For a moment I don't even care (Tristan)

Ça fait un moment que ça te travaille. Paraît que y a un type qui fait du tatouage à l’ancienne, classique dans le coin. Le genre à tirer la gueule mais un bon. Y a d’autres rumeurs mais celles-là, tu t’en cognes un peu en fait. Même le fait qu’apparemment, il est du genre à tirer la gueule. C’est pas ton problème. Tout ce que tu veux, c’est tester le tatouage classique. Tu t’étais promis que le dernier serait le dernier et maintenant, t’as l’air d’un con mais heureusement, y a que toi qui la connais cette promesse que tu t’étais faite. Faut juste que celui-là soit vraiment le dernier.

T’as tourné un peu en rond pour le trouver dans le campement mais t’as fini par reconnaître la description de la caravane. Tu juges pas, tu t’en fous. Ta piaule à toi, c’est... une construction franchement louche mais c’est pas la pire dans le coin. C’est pas une caravane, c’est pas une maison, c’est un truc, un ovni mais c’est chez toi. Clope au bec, tu frappes du bout des premières phalanges sur l’extérieur et t’attends. Tu donnes encore une drôle d’image, comme d’hab. T’as un vieux t-shirt d’un obscur groupe amateur du Bronx, un bermuda en jeans troué et délavé et tes grandioses claquettes bleues électriques. Bien entendu, ta prothèse est bien visible, décorée et peinte comme si un artiste fou était passé par là, ce qui était le cas vu que c’était ton œuvre. Pas la prothèse bien sûr mais la déco. Tant qu’à être estropié, tu préfères l’être avec style.

En attendant, t’es salué une ou deux fois et tu salues en retour. Tu te rappelles pas de la moitié des noms des gens mais pour ta défense, c’est jamais que des anciens clients du garage ou de ta petite casse perso.

En attendant et en fumant ta clope, tu regardes le paysage. Enfin les peaux quoi. C’est... intéressant comme déco mais pas surprenant. En fait, ça donne un assez bon indice que t’es au bon endroit et que t’es pas en train de glander devant la caravane d’un type random dont tu te fous.

Quand la porte s’ouvre, t’as la clope à mi chemin du bec, stoppé en pleine contemplation. Si on veut. Le gars à l’air un peu sur les nerfs, un max sur la défensive. On dirait toi quand t’es sorti de taule à chaque fois qu’on frappait à ta porte. T’avais plus l’habitude d’avoir une porte. Enfin si, mais pas une que tu pouvais ouvrir toi-même.

Pendant une longue minute, tu laisses le gars te dévisager, t’en fais autant sans broncher et en continuant à fumer ta clope comme si c’était le comportement le plus normal du monde. Le fait que t’aies l’air de t’être coiffé avec un pétard et des cernes qui commencent à marquer te fait même pas réfléchir au fait que t’as peut-être l’air d’un junkie. Après tout, t’y peux rien si tu dors moyen en ce moment parce que tu t’es remis à te torturer pour des conneries auxquelles tu peux rien changer de toute façon. Le plus beau, c’est que t’arrives à te convaincre que tout baigne et que tu te portes comme un charme. L’auto-persuasion, t’es un pro.

- « J’ai entendu dire que tu tatouais façon classique ? »

Les présentations, c’est très surfait. L’important de toute façon, c’est le tatouage, pas son nom. T’oublies de toute façon le nom de la plupart des gens quand tu fais pas un effort. Les gens vont et viennent, tu leur en veux même pas quand ils oublient ta tronche et ton nom. Tu comprends même. Bordel, t’as fait le coup à ta sœur. Pas l’oubli du nom -encore heureux- mais bien celui de la disparition. Ton ex t’avait fait le coup aussi et tu te sens toujours très con de lui avoir couru après d’ailleurs. Une des pires conneries que t’aies pu faire, à part monter avec Viggo et aussi avoir volé puis emplafonné cette caisse. Conduire avec des béquilles et une jambe, franchement... Tu massacrerais bien ta version passée pour ça.

T’es blasé. Un peu. On peut pas dire que tu sois un véritable rayon de soleil en ce moment. Ta vie pourrait se passer mieux. Tu te mens comme un pro mais ton corps est plus difficile à convaincre que ta tête. C’est pour ça que tu retiens de justesse un soupir ou un grognement, tu sais pas trop, sans même savoir d’où il vient. T’as juste pas envie de redevenir ce type qui en veut à la terre entière. Pourtant au fond, t’as pas changé, tu t’es juste convaincu que tout allait bien. Sacré menteur que tu fais.

Le gars peut appeler sa façon de bosser comme il veut tant qu’il tatoue effectivement comme t’en as entendu parler. C’est quand même ultra tentant comme technique et ça t’as toujours fait envie. T’as pas grand-chose de côté et ça partira là-dedans mais c’est pas comme si t’avais autre chose à faire de ta thune que de te nourrir et te soigner quand y a besoin.

De ta poche arrière, tu sors une feuille de papier où t’as dessiné ce que tu voulais. Tant qu’à faire, tu préfères te faire tatouer tes propres motifs sur la peau. C’est pas une si petite pièce et tu sais que tu vas douiller quel que soit l’emplacement. Sans l’ombre d’un doute et tu le reconnais sans te mentir pour une fois, c’est ce que tu recherches. Te sentir vivant, c’est un peu ton but au-delà de la liberté.

- « Tu peux retoucher comme tu veux, mettre ta touche perso. Genou et jambe droite. »

Oui, ta jambe à moitié estropiée. Ce qui implique le gars va voir la gueule de ta jambe sans ta prothèse. Toi tu t’en cognes mais peut-être pas lui.

- « Sauf si ça pose un problème. »

Tu sais que ça perturbe certaines personnes de voir ça en face, ça a même fait gerber une de tes exs qui se croyait assez forte. Ça a pas duré entre vous étrangement.