart du temps mais pas de ce putain de moignon. Etonnant que Dei te remette pas sur la gueule que si t’avais pas fait le con avec Viggo, t’aurais toujours ta guibole. Tu le mériterais clairement vu que t’avais raté son mariage. Un jour foutrement important pour ta sœur et t’avais pas été là. Connard. C’est ce que t’es, tu te mens pas.

Le haussement d’épaule, tu le vois bien et tu te sens un peu plus comme la merde que t’es la plupart du temps.

- « N’empêche que j’aurais dû être là au lieu d’être un égoïste de merde. J’ai même pas une bonne excuse si ce n’est que je bossais sur cette piaule et son annexe. C’est pour vous au fait. Au cas où. »

Même si tu te doutes que Dei acceptera probablement jamais de squatter si près, éviter une redite du Parking. T’es déjà étonné qu’elle t’ait contacté et qu’elle ait bien voulu voir ta sale gueule.

- « J’parlais pas de la nôtre. »

T’as aussi un contentieux avec eux, précisément pour cette histoire de mariage et du message que t’as reçu à ce sujet. De toute façon, Dei est un peu la seule qui s’est soucié vraiment de toi alors... C’est pas comme s’ils te manquaient tous. Ils savent même pas où tu vis et ils ont jamais cherché à savoir. T’es pas innocent à leur égard mais on peut pas dire qu’ils sont tout blanc non plus.

- « C’est cool. Ouais, cool. Content que vous alliez bien. »

A ton tour de hausser les épaules. Qu’est-ce que tu peux dire ? Rien de nouveau. Rien n’a changé et tout a changé. T’es pareil mais différent. T’es pas mieux cela dit, t’es même pire même si t’as abandonné une partie de la colère que tu baladais depuis ta sortie de taule.

- « Ouais, ça va tranquille. »

Tu vas pas dire à Dei que les vieilles tentations sont pires ici qu’au Parking. Tu vas pas lui dire non plus que t’es devenu une espèce de moine abstinent parce que tu te sens comme un jouet cassé. T’as pas le droit. Alors tu mens comme un arracheur de dent, tu fais bien ça et ça a toujours marché. Mais tu lâches pas, un jour, tu seras heureux. Pour de vrai. Pas un simulacre avec lequel tu t’es convaincu comme un grand.

Deirdre se passa de commentaires quand Wayland la prit pour son confesseur personnel – c’est vrai qu’elle était désormais la seule de toute la famille qui croyait encore en Dieu quel qu’il soit. Peut-être son père, mais elle ne le considérait plus du tout, désormais. Elle avait été stupide de croire qu’après tout ce qu’elle avait fait pour lui, il pouvait au moins lui pardonner ça. Elle avait jamais fait de taule, elle était jamais partie sans laisser de traces comme les autres, elle avait toujours répondu quand il avait appelé, elle était toujours là à Noël.
Non, il ne devait plus croire en Dieu, sinon il lui aurait sans doute pardonné. Ou elle ne savait pas. Parce qu’elle, là, elle n’avait pas du tout envie de pardonner à Wayland.

Elle ne répondit qu’en cillant quand il lui informa qu’Aidan, Killian et elle avaient un pied à terre si jamais elles venaient à rester ou à revenir – plus le second que le premier et encore Deirdre n’était pas sûre qu’Aidan l’accompagne, même si elle s’imaginait bien que sa femme ne se sentait pas trop de l’abandonner une semaine à chaque fois.
Elles ne vivaient ensemble réellement que depuis leur mariage et c’était tout nouveau.

Wayland du comprendre qu’il avait merdé parce qu’il reprit sa discrétion Haynesienne, ne répondant qu’aux questions, vaguement, factuellement, sans relancer la conversation. Deirdre souffla sa fumée.

« Du coup qu’est-ce que tu fous là en fait ? »

Tu sais que tes excuses sont veines même si tu avais ressenti le besoin de les formuler. Dei est rancunière et tu le sais mieux que personne. T’as merdé et tu vas devoir assumer. Le pire, c’est que t’as besoin d’elle. Pas pour du matériel, pas pour t’aider, tu lui demanderais plus jamais rien même si votre relation se remettait de tes conneries. Elle en avait déjà assez fait. T’avais juste besoin d’elle dans ta vie parce que c’était ta frangine et qu’en réalité, c’était la seule que tu voyais comme de la famille. C’était encore pire du coup, ce que t’avais fait. Ou ce que t’avais pas fait. Tu te sentais pas comme une merde pour rien. De fait, tu laisses tomber. Tu devras lui prouver, tu sais pas trop comment et faire comme si tout allais bien, même si t’es quasi sûr qu’elle se fout probablement pas mal de ce qui peut te tomber dessus à l’heure qu’il est. T’as pas besoin qu’elle croit que tu veux lui demander quelque chose ou qu’elle pense que t’as besoin d’elle-même si c’est totalement vrai sur le dernier point.

- « Quand t’as parlé du coin un jour, j’ai cherché sur le net et j’ai trouvé ça cool. J’me suis crashé dans le coin en cherchant... Bref. J’suis resté. J’t’en dois jamais qu’une de plus. »

Tu contournes encore le pourquoi du comment. T’as jamais fait que courir après un mec qui t’as largué ou qui a fui ou t’en sais foutre rien. Qui s’en soucie de toute façon ?

- « J’bosse dans le coin, j’répare des caisses, des trucs. Et toi ? »

Mis à part le mariage quoi.

« Hm. » acquiesça Dei.

Elle demeurait rancunière, mais ne se servait jamais , ou évitait dans la mesure du possible, des jetons que les autres venaient à lui devoir. C’était arrivé une fois, une seule, et c’était parce qu’elle était en danger de mort. Elle avait réussi à contacter Legence lors d’un kidnapping qui allait très mal finir si elle essayait de s’évader seul. Il le lui avait rendu certes en venant la chercher, mais en lui déboîtant le bassin d’un coup de parre-buffle de Land Rover en défonçant les portes de l’entrepôt dans lequel Nina et elle étaient retenues prisonnières.
L’amitié vache, finalement.
Enfin l’amitié buffle, en l’occurence.

« Y’a des gens qui veulent de ton taf sérieux ? » plaisanta-t-elle.

La chaleur commençait à lui taper sur la tête et sur le système, aussi s’avança-t-elle davantage vers Wayland pour se laisser glisser le long de la paroi de sa baraque, jusqu’à poser son cul au sol, à l’ombre. Elle égrena sa cigarette sur le sol, répondit à sa question.

« Bah pour l’instant je suis en voyage de noces. Apparemment j’ai du gros client possible ici, j’dois faire le tour. »

Elle était devenue transporteur entre temps mais elle ne savait plus si Wayland était au courant. Peu importait.

« Tu vas rester là longtemps ? Pas que j’te courrai après mais j’aimerais savoir, quoi. »

Avec la subtilité d’un bulldozer, t’évites le sujet de ta vie dans les grandes et les petites largeurs. C’est pas comme si t’avais encore des trucs à raconter de toute façon. Et en prime, c’est ni le moment, ni le lieu et elle s’en fout. Quand bien même elle s’en foutrait pas, t’es pas chaud d’étaler un de tes échecs. Ça fait jamais qu’un de plus.

- « Hey ouais. Tout arrive hein ? »

Elle comme toi, vous savez très bien que si y a une chose que tu fais bien, c’est réparer des bagnoles et tout ce qui traînent et qui se démontent pourvu que ça ait des bases de mécanique et d’électricité. Donc, tu te formalises même pas un peu de la plaisanterie. Elle est même bienvenue. Un petit air d’avant qui te fait du bien même si ça durera pas. Tu laisses Dei s’installer et tu lui passes même une chaise pliable quand tu l’as retrouvée plantée derrière un panneau en bois que t’as pas fini de traiter.

- « J’suis pas étonné, tout se monnaie ici, tout se fait aussi et personne voit rien, jamais. À moins qu’ils soient payés pour avoir vu. C’est... reposant. »

Et pour certains, libérateur ou problématique, tout dépendait de qui voulait quoi et pourquoi. Y avait une certaine loyauté chez certains cela dit.

- « J’compte pas partir d’ici et si j’dois le faire, tu le sauras. »

Tu dis pas que plus rien ni personne t’attends ailleurs. C’est tellement clair que tu sais que t’as pas besoin de le dire. Et t’insistes sur le fait que tu lui diras si ça devait changer, parce que tu feras plus deux fois la même erreur. Tu vas t’accrocher pour rester dans sa vie cette fois. Ce sera au moins ça que t’auras fait de bien dans ton existence.

- « De passage alors hein ? »

« De passage ouais. Voyage de noces et affaires. »

Elle tira vers elle la chaise pliable du bout du pied, la crochète de la cheville et s’y assit, s’y laissa tomber même ; malgré la solidité discutable du meuble – enfin si on peut appeler meuble cette carcasse qui a du vivre les deux guerres – le poids plume de Deirdre ne fait rien ployer et tout va bien. Mais c’est toujours comme ça avec Dei, on croit qu’elle va se briser au premier coup, s’envoler au moindre coup de vent, et en fait elle est toujours là.
Elle sort en sang, boitillante, elle doit se faire porter des fois parce qu’elle ne peut même plus marcher avec ce qu’elle a encaissé, et le lendemain, elle est toute bandée, sur une chaise, à boire son café et à fumer sa clope. Sa pipe quand elle a le temps. Parce que maintenant qu’elle a perdu son mari, que son fils est en sécurité, qu’elle est mariée, elle a le temps.
Et c’est étonnant comme il s’écoule bizarrement ici.

Deirdre posa le creux de sa nuque contre le dossier de sa chaise et s’y laissa aller un instant, n’écoutant rien d’autre que le murmure des vagues, et finalement, le silence.