A moment of something (Apolline)

Tu devrais pas être surpris d’apprendre qu’il y a une infirmière au campement. Il ya de tout ici. Des comptables, des avocats, un juge, un millionnaire qui squatte un vieux bateau -qu’est-ce qu’il fout là lui sérieux-, alors une infirmière, ça n’aurait pas dû te surprendre. Et pourtant. Pour une fois, c’est une rumeur que t’as écouté parce que t’aurais bien besoin que quelqu’un regarde à ta jambe. Enfin, ta moitié de jambe, ou plutôt son extrémité. Le temps ici n’est pas clément à ce niveau et t’aurais bien besoin qu’on te conseille. C’est pas que t’a pas confiance en internet pour ça mais t’as pas confiance. Au moins, elle est plus facile à trouver que le tatoueur. La nana squatte un tipi et ça, c’est vraiment pas commun. Quoi que dans le coin, y a bien des yourtes -ce fichu bateau-, alors un tipi... Y a rien de si étonnant.

Ton éternelle clope au bec et les mains dans les poches, tu te pointes devant le fameux tipi alors qu’un chien te regarde en battant joyeusement de la queue. Tu lèves un sourcil perplexe. T’adores les chiens, vraiment mais t’es jamais fan quand un chien est pas tenu en laisse. On sait jamais s’ils sont agressifs ou non.

- « Y a quelqu’un ? »

Super discret mais efficace. Une caravane, on peut taper sur la paroi. Pareil avec les vans ou les bicoques provisoires mais un tipi. Ce serait entrer par effraction dans la vie de quelqu’un et t’as bien gardé en mémoire certaines règles de taule. Un genre d’instinct de survie appris à la dure, une règle de base pour rester en vie.

Le chien t’aboie dessus alors tu fais un pas en arrière sauf qu’il fait un pas en avant en agitant la queue encore plus vite.

- « Essaie de mordre le mollet en chair et en os tu veux. Les prothèses, ça coûte une blinde mon gros. »

Ouais, t’as des priorités et tu préfères avoir ta vraie jambe en charpie. Illogique mais pour toi, ça fait sens.

Une couronne de fleur séchée dans les cheveux, tes longs cheveux noirs ébènes tombent en cascade sur ton dos dénudé. Tu te penches sur le petit foyer qui trône au centre du tipi. Des plantes sauvages sont en train d’y infuser. Assise en tailleur, tu relèves la tête en entendant Jean-Jacques aboyer joyeusement. Tu parles d’un chien de garde, il voit dans chaque inconnu un potentiel partenaire de jeu.
Tu tires une latte du cône d’herbe que tu avais entre les mains avant de le déposer dans le cendrier en métal doré que Sly a ramené d’un de ses énièmes voyages. « j’arrive! Deux s’condes! »

Bondissant sur tes jambes trop fines, tu attrapes une culotte dans un coin, et enfiles un short en jean par dessus. Oh t’es pas pudique pour deux sous, mais il parait qu’il faut éviter de sortir cul nu devant des inconnus.
Tu soulèves la porte de tissus et tombe nez à nez avec… oh sa mère. Tu as un clignement d’yeux surpris. Non, ça ne peut pas être Ludwig, ton amant allemand. Clairement pas. Mais il lui ressemble. Ou alors c’est l’herbe? « Jean Jacques! Doucement. » Le bouvier répond sagement à son prénom que tu fais claquer dans l’air de ton accent français, et tu relèves tes grands yeux rieurs et ton sourire franc vers le jeune homme à qui il manque une jambe, mais franchement, c’est une formalité. Le vieux d’à côté joue aux billes avec son œil de verre, alors tu penses bien. « J’peux vous aider? Moi c’est Apolline! »

Bon, au moins, tu t’es pas déplacé pour rien, y a quelqu’un. Reste à savoir si tu t’es pas planté de... tipi ? Est-ce qu’il y en avait seulement d’autres dans le coin ? Fort probable que oui, rien ne te surprend plus à Slab. Vraiment rien.

Quand elle pointe son nez hors de la tente, tu reconnais l’odeur de l’herbe comme si c’était hier. Et la couronne de fleurs. C’est vraiment une infirmière ? Pas que tu jugeais au premier coup d’œil mais cette fois un peu. Il s’agit de ta guibole quand même et tu sais que t’as intérêt à faire gaffe parce que tu peux rapidement te retrouver à devoir ressortir les béquilles si les irritations entraînent des infections. T’as pas besoin de ça et c’est ce que tu redoutes. T’en as déjà assez avec le retour en force des douleurs fantômes qui te réveillent de nouveau la nuit. Comme si ta putain de jambe était de nouveau broyée par la carcasse de la caisse. T’en voudras à Viggo encore longtemps même si t’as été assez con pour le suivre. Pas vraiment résolue la colère même si tu vis plutôt bien ta situation.

Jean-Jacques ? Le chien s’appelle Jean-Jacques. Ok, pourquoi pas.

- « Euh... » T’es pris au dépourvu par son sourire et ses yeux expressifs comme pas permis. Ah bah putain. Tous les jours une infirmière comme ça. « Ouais. Moi c’est Wayland. On m’a dit que t... vous pourriez m’aider ? Les douleurs fantômes, les irritations à cause de la chaleur et du sable. Ce genre-là quoi. »

Tu te passes une main dans tes cheveux déjà salement saccagé et tire sur ta clope avant de te gratter le menton et de poser la question qui te brûle les lèvres. T’as des doutes quand même.

- « Z’êtes infirmière, c’est bien ça ? »

Troublée par la ressemblance que tu trouves chez ce type avec Ludwig, et qui n’est pas due qu’à l’herbe que tu viens de fumer, tes dents se plantent dans ta lèvre inférieure alors que tu lui offres le plus lumineux de tes sourires: c’est à dire un sourire assez classique pour toi. Ça n’est pas te vanter, loin de la, mais ton sourire à ce truc de solaire qui fait souvent du bien à ceux qui le voient.
Il est donc venu pour des problèmes liés à sa prothèse. Tu n’aurais pas osé le proposer de peur de le vexer mais il semble en parler assez librement pour qu’il n’y ait pas de malaise. Ton sourire se teinte de douceur et tu le regardes tirer sur sa clope.

Tu marques une seconde d’hésitation et décides de la jouer franc jeu: « En fait je suis magnétiseuse. Mais je sais traiter ce genre de problème oui. Et j’ai un onguent super efficace pour les irritations duent à la chaleur… » Tu n’es pas une infirmière à proprement parler, mais si les habitants de Slab t’ont collé cette étiquette, c’est qu’ils sont contents de ce que tu fais pour eux.
Jean-Jacques vient nicher sa tête sous ta main et tu relèves tes grands yeux noirs vers ceux de Wayland. « Tu me laisses regarder? » S’il vient frapper dans le tipi d’une inconnue, c’est pas tout à fait par hasard. C’est que ça doit sacrément le faire chier. Tu as bien conscience de la limite du magnétisme, et tu n’as jamais prétendu pouvoir guérir les maladies qui nécessitent des traitements plus sérieux. Mais les douleurs, fantômes ou pas, c’est précisément ton champ d’action.

T’es emmerdé, tu vas pas dire le contraire. Si t’es venu ici, c’est pour voir une infirmière pas une magnétiseuse. Tu crois pas pour un balle en ces trucs-là. C’est plus fort que toi, tu te méfies. Y a quand même pas mal de monde qui adore faire gober aux gens des conneries plus grosses qu’eux et en taule, t’as entendu parler de tellement de façon t’entuber ton prochain que tu peux que réfléchir à deux fois en entendant un truc pareil. Perplexe, tu grattes ta barbe de trois jours, ça se voit sur ta tronche que t’es sacrément emmerdé et que tu cherches pas à le cacher. Quand il s’agit d’être convainquant, tu ferais tout gober mais quand tu fais pas d’effort, ça se voit sur ta tronche.

- « C’est que j’voulais un avis médical quoi. »

Tu tires sur ta clope en réfléchissant à tes options. Tu risques pas grand-chose à la laissant regarder mais elle pourrait pas faire quoi que ce soit si elle y connait rien. Alors t’es franc, t’as pas trop le choix. C’est important qu’en particulier cette partie là de ta personne soit saine. Tu peux te négliger, te laisser aller, te niquer la santé mais paradoxalement, ta jambe droite, ta prothèse, c’est important.

- « J’suis pas sûr. Sincèrement. Z’avez l’air sympa et tout ça mais ça peut me causer des emmerdes et devenir vachement handicapant. Regarder ferait pas de mal mais j’vois pas vraiment c’que vous pourriez faire quoi. »

Tu veux pas la vexer, c’est pas ton but surtout que ouais, elle a l’air super gentille comme nana mais comme tu viens de dire, ça peut vite devenir problématique voire très handicapant et tu veux absolument éviter que ça en arrive là.

Ah.
Bon, ça c'est dit. Il n'essaie pas d'y mettre les formes, et comme tu as les réactions d'une enfant qui n'a jamais grandie, ça te contrarie, et tes dents se plantent doucement dans l'intèrieur de ta joue, pour y mordiller la peau. Tu détournes les yeux. Tu l'as déjà entendu des dizaines et des dizaines de fois cet argument, tu sais bien que le corps médical dis de ton art que c'est un attrape nigaud et que ça n'a jamais rien guéri. Le truc, c'est que contrairement aux magnètiseurs comme ton père, toi, tu n'as jamais prétendu guérir qui que ce soit. Tu permets juste de soulager les gens. Oui, bon, comme ça aussi. - Je comprends, mais je te jure que je suis sérieuse. Tes mains montent dans tes cheveux et... merde la couronne de fleur. Bon, conjuguée à l'odeur de beuh, ça doit pas aider à te donner l'air sérieuse, faut avouer.

Tu hoches la tête, respectueusement, parce que tu ne le forceras, de toute façon, pas à te laisser regarder. Ca n'est pas comme ça que tu fonctionnes, mais ça te chagrine de le laisser repartir alors que tu sais que quelque chose ne va pas. - Je sais pas guérir les gens. Tu balances, sincèrement, en plantant tes grands yeux noirs dans les siens. Un frisson te parcourt. Il ressemble foutrement à Ludwig. - Le magnètisme ne peut ni soigner du cancer, ni arrêter Alzeihmer. Tu as raison. Tu marques une pause, avant de poursuivre: - Mais il soulage vraiment les douleurs. C'est une méthode où on ne touche pas au corps. Tout au plus, je pratique les massages parce que je fais du tantrisme aussi. Quand on appose les mains, on ne touche pas. Je pourrais pas te faire de mal ni aggraver les choses si je te touche pas, pas vrai? Par contre, si j'ai raison et que ça marche... ca pourrait te soulager. J'ai aidé un de mes anciens voisins en France. Douleur du membre fantôme. Le magnetisme a remis ses énergies en place, la douleur s'est envolée. Sans avoir besoin de toucher. Je veux pas abîmer les gens. Tu ajoutes dans un sourire.

Tu soulèves la toile du tipi pour ouvrir la porte: - Tu veux tenter? Ou au moins entrer boire un truc? Ton sourire de petite fille revient, parce qu'il n'est jamais loin et tu mordilles doucement le coin de ta lèvre infèrieur en espérant qu'il accepte.

On ne peut pas dire que t’as essayé de faire ça avec tact mais en même temps, tu te voyais pas tourner autour du pot pendant mille ans. Tu crois pas que ce genre de truc fonctionne et c’est encore tout juste si tu crois en Dieu alors forcément... Pas que tu veuilles lui faire de la peine mais c’est juste ce que tu penses et même si tu mens comme un pro -surtout à toi- y a des moments où ça sert à rien. T’es sûr et certain qu’elle est sûrement persuadée de ce qu’elle avance et qu’elle est vraiment sérieuse mais c’est pas ça qui va te convaincre.

T’allais faire tes adieux juste quand elle se remet à parler. T’es intrigué maintenant. Elle prétend pas guérir visiblement et ça change un peu des charlatans en la matière, faut reconnaître. Du coup, t’es sympa, tu restes là et t’écoutes ce qu’elle a à ajouter. Franchement ça te convainc pas que ça fonctionne mais elle a pas tort quand elle dit que sans toucher, elle peut pas faire pire. Elle marque un point et en toute honnêteté, ça t’emmerde parce qu’au point où t’en es, n’importe quoi ferait l’affaire. Chier. Dépité mais résigné, tu te passes une main sur le visage et tu finis par écraser ta clope dans ton petit cendrier hermétique accroché à ta ceinture.

- « Ok. Ça peut pas faire pire t’façon. »

La situation pourrait l’être par contre. Alors ouais, tu vas tenter. Pourquoi pas après tout.

- « J’suis pas contre un verre non plus. »

Tu prendras ce qu’on te donne pour le coup, t’es pas chiant et tu bois n’importe quoi. De toute façon, après la gnole de la taule, tu peux pas goûter pire. Même certains alcools artisanaux passent mieux que la merde faite en prison.

Tu n'es pas certaine qu'il accepte de te suivre à l’intérieur de ton tipi. Tu sens bien qu'il est sceptique, et à une époque, tu n'aurais même pas insisté. Mais à cette époque là, tu avais un salaire d'architecte, et le magnétisme n'était qu'un complément de revenu. Aujourd'hui, tu dois te faire une réputation à Slab City, et ça, c'est un challenge permanent, parce que c'est le genre d'endroit où les gens parlent, ils parlent beaucoup, et ils se font vite une idée, rien qu'en écoutant ce que racontent leurs voisins.

Cependant, il semblerait que tu ais finalement fait mouche. Ton sourire s'étire, doucement, sur ton visage. Tu ne sais pas si ça suffira à le convaincre que ça marche, mais déjà, il a accepté de te laisser essayer, et c'est le premier pas vers le reste. - Promis, j'ai jamais mangé personne. Personne qui ne le voulait pas en tout cas. Ajoutes-tu, mutine et charmeuse, comme à ton habitude.
Faisant pénétrer le jeune homme à l'intèrieur de ton tipi, tu t'avances vers le petit évier de fortune, dans lequel tu verses de l'eau, ainsi qu'un savon naturel pour te laver soigneusement les mains. Tu sers deux verres avant de venir t'asseoir sur l'un des nombreux tapis qui composent le sol. - Viens, assieds toi, c'est un thé glacé maison, à base de verveine. C'est à dire un truc qui rafraîchis, et par ce temps, c'est de toute façon, la seule chose que tu peux avaler.

Tu attends qu'ils se soit assis pour te pencher délicatement sur la jambe de son pantalon que tu remontes soigneusement le long de sa prothèse. Une fois à hauteur de son moignon, tu écartes les mains, relevant vers lui, tes grands yeux noirs profonds: - J'te laisse la retirer toi-même. C'est quel genre de douleur? Juste le moignon ou alors ta jambe te fait mal aussi? Je demande, d'une voix douce, et sérieuse.

C’est pas de la peur que tu ressens en suivant la miss aux fleurs dans son tipi, c’est du scepticisme, de la perplexité. Si y a bien un truc pour lequel t’es terre à terre, c’est ça. Si t’as encore une once de croyance en Dieu, c’est par habitude parce qu’en toute franchise, t’es de ceux qui estime que s’Il était vraiment amour, t’aurais pas perdu ta jambe. Et qu’on ne vienne surtout pas te sortir qu’Il avait un plan et une bonne raison. M’enfin ça, tu n’y penses vraiment que quand t’es en colère, ce qui n’est pas le cas ici. Là, t’es juste... t’attends de voir et t’espères certainement pas un résultat même si t’aimerais que ça marche parce que tu sais plus quoi faire pour faire une nuit de sommeil complète.

- « On peut faire du thé glacé avec de la verveine ? »

Oh, tu sais que c’est une plante mais ta connaissance s’arrête là. Le thé, c’est pas ton truc et t’as tendance à boire un jus de chaussette immonde en guise de café. Un truc qui trouerait l’estomac à n’importe qui mais le tien tient le choc. Jusqu’à maintenant.

Tu la laisses remonter la jambe de ton short. T’as accepté depuis longtemps mais depuis... ‘fin, t’as du mal à laisser quelqu’un regarder maintenant. Pendant quelques secondes, t’hésites à la retirer à sa demande mais tu finis par t’exécuter. T’as été amputé sous le genou et ça se voit que c’est pas nouveau. C’est nickel bien sûr parce que tu fais vraiment attention mais la peau est irritée en raison de la chaleur et de la transpiration malgré tout tes efforts.

- « C’est... agaçant. Comme frotter un tissu rêche sur de la peau sensible au point que parfois j’ai envie de balancer la prothèse et tout le reste. Sinon c’est... bah la jambe. ‘fin la partie qui est plus là. Douleurs fantômes quoi. Ça me rend dingue. Elle est plus là, j’suis plus censé avoir mal et ça s’était calmé mais voilà, ça recommence. L’impression qu’elle est de nouveau coincée et écrasée dans cette fichue bagnole. »