Fabuless (Sly)

- « Connard. »

Tiens, elle commence fort ta journée. T’as pas mis ta gueule hors de ton bunker depuis dix minutes que tu te fais déjà insulter. Tu lèves un sourcil en matant l’origine de l’insulte. C’est qui lui déjà ? T’hausses les épaules et tu t’allumes une clope. Peu importe, ça lui passera, ou pas. Tant qu’il vient pas t’emmerder plus que ça, ça t’es complètement égal. C’est pas comme si tu promettais la lune et encore moins fidélité à qui que ce soit. Bordel, t’as encadré ton officialisation de divorce et tu l’as foutu dans tes chiottes. C’est pas assez clair ? Tu fais ça dans chaque endroit où tu vis et vu que les chiottes, tout le monde y passe, tu peux pas faire plus flagrant. Limite, faudrait que tu fasses une réplique de l’en-tête pour faire faire un paillasson. Ce serait peut-être plus clair. Bah.

En attendant, c’est en ville que t’as prévu d’aller pour boire un verre. Tu bois aussi bien en solo qu’en groupe mais tu préfères quand même boire en communauté. C’est plus convivial, et ici, tu peux pas passer les bières par ton balcon. T’en as pas. Et t’as pas de voisin non plus.

Le temps du chemin, t’as fumé quelques clopes et c’est naturellement que tu rentres avec ta cancerette entre les doigts. Tu te lances aussi sec.

- « Hey, whisky on the rocks. »

Tu buvais jamais ton sky avec des glaçons mais ici, t’as fini par t’y mettre histoire d’apporter un peu de fraicheur. T’as pas été calibré pour ce genre de température à l’origine. Pourtant, t’es pas foutu de lâcher tes jeans ni tes t-shirt à manches longues. C’était ta façon de cacher tes nombreuses cicatrices mais ici, tu craques et tu relèves les manches. Les tatouages les dissimulent un peu. Ça évite aux gens de te dévisager plus que de raison, au moins un peu.

Tu t’installes, remercies et paies puis poses ton chapeau sur la table et accroches tes lunettes de soleil à ton col.

« Bonjour mon cher, vous avez un bien joli chapeau. »

Pas du tout ; il est noir et témoigne d’une sobriété qui ne doit avoir d’égale que son manque criant de personnalité, et témoigne de lacunes évidentes en termes de goût pour la mode. Mais c’est une manière d’engager la conversation, n’est-ce pas ? A cette heure là le bar connaît un petit creux de fréquentation et nous ne sommes pas beaucoup. Les seuls qui viennent se calent dans un coin de l’enseigne, et nous ne sommes que deux au comptoir, le moment rêvé pour taper la causette. Et donner des cours de mode ! Ca c’est vrai qu’avec mes cuissardes rouge vif légèrement ouvertes sur les cuisses, et mon body vert fluo, je suis totalement paré pour jouer les cristina cordula de Slab City aujourd’hui ; a-bso-lu-ment.

Hum hum ? Tu doutes franchement qu’il trouve ton chapeau si joli si sa tenue doit être un indicateur de sa façon de voir la façon de se saper des autres. Nom de Dieu, même tes potes te disent que tu passerais inaperçu si seulement t’étais pas à moitié recouvert de tatouage et de cicatrices. Sauf si les gens savaient que tes cicatrices étaient dues à une pratique qui en fait frissonner plus d’un.

- « Merci. Cela dit, pas aussi coloré que vous l’êtes. Audacieux. »

Venant de la part d’un type qui se suspend par la peau, tu peux parler d’audace. En même temps, tu trouves ça plus audacieux d’associer un rouge pétard à un vert fluo que de faire ce que tu fais pendant tes petits démo. Sans déconner.

- « Z’avez pas chaud dans les cuissardes ? »

T’en as déjà porté -que personne te demande jamais pourquoi, on fait des choses étranges au pieu quand on a un bon grammage d’alcool dans le sang couplé à de l’herbe- et tu sais donc de première main que c’est pas forcément très respirant. Cela dit, tu peux bien la boucler avec tes jeans et tes t-shirts à manches longues, même si tu retrousses lesdites manches.

Je lui adresse un clin d’oeil orné d’un savant claquement de la langue – c’est tout un art, il ne faut pas croire.

« C’est mon deuxième prénom. »

C’est joli audacieux, c’est un pseudo que j’aurais pu prendre en habitant ici pour de bon. Mais mine de rien mon petit prénom très simple me convient. De toute façon tout le monde vous donne des surnoms toute votre vie, à quoi bon avoir un prénom si c’est pour ça ? J’attire le regard de cet homme bien bâti dont la virilité échauffe ce qui déjà cuit à l’étuvée là bas dessous, c’est que ça colle les couilles cette merde. C’est tout juste si on pourra pas les bouffer à la sauce blanche quand je me déshabillerai ce soir – ou avant si l’humeur m’en dit.

« Si ! Mais vous savez ce que c’est, ici on a chaud même à poil. Alors quitte à crever de chaud, autant que ce soit avec classe ! »

Mon verre habituel, fondu d’un petit ‘sky sans prétention, glisse sur le comptoir et je le saisis pour le lever en direction de l’homme avec un sourire ; à ta santé mon pote.

- « Aucun inconvénient à ce que j’vous appelle Audacieux alors ? »

T’es pas du genre à vouvoyer mais dans le cas présent, faut reconnaître que ça t’amuse. Puis un type comme ça mérite que tu te fendes la gueule de ce langage pseudo poli. C’est amusant parce qu’avec ton accent serbe qui a bien du mal à se faire discret depuis que t’es revenu, ça donne une drôle de tonalité à la conversation.

- « J’peux pas dire le contraire. Cela dit, j’admets que je préfère le coton vu la chaleur ou finir à poil dans les réservoirs. »

Encore une fois, dit le type qui s’est retrouvé en jupe en cuir et en résille y avait pas de ça une semaine. Vegas était qu’à deux cents kilomètres et franchement, c’était pas énorme. De là à se souvenir pourquoi il s’était retrouvé en jupe et en résille... C’était une autre histoire. Ça aurait fait mourir Lardon de rire. Con que tu l’aies perdu de vue.

Tu lèves aussi ton verre pour trinquer avec lui. Ça a l’air d’être un chouette type, le genre avec qui on s’ennuie sûrement pas. Aucune chance de mourir d’ennui avec quelqu’un capable de se fringuer comme ça.