Belle est la colline, joie de toute la terre - ( natacha)

Coucou  

L’expérience de Natacha lui avait appris comment ne pas mourir de chaud dans les contrées les plus hostilement chauffées par le soleil et contrairement à ce que l’on pouvait penser, cela ne signifiait pas se balader presque à poil. La pudeur de l’animal était toute relative, mais elle appréciait se cacher du monde parée de couleurs qui retiendraient davantage l’attention sur le tissu que sur son visage où les particularités de son être.
Elle eut le temps, vautrée sur un petit monticule de ceux qui composaient Salvation Mountain, de réussir à capturer l’image d’un coyote qui passait, le corps osseux drapé d’une peau élastique brûlée par le soleil. L’appareil numérique franchement résistant captura la laideur relative de la bestiole et relâcha son focus pour le laisser repartir.

Drapée dans un châle coloré tenu en place sur sa tête par un chapeau de cow-boy, Natacha se redressa et épousseta son sarouel plus par réflexe que par réel inconfort. Le désert californien n’était pas sale, puisqu’il était quasiment dépourvu de vie humaine.
Ses pieds nus foulèrent la surface irrégulière des monticules avec précaution ; pas suffisamment néanmoins, car elle relâcha son attention une micro-seconde : le temps de trébucher et de dévaler l’une des pentes pour se vautrer dans l'obscurité d'une crypte aménagée dans l'édifice. Elle avait protégé son appareil de toute façon robuste de ses petits bras tatoués, mais son chapeau s’envola, chevauchant gaiement le courant d'air sablonneux comme un cheval doré, avant de disparaître dans l'obscurité.

Se redressant, sur le qui vive comme un animal qui croit être chassé, Natacha, les pupilles dilatées, chercha à regarder autour d’elle pour analyser son environnement. La conjugaison de la soudaine baisse de luminosité et des grains de sable coincés sous ses paupières lui fit cligner ces dernières et pleurer les yeux. Elle bascula sur le cul, tout en longs tissus colorés éparpillés autour d’elle comme si elle se déchirait de toutes parts, ses locks s’emmêlant sur ses épaules comme pour lui faire une armure. Sur sa tête, le vide créé par l’absence de son chapeau lui fit un petit courant d’air. Elle se frotta les yeux en geignant, puis retrouvant un semblant de vision, alluma son appareil pour vérifier qu’il fonctionnait encore.
Le cadran s’alluma, l’objectif se déplia dans une série de cliquetis. Ouf ! Elle échappa un soupir de soulagement, juste au moment où quelqu’un la salua avant de s’enquérir de son état.

Natacha percuta qu’elle ne parlait pas mexicain, comme la plupart des voix qu’elle avait entendues jusqu’ici dans les parages, et cela la surpit. Les yeux exorbités, elle cilla plusieurs secondes, avant de répondre par un hochement de tête. Avec un regard d’excuse, elle tapota sa gorge, où sommeillaient des cordes vocales désespéréments immobiles.

Se redressant, elle épousseta ses vêtements qui cette fois étaient réellement plein de sable, et remarquant son chapeau abandonné un peu plus loin, elle le récupéra d’une pression des doigts sur le haut de ce dernier. Néanmoins, elle le garda pressé contre sa poitrine, car on lui avait dit que pénétrer en intérieur impliquait de retirer son couvre-chef.
Elle secoua son bras jusqu’à ce qu’à son poignet se montre un bracelet de perles gravées de lettres réalisé par une des artistes du cirque, indiquant son prénom, Natacha en toutes lettres. Elle le montra à l’inconnue, se désigna elle, puis désigna la dame. « Et toi ? »

Jess. C’est joli. Elle lui accorda un sourire, levant le pouce en l’air pour montrer qu’elle avait compris.
Sa compagnie du jour ne sembla pas saisir que Natacha était totalement capable d’entendre ; le mutisme se limitait à la parole. Mais elle ne lui en tint pas rigueur ; la plupart des muets étaient effectivement malentendants, et il serait trop long d’expliquer sa situation. Trop triste aussi. Elle ne cherchait pas d’énergies négatives en venant se balader ici pour prendre des photos. Justement, on lui demanda la raison de sa présence ici. Elle sursauta, prise d’une soudaine conscience : est-ce qu’elle était chez quelqu’un ? Il ne lui avait pas semblé que c’était le cas, et même si ç’avait été le cas, entre nous, elle n’était pas exactement respectueuse des conventions sociales comme la propriété privée.
Pour répondre, elle montra son appareil photo. Comme elle faisait du numérique – difficile de faire autrement avec cinquante degrés qui auraient tôt fait de cramer les pellicules – elle se rapprocha elle aussi de la jeune femme pour lui montrer l’écran qui permettait de prévisualiser les photos. Le désert s’étendait, imperturbable, sur la plupart d’entre elles, moucheté de caravanes, de tipis, de silhouettes, et enfin de Salvation Moutain.

Elle laissa pendre son appareil à son cou, avant de sortir des replis de ses châles un minuscule carnet à spirales en son haut, et inscrivit quelques mots dans un anglais relatif.

« Tu habites dans cette crypte ? »

Un lieu de quoi ?
Natacha ne sembla pas comprendre, jusqu’à ce que la jeune femme désigne les statues et autres effigies d’une certaine forme de religion. Elle ouvrit la bouche en signe de surprise, de sorte de faire comprendre qu’elle saisit enfin, et joignit les mains l’une contre l’autre au niveau de sa poitrine pour mimer une prière, le regard interrogatif. C’était donc ça. Elle en avait vu beaucoup, des sites de recueillement comme celui-ci, mais jamais d’aussi beau...et d’aussi mal indiqué. C’est qu’elle aurait pu crever dans sa chute et le lieu de recueillement serait devenu un tombeau. Ca fait une belle jambe tout ça.
Jess lui indiqua qu’elle aussi visitait les lieux, mais elle apparemment ne prenait pas de photos. Tant mieux, elle serait la photographe officielle de cette expédition.

Eteignant son appareil et rangeant son carnet, Natacha se chargea de remettre son grand chapeau sur sa tête même si dans un lieu pareil ça ne se faisait pas – je l’ai dit : elle s’abrite de ce chapeau comme de toutes les conventions possibles et imaginables qui rebondissent sur ses châles et ses dreads comme sur une carapace. Le regard invitant, elle tendit la main à Jess en se dirigeant vers une autre cavité, pour l’enjoindre à explorer en sa compagnie.