Candace | Too bad we don't ever see each other

NOM. King PRÉNOM(s). Candace et Jemima, son deuxième prénom était celui de la mère de son père. ÂGE. 17 ans DATE ET LIEU DE NAISSANCE. Née le 10 décembre 2001 à Dover, comté de Kent, dans l’état du Delaware. ORIGINES/NATIONALITÉ. Américaine. TAFF. Elle était élève à la Dover High School. L’école ça prépare à beaucoup de choses mais pas à la vie dans le désert. Elle essaye de se rendre utile où elle peut.STATUT CIVIL. Célibataire. GROUPE. Etesian.

Et ta piaule, à quoi elle ressemble ? Ce n’est pas vraiment sa piaule à proprement parler, c’est celle de Rauera qui a accepté de l'héberger. Par rapport aux autres habitations, celle-ci n’est ni la plus belle, ni la plus horrible, mais dans tous les cas, elle se retient bien de faire une quelconque remarque à son sujet, c’était déjà suffisamment gentil de se part de lui laisser un bout de sa demeure et de pouvoir dormir sous un toit, même s’il est pas encore tout à fait hermétique à certains endroits.

Comment t'as débarqué ? En bus, en stop, sans jamais regarder en arrière, sans jamais regretter quoi que ce soir. En mentant sur son âge, en faisant pitié et trouvant ainsi refuge dès le premier soir de son arrivée. Elle s’attendait à plus de remarques que cela, mais en expliquant la raison de sa fugue, certains estimaient que cela suffisait comme raison pour venir s’échouer ici. Traverser quasiment tout le continent, c’était déjà un pas vers la paix et le bonheur. Ici, c’est une chance de repartir de zéro et de trouver des gens qui sauront lui apporter ce dont elle a toujours manqué : de l'amour.

Qu'est-ce que t’espères trouver ici ? La paix. Élevée dans la violence, elle ne peut plus supporter le moindre cri ni le moindre coup. Elle veut trouver un nouveau foyer: elle aimerait voir des gens qui ne se disputent plus, des gens qui ne regrettent plus la naissance de leur enfant. S’il y a déjà rien que ça, ça sera déjà un grand pas en avant. Elle restera ici le temps qu’il faudra, peut-même qu’elle y restera toute sa vie, une vie qui vient à peine de commencer d’ailleurs : dix-sept ans, c’est rien. Elle aura largement le temps d’y réfléchir, de changer d’avis, de se tromper, de partir, de revenir ; tout ça avant même d’avoir dépassé la trentaine.

On dit que les gens pleurent non pas parce qu’ils sont faibles, mais parce qu’ils ont été forts pendant trop longtemps. Je ne sais pas si cela s’applique à moi ou pas, je sais juste que j’ai pleuré très longtemps et très souvent. À ce qu’il parait, mon père était un homme doux et terriblement sympathique. Sur le terrain, lorsqu’il commandait ses hommes, ils le respectaient non pas par crainte, mais par respect. Je ne l’ai jamais vu de mes propres yeux, je ne l’ai jamais connu et il est mort sans même savoir que j’étais venue au monde; étrange et funeste coïncidence : je suis née le jour de sa mort, je poussais mon premier cri lorsque lui poussait son dernier, abattu par les talibans en Afghanistan. Ma mère apprit la nouvelle le lendemain de l’accouchement, et je pense qu’en quelque sorte, elle aussi est morte ce jour-là.

Elle ne savait plus comment faire, elle n’était peut-être même pas faite pour élever un enfant désormais. Cependant, elle a cessé d’avoir peur et d’être triste lorsqu’elle est tombée amoureuse d’un homme de la pire espèce. Lui n’était définitivement pas fait pour élever un enfant. Et pourtant, elle avait fini par épouser cet homme : elle avait oublié le brave soldat, elle l'avait remplacé par cet immonde cocaïnomane. Je pense qu’il se vengeait de quelque chose, que sa vie était un amoncellement d’épreuves douloureuses et de tristesse quotidienne. Il se vengera sur moi. Petite, les coups étaient encore faiblards. Je n’avais pas cinq ans qu’il me punissait de mes maladresses : si j’avais le malheur de faire tomber quelque chose, je savais qu’il viendrait me bousculer, me secouer, me faire tomber et me donner des gifles. Aujourd’hui encore, je ne savais pas ce qu’il attendait de moi, si cette éducation stricte était censée m’endurcir, me rendre parfaite ou je ne sais quoi.

J’étais presque seule dans mon malheur, parce que ma mère ne comprenait pas ce qu’il se passait ou alors elle refusait de comprendre et peut-être même de voir. Il ne me restait que le caporal Ermey qui avait servi avec mon père. C’était devenu un ami de ma mère, une sorte de tonton qui venait souvent à la maison me raconter les exploits de mon père. Mon père, je ne le voyais qu’en photo, prenant la pose devant un hélicoptère tandis qu’un large sourire se dessinait sur ses lèvres. Je n’avais jamais vu quelqu’un sourire de la sorte. Pendant plusieurs nuits, j’ai rêvé que mon père revenait d’entre les morts et qu’il venait frapper à la porte de ma chambre. Il était toujours vêtu de son uniforme et il venait me sauver de mon tortionnaire. Nous nous enfuyions à bord d’une voiture décapotable et il me répétait en boucle « c'est bon, c’est fini ». Mais cela ne se pouvait : plus jamais il ne pourrait venir me chercher, c’était impossible, j'attendais quelque chose qui n'arriverait jamais. Je venais à en demander de l’aide à Dieu, mais je crois que lui aussi m’avait abandonnée.

J’ai arrêté d’avoir de l’espoir. J’ai arrêté de croire que ça pouvait plus être pire : ça l’était toujours.  Maintenant que j’étais plus grande, il avait arrêté de retenir ses coups, et si j’avais le malheur de rentrer des cours avec une mauvaise note, j’étais battu. J’avais trouvé quelques refuges dans la peinture et dans l’écriture. Je me sentais artiste, marginale, je n’écoutais pas la même musique que mes camarades. Mon amie, ma seule amie au college, Diane, me coiffait et m’habillait. Ce look un peu atypique, ça vient d'elle. Diane et le caporal Ermey, ils n'étaient pas aveugles, ils me demandaient régulièrement ce qui n’allait pas, s'ils pouvaient me venir en aide, mais je leur répondais que tout allait bien. Mon beau-père m’avait prévenu après tout, si je parlais à qui que ce soit de ce qu’il se tramait à la maison, il disait qu’il me tuerait, et cette menace me terrorisait suffisamment pour que je me taise à tout jamais et que le secret soit gardé. Quant aux bleus et cicatrices, je les couvrais avec des manches longues.
Les choses pouvaient encore empirer à ce stade-là, même si j’étais persuadé du contraire. Ma mère alcoolisée à longueur de journée végétait devant la télévision : qui était cette femme ? M’aimait-elle encore ? M'avait-elle seulement aimé d'ailleurs ? Que faisait-elle avec cet homme-là ? Lui, il me frappait moins, mais j'avais compris que c’était parce qu’entre temps, mes seins s’étaient développés. Il avait remplacé les gifles par des caresses et pour moi ce fut le signal : il était temps d’abandonner le navire. Je suis persuadée que si je n’avais pas fugué, ce monstre m’aurait violé.

Je ne savais pas du tout où j’allais, je savais simplement que je voulais plus être à la maison. J’ai pris le bus jusque dans l’Illinois, dormant dans la rue en compagnie des SDF une fois la nuit venue. J’ai été prise en stop par un jeune couple en camping-car qui se dirigeait vers Las Vegas pour rejoindre des amis. J’ai vécu un moment avec eux, le temps du trajet quoi, et j’ai aimé ça, parce que je me sentais libre. Puis éventuellement, ils ont commencé à se poser des questions et ont voulu me ramener chez mes parents lorsqu’ils s’aperçurent que je n’avais pas dix-huit ans. Je me suis faufilé hors du véhicule la nuit tombée, comprenant que ma place n’était pas avec eux. Mais alors où était ma place ? Je fus prise une nouvelle fois en stop par un homme curieux qui ressemblait à s’y méprendre au Christ. Pour moi, c’était un signe. Il apportait quelques confiseries à son frère qui vivait à Slab City. Ce n’était pas la première fois que j’entendais ce nom, je l’avais déjà vu dans des reportages sur YouTube, et jamais l’endroit ne m’avait paru aussi attrayant. C’était décidé, je ne remonterai pas dans sa voiture lorsqu’il repartira d’ici, je resterai avec les rebus de la société. Ce fameux frère n’était pas dans la capacité de me loger, mais une autre âme charitable, une âme gigantesque d’ailleurs, put s’en charger. Je ne savais pas si mon histoire l’avait ému ou pas, mais lorsqu’il me dit que je pouvais rester vivre avec lui, j'en fus soulagée. Que pouvait-il m’arriver avec un tel garde du corps ? Quels genres de troubles pouvais-je subir avec une telle communauté ? Avais-je enfin trouvé ma place ou étais-je en train de me bercer d’illusions ?