L'Europe était au sommet du style. Puis un jour : Merkel, la Fiat Panda, le Starbuck, et les Télétubbies. || Slyeshda

« Pardon mon petit, vous me gênez. »

Je soulève presque la silhouette gracile de Nadeshda pour très clairement la décaler de l’entrée du Huitzilin juste avant de me retourner pour appeler Basalte.

« C’est bon tu peux sortir Baz, la voix est libre mon poulet ! »

Dans un grognement, le videur de la maison close sort, chargé d’un énorme fauteuil à qui il fait douloureusement passer le chambranle de la porte. Mains sur les hanches et reins cambrés par le port de mes inénarrables cuissardes rouge vernies, je le regarde faire, mes yeux glissant de manière appuyée comme si je le touchais réellement sur ses muscles sombres roulant sous sa peau luisante de sueur, rendue presque irréelle par le néon bleu-rose placardé à côté de l’enseigne. Il fait frais ce soir – seulement trente-neuf degrés – mais le moindre effort à Slab City vous met en nage, et perso si j’ai eu des couilles un jour dans ma vie, elles se sont fossilisées dans mon mini short coriace, asphyxiées probablement.

Le fauteuil quitte les quartiers pour aller à qui voudra le prendre ; son mauvais état ne me permet pas de le garder à l’intérieur.
Eh ouais, j’ai un certain standing, quand même.

Basalte s’éloigne un peu pour aller déposer au coin de la rue à côté des conteneurs – qui ne sont plus desservis depuis bien longtemps, je me demande toujours où disparaissent les ordures – le gros fauteuil club un peu vieilli qui a accueilli dans son sein nombre d’activités toutes plus exotiques les unes que les autres. Quant à moi, je me retourne vers la charmante petite demoiselle qui d’apparence – et d’âge potentiellement – aurait pu être ma fille.

« Oui mademoiselle, le Huitzilin est à moi. Enfin sur le papier...ou ce qu’il en reste. Bref, il est à tout le monde. Pourquoi cette question, vous cherchez du travail ? »

Un concert de grincements provenant de la maison retentit et Kaali apparaît sur le seuil, nue comme au premier jour, ses dread de toutes les couleurs drapant ses épaules et se terminant en tatouages sur les parties de son corps qu’elles ne peuvent pas couvrir. Elle n’échappe pas à l’aura irréelle que lui donne la lumière violette.

« Sly il faut encore virer Clayton. »

Je désigne le coin de la rue du menton.

« Baz’ a bientôt fini, change de chambre, pioupiou. »

Elle paraît satisfaite et disparaît. J’extirpe de ma ceinture une cigarette que je lisse entre deux doigts avant de l’allumer.

C’est à mon tour de rire et de désigner le bouquin corné qui a plus que tout des airs de grimoire.

-Hein ? Mais qui a écrit un truc pareil ?

Non mais je déconne un peu, c'est vrai que c'est touchant. C’est vrai aussi que venant d’un ancien urbaniste et architecte d’intérieur, on s’attend à quelque chose qui ait un minimum de classe.
Bon j'irai pas jusqu'à dire que cette baraque a de la classe, mais qu'elle a… Un “charme authentique de l'ancien” comme on dit dans les agences immobilières quand on veut vendre quelque chose qui ressemble à un taudis.

-Bon ben c’est dommage quand même, tu es une jolie fille.

Et ici, ce n’est pas un reproche, bien au contraire. Ici de toute façon on ne fait rien comme tout le monde. Je hausse les sourcils à sa question, attends un peu pour être sûr qu'elle ne raconte pas de conneries, et comme ça ne semble pas être le cas, je la fais rentrer juste après le retour de Basalte.

Nous passons le seuil surplombé de mon Manoel empaillé pour pénétrer dans le hall. Ce dernier, majoritairement occupé par le comptoir d'accueil, s’échappe vers les étages, en colimaçon, une marche sur deux grinçant comme dans un manoir hanté. Les murs ont disparu sous des tentures indiennes recouvertes d’odes aux dieux et déesses de cette superbe culture et le tapis persan orné d’un lion en pleine chasse jauge du regard un lustre suranné orné de drapeaux de prières.

-Se balader ici c'est comme faire le tour du monde.