Son père, James, est le chanteur et compositeur d’un groupe de rock assez peu connu, qui parcourt pourtant le monde pour se produire aux quatre coins du globe. Il rencontre Abigail lors d’une tournée en Irlande. Coup de foudre instantané, ils se marient et elle tombe enceinte dans la foulée. Malheureusement la vie de James l’empêche de se poser et Abigail obtient la garde exclusive, son père leur rendant seulement visite de temps à autre… Jusqu’à ce que l’irlandaise décède dans un accident de voiture. James hérite de la garde d’Aislin, alors âgée de cinq ans. Il l’élève seul, mais la famille d’Aislin se compose aussi de tous les autres. Les membres du groupe de musique qui sont constamment fourrés chez eux, l’emmènent en virée, lui apprennent à jouer de la guitare, à chanter et à danser. A la maison y a du bruit tout le temps, c'est jamais réellement vide, la vie n'est jamais réellement calme, et c’est tant mieux.
Elle passe les premières années de sa vie sous le ciel gris de l’Irlande, à tenter de passer entre les gouttes alors que les averses se multiplient. La grisaille est seulement percée par les récits paternels, lorsque celui-ci vient la voir. A la mort de sa mère, elle quitte l’Irlande au profit du soleil de Los Angeles où il pleut parfois, mais où le froid devient un concept abstrait qu'on n’expérimente que lorsqu'on quitte réellement la ville. Le mélange de ces deux univers semble façonner chez elle un tempérament explosif, dont les extrémités feraient presque penser, parfois, à une personnalité bipolaire. Elle passe son enfance dans une maison à dix minutes de la mer, sans jardin mais avec un grenier immense dans lequel son père lui construit des cabanes.
Des récits de voyage de son père, elle garde des rêves plein les yeux, et elle nourrit l’ambition de parcourir le monde, non pas pour flâner, mais pour réaliser des documentaires ! Malheureusement, son manque d’assiduité en cours n’aidera pas à la réalisation de ce fantasme… Son éducation est assez chaotique. Si son père essaie de la pousser à ne pas louper les cours, il se laisse trop souvent attendrir par les battements de cils de sa fille, d’autant qu’il est rarement présent pour s’assurer qu’elle s’y rende. Elève douée mais bien trop peu assidue, elle ne se fond pas vraiment dans le moule, ne s’intéressant qu’à certaines matières, en délaissant complètement d’autres. A ses quatorze ans, elle arrête sa scolarité pour faire l'école à la maison, décidant de partir en tournée avec le groupe de James qui n’a pas la force de lui refuser ce caprice. Elle délaisse les mathématiques et la science au profit d'autres apprentissages, plus ludiques. Elle apprend la musique, le dessin, à boire sans finir ivre, à conduire une moto et à les réparer, à faire du surf et du roller, à chourer dans les magasins sans se faire choper ou à servir de copilote sur les routes.
La route, c'est la grande vie. Ils font le tour des Etats-Unis en caravane, bouffent à l'heure espagnole et font le tour des petites salles de concert, même dans les coins les plus paumés du pays. Aislin se fait des amis sur la route, des amants aussi, qu'elle ne reverra jamais parce qu'elle ne reste souvent qu'une semaine avant de déjà repartir. Mais ça ne fait rien, parce qu’elle ne s'attache pas, vit au jour le jour, prend tout ce que la vie lui donne parce que son père lui a appris à dire merci. Parce que la mort de sa mère lui a appris que rien ne dure, aussi. D’ailleurs, elle en veut toujours plus, réclame sans arrêt, se laisse volontairement entraîner dans des aventures chaotiques, quand c'est pas elle qui les trouve, de crainte sans doute de mourir avant d’avoir assez vécu.
Sa première fois, c'était le jour de ses quinze ans, dans une grange au Texas, avec le fils du propriétaire. C'est pas l'explosion des sens, la paille lui brûle la peau et le gamin est un peu gauche, mais elle recommence quand même. Et puis avec le temps, elle y prend goût malgré tout. Comme elle ne gagne pas de thunes tant qu'elle est sur la route, elle découvre d'autres façons de se faire de l'argent de poche. Elle vend son corps parce qu'elle le veut bien, seulement quand elle le veut et à qui elle veut. Avec le fric , elle se paye ses tatouages, quand ils sont pas offerts par les potes de son père... Mais surtout, elle se paie du matos, et des voyages.
Ce n’est pas tant de voir du pays qui l’intéresse que de découvrir de nouvelles cultures, de vivre des choses nouvelles. Avec sa caméra bas-de-gamme, elle réalise des documentaires amateurs que presque personne ne verra, sans que ce constat la peine réellement. Elle finit par ouvrir un site internet pour y conter ses rencontres, y publier les photos prises et partager les découvertes qu’elle trouve fascinantes. Elle passe plusieurs mois en Inde, dont une partie est consacrée à une retraite de bouddhisme et de méditation. Lors d’un voyage en Sibérie, au départ destiné à apprendre à vivre en pleine nature sauvage, elle est initiée au chamanisme. La découverte la mènera en Afrique, où elle décide de découvrir le vaudou. Aislin est une éponge, elle s’imprègne de chaque voyage, de chaque rencontre, se créant une identité hétéroclite dans laquelle elle-même pourrait se perdre parfois. On la trouvera aussi bien installée en tailleur au bord de l’eau en pleine méditation, qu’assistant à des combats clandestins pour lesquels elle s’évertue à jouer les bookmakers, ou debout sur un comptoir à se déshabiller pour quelques dollars.
C’est cette personnalité versatile qui la mène à la frontière mexicaine, jusqu’au campement de Slab-City dans lequel elle pose naturellement ses bagages. Au départ, elle vient pour les festivals, puis pour revoir les amis rencontrés sur place… Jusqu’au jour où elle s’y installe pour de bon. Elle se sent à sa place parmi les nomades, à l’aise sous le soleil de plomb qui pourtant brûle la peau trop pâle des irlandais. Elle repart souvent sur les routes, quelques temps, mais ses pas la ramènent toujours au pied de la Salvation Mountain.