Si j'te casse les bras, tu pourras plus passer les vitesses / Legdre

Deirdre, fine prédatrice, avait perçu même retranchée dans son van l’hypothèse d’une visite, à la fois par la voix claironnante d’Aidan et l’agitation relative du husky ; la réaction de ce dernier semblable à celle qu’il avait quand il voyait des chats aurait du lui mettre la puce à l’oreille. Il n’y avait en effet à Slab City que le chat des Dahl, et encore elle se demandait comment il réussissait à survivre.
La voix familière la fit lever le nez du canon enrayé de son AK qui pour le coup portait très mal son nom, cette arme étant réputée pour marcher en toutes circonstances – raison pour laquelle elle était très prisée du terrorisme et plus généralement des activités illégales qui on s’en doute, pullulaient dans le coin, surtout quand on regardait du côté du pays des sombrero.

La remarque de Leg lui rappela qu’elle portait un bustier d’Aidan dont elle ne replissait évidemment pas le décolleté et une culotte à dentelles dont elle ne remplissait pas davantage le cul.

« Tu peux parler. » Elle le désigna. « Si j’me goure pas jeans/tee-shirt c’est pas loin du mauvais goût. »

C’était un compliment déguisé – comme 99 % de ceux dispensés par Deirdre – indiquant évidemment que d’habitude, il en avait.
Mais elle pardonna ce fashion faux pas, ayant elle-même renoncé à sa veste de moto par les quasi cinquante degrés qui se perpétraient. Raccoon l’avait dit : elles étaient venues pile à la mauvaise période.
Ouais ben on se marie quand on veut se marier.

« Mon business s’éternise. » répondit-elle finalement à la question. « T’es là pour ça aussi ? »

Question rhétorique ; pour quoi d’autre il serait là ? Elle se leva, écarta la silhouette élancée de Pussycat de l’entrée du van de sa carcasse de vautour amaigrie par les vêtements d’Aidan et une partielle nudité, avant de récupérer au sol une thermos de café qui ainsi placée en plein cagnard le gardait chaud.

-Le costard te va mieux.

Il s’en doutait probablement et n’avait de toute façon depuis que Deirdre le connaissait jamais eu rien à faire de l’avis des autres et surtout pas celui des femmes qui l'indifférait tant que, visiblement, elles ne lui faisaient pas gagner du fric.
Que ce soit ses combattantes.
Ou ses putes.
Deirdre l'avait saisi avec une cuisante mélancolie qu'elle ne digérerait sans doute jamais mais au dessus de laquelle pour les besoins du business (et la survie de son mariage cela va sans dire) elle passait.

-Qu'on règle ça ? demanda Deirdre haussant un sourcil.

Elle termina d’avaler sa gorgée de café et tendit la thermos à Legence en se léchant les lèvres.

-Tu me demandes sérieusement de sauver une demoiselle en détresse ?

Non, ça ne pouvait pas être sérieux, sachant qu'il connaissait très bien leurs manières de faire à tous les quatre et elles n’étaient certainement pas tendre.
Slavenko, Nina et Deirdre avaient disons, un rapport… Complexe avec l’infidélité et la jalousie contrairement à la grande perche en jean ici présente.

-Ou de lui faire un cratère à la place du crâne ?

Aidan lui jeta un regard en coin, toute affairée à des trucs de femme occupée.

-Je travaille sunshine, se justifia-t-elle aussi tranquillement que si elle avait annoncé la météo.

Échappant un rire nasal, Deirdre acquiesça d'un signe de tête comme si son collègue et patron avait évoqué une privatejoke, ce qui n'était pas tout à fait faux, et reposa le café dans ce four artisanal qu'était le sable chauffé par le soleil sans paupière de l'été californien.

-Oh tu sais expliquer les pires conneries, ne fais pas ton amateur.

Enfin jusqu'à présent il n’avait pas eu à le faire de la part de la BDT ou alors Deirdre n'était pas au courant, mais en même temps elle se fichait bien de ce qui dépassait la limite de taper sur le moindre élément vivant de son champ de vision.

-Morte entière donc ? demanda-t-elle très, très sérieusement.

Elle se cala sur le bord de la porte du van, les jambes repliées sur l’escabeau déplié qui permettait d’y monter, son AK farfelue sur ses cuisses dénudées déjà bronzées par le soleil. Elle ne se soucia pas du regard que son gay de partenaire posait sur Aidan ; du moins pas au sens sexuel du terme. Aussi ne fit elle aucune menace inutile, surtout parce que Legence la connaissait suffisamment bien pour savoir qu'elle saurait faire fonctionner cette AK dans la minute pour défoncer sa gueule de fier homme d’affaires.

-Je sais qu'elle bosse dans la photo érotique, le reste j’m’en soucie pas et l’inverse est aussi vrai. Elle m’appelle quand elle a besoin le reste me regarde pas.

Elle balaya leur environnement proche du regard.

-T'as plus de garde du corps ?

On pouvait reprocher beaucoup de choses à Legence mais pas son sens de l'humour, que Deirdre salua d’un bref éclat de rire, les yeux rivés sur son arme.

-Non tu as juste fait sauter un plancher et tu m'as déboîté le bassin en me fonçant dessus en Land Rover surmontée d'un pare-buffle.

Mais effectivement, Legence et Nina étaient plus précautionneux que Slavenko et Dei et c'était pour ça que tous les quatre fonctionnaient aussi bien ensemble. Deirdre se contenterait de faire sauter la porte au lance flammes comme d'habitude.
Son vis à vis ne sembla pas satisfait de sa réponse, contrairement à elle qui se satisfaisait de ne pas tout savoir des affaires de sa femme. C'était un bon informateur, elle ne se souciait pas une seule seconde de sa capacité à négocier avec la Louve pour apprendre des choses.

-En vacances, répéta Deirdre.

Elle se redressa. Legence, longue crevette sans aucune capacité de défense, venir sans son grand black clebs de toujours dans un campement réputé à peine hostile ?

-Il a fait une connerie et tu l'as fait buter tu veux dire ?

Son patron n’était pas réputé pour être une peau de vache, mais de là à donner des vacances au plus grand paramètre de sa survie (après sa capacité à user de son cul)...!

-Hm, fit sombrement Dei.

C'est à dire que la seule personne qui était capable de lancer quelqu'un aux trousses d'une enflure lui ayant réellement fait du mal se trouvait effectivement devant elle.
Du reste, au moins pour sa femme, Deirdre essayait tout simplement de ne pas mourir, au delà d'une résistance qui n’avait plus grand chose d’uniquement humain quand on connaissait l’intensité de sa foi en Dieu.

-Ah.

Décidément tout le gratin du Bronx avait débarqué ici. Il était plus flic celui là ? Qu'est-ce qu'il avait foutu encore…
Le barillet émit un cliquetis et Deirdre sans prévenir visa dans le sable un peu plus loin. Une légère salve partit d’un seul coup, soulevant quelques grains de sable et faisant s'envoler ce qui ressemblait fort à un vautour, éconduit.

-Tu mets des tee-shirt sur ton dos et ta vie entre les mains d’un ancien flic, rien ne va plus.

Elle passa sa main contre ses reins pour tirer sans gêne la culotte dont la dentelle lui rentrait dans le cul avec un claquement sonore. Les choses changeaient, visiblement.

-Ouais carrément. Ou quand comment ?

« Oh déstresse : j’aurais pu me marier avec toi. Là, le monde serait dans la merde. »

Dieu soit loué leurs chemins avaient préféré se séparer radicalement et ce n’était pas plus mal. Imaginons, la BDT formée de deux couples ? Quel romantisme à crever, c’est mignon. Effectivement Legence affirma que l’idée qu’il se marie était loin d’être bonne, ce que Deirdre confirma d’un signe de tête. Tandis que son collègue s’appuyait contre le van et que Aidan s’éloignait davantage faire ses affaires, son fidèle Arès sur les talons, Deirdre posa à l’intérieur de l’habitacle l’arme qu’elle avait fini de réparer, et s’employa à bourrer une vieille pipe qu’elle avait fini par récupérer dans un débarras du minuscule centre-ville. Il ne lui avait fallu que vingt-quatre heures pour affirmer que d’une part elle allait cramer plusieurs paquets par jour de sa femme qui n’avait rien demandé, d’autre part elle ne pourrait pas se contenter d’air mentholé avec son café.

La fumée épaisse d’un tabac tout sauf filtré s’éleva au dessus de sa tête tandis qu’elle enflammait le foyer de la pipe et que Legence expliquait le topo de la situation avec son air affairé que Deirdre arrivait encore à trouver aussi fascinant qu’agaçant.

« Personne n’a envie d’interférer avec les méthodes de Slav’ et moi. » confirma Deirdre à travers sa bouffée crachée comme une insulte à la face du monde. « Tu sais qu’ils sont là j’imagine. »

Elle cilla, son regard gris roulant sur la silhouette de son collègue.

« C’est toi qui nous a tous réunis ici, pas vrai ? »

« Et moi j’me préfère vivante. On se serait entretués. Ou plutôt, je t’aurais tué. »

Pas parce que c’était lui, mais parce qu’elle, elle était ainsi. Elle s’était mise autrefois avec un mec qui fonctionnait exactement comme elle, à qui être un déchet vivant de la société convenait bien, et ils avaient passé leur seule année en concubinage à se déchirer parce qu’ils ne savaient pas faire autrement.
Aidan avait une chance inouïe d’être encore vierge de tout sévice physique avec ce que Deirdre arrivait à faire à elle-même comme aux autres mais surtout, elle disposait en grande quantité de la seule et unique arme qui foutait les Haynes à terre.
L’amour.

« Oooh » commenta-t-elle au sujet du business du Pussybox. « Ils ont du a-do-rer. »

Elle avait cru comprendre en retrouvant l’un et l’aure, surtout Nina, qu’ils se cachaient d’une menace très intense. Elle avait vu dans leurs yeux ce qu’elle n’aurait pas pensé voir : la peur, qui les transformait en bête sauvage, paranoïaques.
Au delà de ce fait bien sûr, elle avait cru comprendre que Nina voyait les putes d’un mauvais œil, sans mettre exactement le doigt sur la source de cette contrariété.

« Je te donne l’importance que tu as pour moi et pour le reste de la brigade. » répondit Deirdre, implacable et qui détestait entendre les gens se sous-estimer. « Tu casses les couilles à faire semblant de n’avoir une place dans le coeur de personne alors que tu fais absolument tout pour être indispensable. »

S’il avait disparu plus longtemps que ça, elle ne l’aurait pas cherché.
Elle ne cherchait pas ses propres frères, alors penses-tu, un collègue, fut-il disparu avec un petit morceau de ce qui lui servait de coeur, ce n’était pas grand-chose.
Heureusement pour Deirdre sa souffrance n’avait pas de cordes vocales.

A sa question, et ayant remarqué son mouvement de tête, elle lui souffla sans scrupules son âcre fumée dans sa gueule suffisante de bellâtre.

« Tu me demandes ça alors que tu te démerdes à chaque fois pour être le preum’s derrière le volant. » chouina-t-elle gravement, comme une gamine dont le grand frère avait tous les privilèges.

Deirdre secoua la tête en signe de négation.

« Nan nan. Tsais Slavenko et Nina c’est le niveau au dessus du mien dans les affaires. Le genre de niveau où moins tu en sais, mieux tu te portes, t’sais. »

Dei savait beaucoup de choses mais elle savait surtout le minimum et c’était très bien comme ça. L’informateur, c’était Legence, pas elle. Elle se garda bien de confier son inquiétude au sujet de ces deux personnes qu’elle considérait comme des amis ; Legence trouverait le moyen de se moquer d’elle et elle se souciait un peu trop de la vision qu’il avait d’elle pour encaisser ses railleries.

« Ils savent que s’ils ont besoin ils m’appellent, je suis pas allée plus loin. »

Malgré son image de berserk sans peur, Dei restait bien souvent à sa place, parce qu’elle avait la flemme de se mêler des affaires des autres, tout particulièrement depuis que son re-mariage contribuait à reforger en elle la notion de famille.
Donc de gens à protéger. Il lui appartenait donc de ne pas trop merder pour éviter de risquer la vie de sa femme et de son fils.

« Evidemment que ç’a marché. » soupira Deirdre en roulant des yeux avant de caler sa pipe au coin de ses dents. « ‘u ‘agaces, ‘omme ‘habitude. »

Un jour elle allait lui coller une claque pour lui faire comprendre sa manière de penser. Elle leva ses fesses de l’escabeau contre le fer duquel les os de son coccyx se battaient dans un duel qui devenait douloureux et fit craquer sa hanche encore fragile de l’accident de voiture. Elle tira la langue à Leg qui ne perdait jamais une occasion de se vanter de sa conduite, et c’était bien parce qu’elle savait pertinemment que la Triumph avait un moteur roadster et non racing qu’elle ne lui proposa pas de faire la course.

« D’accord mais je monte pas dans ta voiture. » précisa-t-elle dans ce qui était devenu une habitude. « Je m’habille et j’arrive. »

Ouais parce qu’aller faire des affaires en petite culotte fallait pas pousser.

Après avoir averti Aidan de son départ, Deirdre avait passé l’unique jean de la garde robe de sa compagne et s’était contentée de sa brassière de combat en haut en dessous de sa veste de moto. Malgré les cinquante degrés plaquant tout Slab City contre le sol aride du désert, elle s’était équipé comme il le fallait pour rester en sécurité, et arriva comme la mécanique l’aurait annoncé sans peine après Pussy, prétendant tester quelques acrobaties sur les dunes ondoyantes de l’environnement. Elle descendit de sa moto avec agilité, et s’amena près de Legence, légèrement en retrait comme à chaque fois qu’elle travaillait en sa compagnie, sa veste entr’ouverte et son casque de moto en guise d’arme si quelqu’un faisait trop chier – en plus du Colt qui se serrait contre sa cuisse.

Elle fit sa mauvaise tête butée quand Pépito la désigna du menton comme un clebs de garde – ce qu’elle était finalement – et décida de rentrer dans son jeu. Elle cacha ses lèvres de la coupe de ses mains tandis qu’elle s’allumait une cigarette, et n’expira que lorsque Legence lui adressa la parole, une boule de fumée opaque trop longtemps conservée dans le creux de ses joues.

« Ils m’appellent pas. »

Certains animaux ne réagissaient qu’à l’exacte suite de syllabes de leur nom : Dei était de ceux-là.

« C’est quoi le deal ? »

Deirdre haussa un sourcil à la remarque hautement machiste et condescendante qui comportait une marque de possessivité malvenue ; elle avait essayé de tuer Rauera parce qu’il avait couché avec Leg, qui était-elle pour le lui faire remarquer ceci dit ? La suite des événements se composa de fajitas très épicées que Deirdre n’avala que lorsque Legence se chargea de lui traduire le menu. Il précisa gracieusement que ce n’était pas vivant, signe qu’elle n’allait pas lui coûter trop cher cette fois-ci. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’étaient des saloperies maya et aztèques mais ce n’était sans doute pas plus mal de n’en savoir le moins possible quand on faisait son métier, en attestait la conversation qu’ils venaient d’avoir à côté du van. A l’instant où elle entendit qu’il fallait passer la frontière avec ce merdier, elle sut que ça serait le bordel. Mais étonnamment, ce n’était pas ça qui inquiétait Legence.

Elle lui jeta un regard agacé qui signifiait « Tu te fous de ma gueule ? » mais ne donna pas l’impression aux Mex’ que Legence n’avait pas d’autorité sur elle – ce qui n’était que moyennement le cas au demeurant  - et fit passer à leurs yeux la question de Leg pour une forme de politesse qui déguisait simplement un « de toute façon tu n’as pas le choix si tu le fais pas t’es pas payée ».

Les Mex semblèrent satisfaits et s’éloignèrent un instant pour discuter de leur langage de fajitas épicées, Deirdre tira sur sa clope.

« Pourquoi tu veux m’accompagner au juste, t’as rien de mieux à faire ? »

La justification de Legence ne tenait pas debout mais il l’énonçait avec cette tranquillité d’homme d’affaires qui disait que de toute façon il n'en donnerait pas d'autres. Deirdre fronça tout de même les sourcils pour montrer qu'elle n'était pas d’accord avec l'idée ; elle détestait qu'on soit derrière elle quand elle faisait du business, même si on annonçait sourdement qu'on se souciait d’elle et qu'on aimerait la voir revenir.

-Oh je pensais pas à ça.

Et comme d'habitude, Deirdre ne disait jamais que le minimum et donc elle ne dirait pas à quoi elle pensait puisque de toute façon on s'en foutait ; ça ne faisait pas avancer les affaires. Une rumeur sourde monta derrière eux dans le groupe des Mexicains mais elle décida de ne pas s’en soucier et de tourner le dos, sa clope toujours entre les lèvres, encaissant le soleil brûlant qui semblait vouloir l’écraser comme une mouche sur le capot de la Lambo.

-Hm, il faudra te passer de mes services le mois prochain. J’ai un gros client qu’est dans la merde et qui a demandé mes services de toute urgences. C’est loin.

Elle souffla sa fumée au dessus de leurs têtes.

-Sarajevo. Là aussi tu vas m'accompagner pour être sûr que je dézingue pas tout le monde ou ça va aller ?