Imbécile, j'dirais même que t'es con / Rauera

Occupé à vider les cartons qui venaient d’arriver pour le Boyuyu, je laissais le service à l’une des nombreuses personnes qui s’occupaient du bar. Les jours de livraison, c’est moi qui suis de corvée de déchargement: je vais pas leur en vouloir, j’ai un peu plus de masse musculaire que la blondinette ultra tatouée qui tient la caisse aujourd’hui.
« Maui? Y’a quelqu’un pour toi. J’me casse alors tu passes au comptoir ok? » Je fronce les sourcils. Quelqu’un pour moi? Soit mes saloperies ont finit par monter aux oreilles des flics, soit… la mini boule de poil qui ne me lache plus releve les oreilles et je la choppe par le cou pour hisser le petit tigré dans mes bras.

Torse nu, un jean qui tombe sur mes hanches, je pousse la porte de la réserve et esquisse un sourire en reconnaissant une silhouette filiforme au comptoir. « Tu t’es fait attendre… » Je traîne le sable de Slab City depuis presque un mois, tu m’étonnes qu’il s’est fait attendre. M’enfin, c’est du Pussy tout craché quoi.
Je me verse un rhum ambré - C’est moi qui le fais importer celui la - et je contourne le comptoir en sortant mon paquet de cigarillo, alors que mon petit protège tigré trottine sur le bois du comptoir: « T’en fumes une? » Signe s’il en fallait un que je ne lui en veux pas.

Un bref regard vers la porte m’indique de l’après-midi va être calme. Les clients du Boyuyu n’arrivent que plus tard dans la soirée, à cette heure-ci, il fait encore bien trop chaud pour que les gens sortent.
Je tourne les yeux vers son verre: « Oh elle a réussi à te refourguer cette merde? Viens avec moi. » Tournant une petite pancarte sur le comptoir, pour passer de « ouvert » à « fermé » je fais signe à Pussy de contourner le comptoir pour l’emmener dans la réserve. Le petit tigre ne me lache pas les basques et je sors une bouteille d’un carton en hauteur pour lui en servir un verre de whisky digne de ce nom: « Tiens. Celui ci est vachement meilleur. L’autre c’est celui pour les nouveaux et les saoulots. » J’explique en sortant deux cigarillo, l’un que je lui tends et l’autre que j’allume entre mes lèvres.

Je hoche les épaules en m’adossant au comptoir de l’établi de la réserve: « Ce qui est certain c’est qu’aucun flic viendra me trouver ici, alors on peut dire que t’as bien fait. » Pour le reste c’est un peu un back to basics, on va pas de mentir. « Le van a tenu le choc pour le trajet? J’ai aménagé un bus ici. Tu verras c’est grand confort. » Je tire une latte de tabac en remontant les yeux vers ceux de Pussycat: « Le corps de l’autre pute, tes gars ils s’en sont occupés hein?» Je demande, pour avoir confirmation qu’aucun cadavre roux ne traîne plus derrière moi. Par sécurité hein.
Le tout petit chat se dresse sur ses deux pattes pour attirer l’attention de Pussycat et je roule des yeux, amusé: « T’es déjà en train de m’tromper ptite chose? »

Un rire franchit mes lèvres à sa remarque. De toute façon, les clients n’aiment pas beaucoup la dites blonde. Ils ont bien saisi qu’ils étaient mieux servis quand elle n’était pas là. Mais le Boyuyu est associatif, et on ne peut pas virer quelqu’un qui fait ça bénévolement.
Je relève les yeux à l’évocation du moteur du van. « J’y jetterais un œil. C’est un vieux machin, il a peut être besoin d’une révision. T’es venu avec ta Lambo? » J’en connais un qui a du faire sensation auprès des gamins de la ville en pénétrant sur le campement tiens.

Rassuré quand à la disparition du cadavre de la rouquine, je tire une nouvelle latte de tabac en laissant la fumée se fondre dans la chaleur de l’air. J’ai veillé - autant que Pussy lui meme - a ce qu’on ne puisse pas remonter jusqu’à lui, parce que de toute façon, et même si c’était tout à fait improbable de dire ça à propos de Pussy, pour une fois, il était innocent.

Je chasse sa question d’un vague mouvement de la main: « Non rien. Ici tout le monde se fout de ce que t’as pu faire avant. Temps que je sers à boire et que j’aide un peu quand quelqu’un a besoin de gros bras… » Le tout petit minou, vexé de ne pas être au cœur des préoccupations, sauta sur mon débardeur roulé en boule pour s’y coucher.
Un grand sourire étire mes lèvres aux paroles de Legence: « Affirmatif. Là, tu m’fais plaisir. Ils sont organisés ici. Dans la cour arrière. Tu reprends du service? Je tire une latte: Parce que j’ai tres envie d’en reprendre aussi. » De le prendre aussi, mais c’est un autre problème.

Je hoche la tête.
« C’est une certitude oui. Je l’ai pas racheté neuf, il va falloir prévoir une grosse révision un de ces jours, mais on doit pouvoir faire sans encore un moment. » J’espère en tout cas. J’ai foutu du fric dans l’achat du bus et dans ses aménagements et même si ce dernier ne roule pas, je vais avoir besoin d’un peu de temps pour me refaire financièrement, même si la présence de Pussy devrait simplifier un peu les choses.

Un sourire énigmatique étire mes lèvres à sa remarque. « Tu m’laisserais la conduire? Un de ces jours? » J’en rêve depuis que je l’ai vu cette bagnole, mais le Pussy n’est pas prêteur avec sa Lambo.
En même temps, vu le prix que ça coûte, il a sans doute ses raisons.
Je relève les yeux, les dents plantées dans mes lèvres avant de hocher la tête. Je vide mon verre et le fait claquer sur le comptoir: « Je connais le bonhomme. Tu veux qu’on aille le voir? Je te présente, et en bonus, on lui annonce que je prends du service. Il essaie de me convaincre de me battre depuis mon arrivée. » Autant en jouer pour faire une place à mon bookmaker pas vrai? J’attrape mon débardeur, laissant la mini terreur tigrée sauter sur mon dos: « Le type habite à la bordure de la ville. Lambo ou moto? »

Je tire une latte de tabac, et j’esquisse un sourire en coin: « Tu m’proposes du boulot mon chaton? » Je hausse les épaules: « T’inquiètes. Je prendrais soin de ton cul. Ça implique quoi, exactement? » Je ne ferais pas faux bond à Leg. Mais faut que je m’organise.

Un rire claque dans ma gorge et fait trembler les muscles du torse qui se cache désormais derrière un débardeur blanc qui les souligne. Une malice évidente dans le regard, j'accroche les yeux singuliers du bookmaker avant de préciser, taquin: - Et si j'te l'emprunte, tu vas faire quoi Pussy? Je ne le ferais pas. Je tiens à la vie. Mais c'est toujours drôle de jouer avec un partenaire de jeu réactif.

Je roule des yeux: - J'avais oublié c'que tu pouvais être princesse quand tu veux. Sans broncher, je le suis et me glisse côté passager de la voiture de luxe dont l'odeur de l'habitacle se mêle au parfum du monoï qui émane de ma peau. - Ca me va. Tu parles, je m'occupe d'être convaincant si besoin. Et de faire changer d'avis ceux qui pourraient avoir envie de cogner sur sa jolie petite gueule de salopard.
La voiture démarre dans un vrombissement sonore et je regarde le sable se soulever autour de nous. Le petit tigre saute sur mes genoux et je lance, en observant le paysage: - J'ai toujours eu envie d'te sauter dans cette bagnole. C'est comme ça qu'on dit tu m'as manqué, il paraît.

Une bonne équipe.
Je ne dis rien à ces mots. J’y croyais qu’à moitié quand j’ai rencontré Pussy. Mais l’expérience a prouvé que, de manière tout à fait inattendue, il était l’un des etres les plus fiables de mon entourage. Et l’un de ceux pour qui j’ai l’impression de compter un minimum. J’ignore si ça va vraiment plus loin que le buisness. Mais dans le pire des cas, c’est déjà pas si mal.

Étonné de voir l’ordinateur de bord fonctionne en plein désert, je file l’adresse à Legence. Il doit avoir eu vachement moins de mal que moi à trouver Slab City tiens.
Je relève les yeux vers lui, le regard brillant d’un éclat qu’il n’a pas eu depuis plusieurs mois. Ma langue passe furtivement sur mes lèvres, et je viens poser la main sur sa cuisse. « Les deux? J’aime pas laisser un défi non relèvé. Le capot tu dis ? » Un rire m’échappe: « J’m’en voudrais de te faire rayer la peinture… mais c’est une première idée. Je suis sur qu’on peut trouver pour l’habitacle. Je te sucerais bien, mais t’es fichu de nous planter dans le fossé. » Alors? Alors je me contente d’une caresse sur l’entrejambe de son pantalon, avec un sourire en coin.

Un panneau indique Niland à quelques kilomètres de la. « C’est la grosse bâtisse la bas. Le type s’appelle Javier. Emmigré Mexicain. Tu sais parler espagnol? »
Il fait une température royale dans la bagnole avec la clim, et on est au milieu de nulle part.

C’est pas si mal.

Un rire claque dans ma gorge et je remonte les yeux vers lui avec malice. De toute façon, hormis pour l’humour, je suis pas de ces mecs qui se la jouent sur leurs performances. Premièrement, j’ai jamais eu besoin de le faire, et ensuite, j’ai eu du mal à la lever devant les femmes pendant des années. Je serais bien mal placé. « Je suis concentré. J’ai été flic chaton. C’était mon boulot de faire le con dans la bagnole pour ensuite foutre un mec au sol en sortant. » C’est juste que j’ai la concentration joyeuse.
Et que je sais comment on va pouvoir s’attirer les bonnes graces de Javier.

« Oui. J’ai vécu deux ans au Mexique. Ma génitrice vit la bas. » Sans attendre j’ouvre la portière et rejoins Leg en lui indiquant de me suivre.
Nous n’avons pas besoin d’avancer beaucoup, déjà, sur le perron de la baraque se dresse un homme usé par les années, la peau hâlée et le regard méfiant. « Salut Javier! » L’homme baisse son arme: « Que me vaut le plaisir Maui? C’est qui ce Gus? » Je marque une pause et sors un cigarillo. « J’te présente Pussycat. C’est mon patron. On peut en parler à l’intérieur? Hm? » Le vieux mexicain hoche la tête et je précise, pour éviter tout conflit: « Pussycat parle espagnol. T’as pas besoin de traduire pour lui parler. » Tu parles, je veux surtout éviter qu’il commente quoi que ce soit.
C’est susceptible un Legence sauvage, et ça me ferait chier de devoir cogner Javier.

Mes yeux se posent quelques secondes dans ceux de Légence et je précise, dans un sourire félin: - Être flic est un très bon alibis quand on veut tremper dans des affaires pas très nettes. C'est entre autre ce qui m'a permis de combattre sans jamais finir en garde à vue. Je savais qui était de garde quand, et quels soirs étaient à éviter. J'ajoute avec malice: - J'avais des potes flics à Hawaï qui ont su me montrer les avantages que ça a. Pi l'uniforme est sympa. J'en ai gardé un d'ailleurs. Bon, il est floqué NYC, mais je me suis dit qu'avec un peu de travail, ça ferait un bon moyen de rentrer dans des endroits habituellement clos.

- Hola hombre. Pour les com... Tu prends du services Maui? Je hausse les épaules: - Je reprends oui. Mais que sous sa coupe à lui. Je jouerais pas pour toi Javier. Par contre, je pense qu'on peut trouver un arrangement. Le méxicain arque un sourcil: - Et quel intêret j'ai à vous laisser venir vous battre si tu te bats pas pour moi? Je roule des yeux: - Javier, me prends pas pour un con. Les gens du coin sont lasses des champions locaux. Pas assez enragés. Si je viens dans l'arène sous la coupe de Pussy, tes paris vont grimper. M'enfin, Pussy t'en parleras mieux que moi. C'est sa partie les paris. Je laisse Leg prendre le relais, une main à ma ceinture, prête à cogner si Javier tente le moindre geste envers lui.

Vu ma taille, je pense qu'il ne le fera pas. Mais sait-on jamais.

La discussion qui est en train de se jouer n'est pas la mienne. Mon rôle est simple: être suffisamment proche de Leg pour que Javier comprenne qu'il n'est même pas envisageable de lui faire du mal, et fermer ma gueule, parce que je ne veux pas me mêler des questions de fric. Je n'ai jamais combattu pour la thune, même quand ça m'a ramené un paquet de billet. C'est un exutoire, pas une nécessité.

Les origines Vegasienne de Legence ne semblaient pas plaire plus que ça à Javier. Sans doute parce qu'il avait conscience du fait que les habitants de Vegas avaient cette tendance à s'attribuer les choses. Pourtant, le regard du vieux remonta vers moi et sa machoîre se desserra: - Supposons que j'accepte. Vous êtes bookmaker, et moi organisateur. Il Combien de pourcentage est-ce que je toucherais? 15? Je me tourne vers Leg. Ca fait partie des trucs que je ne maîtrise pas, dans le buisness, et c'est à lui de voir.

Dans la pièce d'à côté, une gonzesse attends, dans un lit dégueulasse, que le vieux revienne lui filer quelques billets. - 10. Le reste, tu le gagneras en prix d'entrée. Tu me fais confiance? Je l'ouvre sans réfléchir, et probablement qu'il n'a pas confiance. D'ailleurs, Javier comprends bien que c'est Legence qu'il faut convaincre, et pas moi, car son regard revient vers lui.