Six, ça fait longtemps qu’elle a arrêté d’attendre quelque chose de quelqu’un.
Il y a les familles où tout se passe bien. Les familles avec leurs problèmes quotidiens. Les familles qui divorcent mais gardent de bonnes relations. Celles qui divorcent dans l’indifférence. Celles qui le font en détruisant tout. Il y a toutes les autres aussi, avec leurs nuances. Et puis, il y a celles qui n’agissent pas. Ainsi ont toujours agi les Clervil, dans le déni. Tout ira mieux. Putain de devise.
Depuis toujours, Six assistait à des prises de bec entre ses parents. C’était régulier, c’était la normalité. Ça n’était jamais violent, c’était juste excessivement bruyant. Ses parents, s’ils s’étaient aimés un jour, ne s’aimaient clairement plus depuis longtemps et elle se demandait d’ailleurs si elle n’avait pas été un moyen de tenter de recoller les morceaux de leur couple, comme son frère. Ou alors, elle avait été un accident des suites d’une tentative de réconciliation sur l’oreiller.
Ça l’avait longtemps préoccupé et elle avait été tentée plus d’une fois de poser la question. Elle renonçait toujours pourtant. Comme tous les enfants, elle détestait voir ses parents se disputer, mais c’était la norme chez les Clervil. Du moins jusqu’à ce jour-là. Celui où tout avait basculé sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte.
La dispute avait commencé comme toutes les autres, sur base d’une connerie quelconque concernant la maison. Même aujourd’hui, Six était incapable de dire quel était le sujet de la dispute ce jour-là. Tout ce qu’elle sait, c’est que ça a pété. Ses parents se sont enfin séparés. Son frère est parti avec son père et sa mère, elle l’a larguée chez sa grand-mère comme on largue un chien au bord de la route. C’était pas si mal, honnêtement. Au moins avec elle, Six avait une belle vie, elle était juste une enfant à l’abri des disputes.
Puis il y avait eu ce putain d’ouragan. Katrina.
Adieu grand-mère, adieu la maison, adieu la belle ville. Baladée de famille d’accueil en famille d’accueil, elle s’est forgée un caractère, une carapace. Sa mère ne voulait pas d’elle, son père non plus visiblement et son frère, elle ne se souvenait que de leur enfance. Elle a grandi comme ça, responsabilisée trop tôt, n’allant à l’école que jusqu’à ce qu’elle ne soit plus obligée, jetée du système dans la foulée. Elle a ensuite eu son appart’, pas un truc fou, pas un truc très grand mais c’était chez elle et elle y était bien.
Pendant longtemps, Six a eu la paix et puis son frère a ressurgi. Elle n’avait rien contre lui alors elle a gardé le contact. Ça a suffit pendant un temps, jusqu’à ce qu’il déconne et qu’elle soit forcée de l’accueillir chez lui. Sa grand-mère disait qu’on abandonnait pas les siens -pas comme si on ne l’avait pas abandonnée, elle- mais elle devait ça à sa mémoire. Elle a ouvert sa porte et après des mois, quand elle est un jour rentrée chez elle, elle a trouvé son appart vide. Plus de meubles, plus de vaisselles... Il lui restait juste ses vêtements, son matelas, ses photos et ses souvenirs. Tout ce qui avait pu être revendu avait été embarqué. Heureusement qu’il n’avait pas les clefs de sa voiture sinon, elle n’aurait même plus eu son vieux taco.
Elle a tout fait pour tout récupérer mais rien n’y fit, la police se foutait un peu de la situation même s’ils ont quand même montré un peu d’intérêt. Alors elle a vidé son compte en banque, a fait le tour de toutes les caravanes d’occaz’ jusqu’à tomber sur quelque chose de pas trop pourri et pas trop cher, histoire de pouvoir acheter de la bouffe et de l’essence. Tout ce qui lui restait à faire, c’est prendre la route.
Ça fait maintenant un peu plus de six mois que sa voiture à rendu l’âme à Slab et elle ne voit pas l’intérêt d’en partir. C’est peut-être pas ce qu’elle espérait dans la vie mais au moins, elle a un toit au-dessus de la tête et une paix relative. Se cacher sans se cacher, ça a du bon finalement. Et le temps n’est pas mauvais, ce qui ne gâche rien.