NOS CŒURS SANS BALLES.

NOM. ORTIZ. la fleur du mexique, le vagabond du désert. PRÉNOM(s). NEO. vieux débris aux accents de nouveauté. ÂGE. VINGT HUIT. le calvaire qui court vers la trentaine. DATE ET LIEU DE NAISSANCE. XII.VII.MCMXC. MEXICO. ORIGINES/NATIONALITÉ. MEXICAINES. dealeur de nachos. TAFF. GLANDEUR BOY. cracheur du toit, contemplateur du ciel, bouffeur de corps, croqueur de pilules, emmerdeur journalier, fumeur de quartier, zoneur d'asphalte, fétichiste des joints. STATUT CIVIL. QUEUTARD. en mal d'amour, en mal du siècle. GROUPE. OSTRIA. les marginaux.

Et ta piaule, à quoi elle ressemble ? Le palace du pauvre. Un taudis à l’âcre odeur de tabac froid, au sol s’éparpille la cendre, la poussière, la poudre blanche et les caleçons sales. La vaisselle s’entasse et les draps massèrent. L’évier est bouché et le siphon remplit de cheveux longs — longs parce qu’ils appartiennent à des femmes. Y’a des cadavres de bières et des squelettes de mégots, des vinyles cassés parce qu’on a marché dessus sans faire exprès, des oreillers déplumés et pas un seul paquet d’oseille. La serrure est rouillée, déformée d’avoir été trop forcée. En fait il n’y va plus, parce qu’il a paumé les clés y’a quelques semaines et qu’il galère à payer son loyer. Alors il préfère zoner plutôt que de s’faire capturer par l’huissier.

Comment t'as débarqué ? C’est avec Héra qu’il a sauté le mur. Puis c’est sans elle qu’il s’est fait enfermé entre quatre autres. Slamb City c’était son royaume avant de devenir sa prison. Neo y a vécu une liberté factice pendant près de deux ans. Il a finit au pilori des toxico y’a plusieurs mois, bousillé par les rails comme si il était passé sous un train.  

Qu'est-ce que t'espères trouver ici ? Héra. Pour l'(h)éradiquer.

((IDGAF)) Môme du Mexique, il crâme sous l’astre brûlant. La peau tannée, les mains poussiéreuses. Il grave des squelettes dans le granit des maisons, il hurle comme un coyote à la lune et dévale des kilomètres de sable qu’il avale dans ses poumons enfumés. Il façonne des crews, au fil des ans, des déplacements, des déménagements. Il façonne des gang de marginaux, des buveurs de spiritueux qu’il chourre dans la commode de sa mère. Celle qui n’est jamais là, qui ne le sera plus jamais. Une amazone en road trip perpétuel, une mère absente qui se donne à l’éternelle jeunesse perdue. Un vieux fantôme patriotique, que le village haït pour avoir laissé son rejeton foutre la merde à la nuit tomber. Neo il escalade les grandes villas, il se prend pour un roi, quand à dix-sept ans il endosse la croix des sans foi ni loi, quand il épouse l’amour du vol et le goût du risque. On le voit passer la frontière, adepte de l’adrénaline et des sensations fortes, sautant les haies des palais mexicains, en cavale, coursé par la police, le sourire rehaussé d’or et les épaules chargées d’argent. Neo est roi.

((DANS UNE NUIT ETERNELLE QUE L’ON BAISE, QUE L’ON BOIVE)) Neo trimballe de la gazelle sous le bras. Presque tout les soirs. Ça lui prend comme une envie d’pisser, comme une envie d’baiser, comme une envie d’trinquer. D’faire payer Vénus et sa prolifération. Parce que Neo en veut à sa mère, il en veut aux femmes entières. Il abhorre leur indifférence, leur inconscience, leur irresponsabilité. Parce qu’elles couchent, parce qu’elles en redemandent, parce qu’elles oublient une fois sur deux l’préservatif. Neo il voit fleurir des mômes dans ses prunelles quand elle frôle le septième ciel, il les voit vomir l’absinthe qu’elles ingurgitent avant le dernier coup de rein. Vorace il en redemande, n’arrivant à prendre son pied qu’au moment où il les fou dehors, le drap encore sur le corps, les cheveux déformés par l’oreiller sur lequel elles venaient de s’affaler. Il se repait de la détresse qui s’allume dans leurs yeux, parce qu’elles n’ont plus qu’à se démerder pour rentrer.

((HOLLYWOOD IS ALRIGHT)) Hyperactif jusqu’aux chevalières qui lui niquent les phalanges — ses phalanges consumées par la cendre — Neo est atteint d’un trouble de déficit de l’attention. Impulsif, il ne tenait pas en place, son cul clouté à une chaise de classe. Il a finit par sécher les cours, n’empochant pas l’ombre d’un diplôme, la mère trop absente pour palier le manque de culture. Neo n’a pourtant rien d’un con. Zonard en péril, il a pris les sorties de secours des cinémas pour aller pécho du film dans les salles obscurs. Il a fini par préférer Godard au porno. Il a piqué du vinyles en masse, braqué un piano dans un bar pour y déverser ses doigts tremblant de coke, sur de vieilles mélodies abîmées par le défonce. Il a chouravé de la mine graphite dans les papeteries pour imprimer sur des croquis poussiéreux des graffitis, des esquisses, des dessins, des œuvres épaves. Neo s’est calmé, dès le moment où il a appliqué le charbon sur le papier. Au milieu de ses pétards éteints, on trouve des ébauches, obscurcies par la cendre et violines de vinasse. 

((HÉRA, SA CIGARETTE DIFFUSE ET ON PART EN FUMÉE)) De l’autre côté du mur y’avait cette princesse aux pommettes métissées. Elle le parlait du Mexique comme personne, elle parlait de Neo comme personne. Elle avait Shakespeare au bout de la langue et Delacroix entre les doigts, elle avait Aphrodite entre les jambes et un planétarium dans les yeux. Elle a fait valser Neo, flancher ses jambes, taillant en deux son putain de coeur en apothéose. Elle l’a fait grimper aux nues, jurant qu’il avait le coup de crayon d’un artiste. L’illusion avait le goût de l’ailleurs, de l’après-désert. Il l’a sautée — c’est certain — comme ils ont sauté la barrière du Mexique. Deux ans de promesse, un miroir friable qui s’est fissuré quand l’ombre d’une nouvelle muse a débarqué dans la caravane de la poupée. Les coups de reins se sont transformés en coup de vent. Il passait pour voir fleurir sur les murs d’un bungalow des œuvres qui n’étaient plus les siennes. Elle a bouffé ses croquis comme Cerbère, le laissant passer pour le chemin vers l’enfer. La gloire s’est évaporée dans un cratère de fumée, laissant Neo seul sur le trottoir, avec entre ses doigts charbonneux et tremblants un énième rail de coke. Carnivore, elle a volé son art, elle a bouffé son cœur en recrachant les os.