Je n’oublierai jamais mon pays Vivre dans un pays comme la Syrie n’a jamais été une partie de plaisir, peu importe les années. Encore moins lorsque l’on vient d’un petit village perdu au milieu du désert. Encore moins lorsque l’on n’est pas riches. Encore moins lorsque l’on est une femme. Aziza était jeune. Trop jeune. Trop perdue. Trop influençable. Ses parents étaient pauvres et il fallait de l’argent pour survivre. Alors Aziza n’avait pas hésité bien longtemps avant de donner de sa personne – dans le sens propre du terme – pour sa famille. Un inconnu qu’elle n’avait plus jamais revu, mais qui lui avait laissé un souvenir de son passage. Des parents qui n’avaient pas accepté ces décisions. Celle de se faire sauter pour quelques billets d’abord. Celle de garder l’enfant ensuite. La première marque de rébellion chez les El Kaim, quand une femme refuse la décision de l’homme qui a autorité sur elle. La fissure se casse. La jeune femme élèvera sa fille seule. Difficile pour une adolescente de s’en sortir sans vrai travail et avec une bouche supplémentaire à nourrir. Et pourtant, Dalya ne dirait jamais qu’elle avait manqué son enfance, parce qu’elle n’avait rien à quoi se raccrocher pour comparer la misère dans laquelle elles avaient vécu.
Le travail, c’est la santéL’école en Syrie, c’était obligatoire jusqu’à l’âge de 12 ans. Passé cet anniversaire, Dalya faisait partie de ses enfants qui traînaient leurs chaussures vieilles de plusieurs décennies dans les rues plutôt que leurs fesses sur les bancs de l’école, perdant ainsi les précieuses connaissances qu’ils auraient pu obtenir sur le monde qui les entourait – si tant était que le régime accepte réellement qu’ils apprennent suffisamment pour avoir un esprit ouvert et une opinion propre. Elles n’avaient pas assez d’argent pour payer l’école de toute façon. Il fallait surtout payer les factures et la nourriture. Alors la blondinette se mit au travail. Tout était bon pour elle. Elle aida la voisine à porter ses courses, elle garda un œil sur les enfants du bout de la rue, elle arracha les quelques légumes qui poussaient dans le climat aride du pays. Elle ne gagnait pas grand-chose, honnêtement, mais elle contribuait à pouvoir avaler une pomme de terre de plus pour le repas.
Two worlds, one familyElles s’en étaient toujours sorties à deux jusqu’à ce que la fillette – devenue jeune femme – eût atteint 15 ans. À partir de sa seizième année, un homme entra en effet dans la vie de la mère de famille, un des rares hommes qui avait accepté une relation avec une femme ayant déjà eu un enfant. Il n’est pas méchant, mais l’adolescente ne la considérera jamais comme son père. Elle n’en avait aucun et c’était mieux ainsi. Elle était juste contente pour sa mère qui semblait beaucoup plus heureuse et épanouie. De leur union naîtra deux enfants – bien que Dalya ne sache pas réellement si le couple s’est arrêté à deux ou non : Elias et Ghalib. Une famille aimante mais, malgré tout, Dalya ne s’était jamais sentie complètement intégrée. Pour preuve, elle a gardé le nom de famille de sa mère et n’a jamais été adoptée par son beau-père. Un choix qui était le sien et que tous avaient respecté. Il n’en est pas moins que la jeune femme aime sa mère, son beau-père et ses demi-frères. Elle ferait tout pour eux.
The nightmare I'm waking26 mai 2012. Le jour où tout a basculé. C’était un jour presque comme les autres. Des personnes avaient disparu, les rues n’étaient plus si fréquentées. Des menaces de tous les fronts rôdaient au-dessus de la ville de Houla. Et puis, sans que l’on comprenne vraiment comment, des cris, des tirs, des bruits de moteur. Une cacophonie macabre. Dalya bouchait les oreilles de ses frères, terrés dans un coin de leur abri de fortune. Le patriarche était dehors et la mère serrait contre ses bras la fratrie. Le lendemain, après une nuit blanche, l’horreur auditive laissa place à l’horreur visuelle. Des corps amassés un peu partout dans les rues. Le sang qui, mélangé au sable et à la terre, finissait de sécher sur le sol. On lui avait dit de ne pas sortir, mais elle n’avait rien voulu savoir. Elle avait entendu Aamal, le chien de la famille, quitter la demeure et elle voulait la récupérer. Ce qu’elle vit la marqua à jamais. Où étaient passées la Wahda et la Houriya si chères au pays ? Piétinées par les bottes des soldats et les pas des rebelles, par les chenilles des chars et les missiles des drones. Qui se donnait le droit de massacrer une ville entière pour des idéologies qui n’avaient d’importance qu’à leurs yeux. Dalya fut choquée, traumatisée par cette expérience – qui ne l’aurait pas été ? Elle retrouva son animal et retourna chez elle. Elle se posa sur ce qui lui servait de lit et n’en bougea plus pendant trois jours, survivant uniquement par l’eau et le peu de nourriture qu’elle pouvait avaler que sa mère mettait de force dans sa bouche. Il lui arrive encore de faire des cauchemars qui la ramènent ce fameux 26 mai, mais ils se font un peu plus rares.
We no speak americanoL’anglais, elle l’apprit sur le tas et sur le tard. Et encore, apprendre était un bien grand mot. Des phrases ça et là, des cours rapides dispensés par celles qui avaient eu la chance de continuer leur éducation avant de rejoindre un autre camp. Avec sa tête blonde et ses yeux clairs, son arabe trop parfait était un problème. Alors, on lui avait inventé une vie d’étrangère, un accent qu’elle trouvait ridicule. C’était plus facile pour elle d’écouter les conversations. On pensait qu’elle ne comprenait rien, mais elle retenait tout. Elle était utile pour les rebelles. Elle se sentait utile pour son pays.
I just had sexElle avait commencé à faire ça à 15 ans. Le sexe. Ce n’était pas vraiment voulu. C’était une période difficile pour les El Kaim. L’argent ne rentrait presque plus, le travail ne venait pas plus. Il fallait trouver une solution pour payer le prochain loyer sinon elles finiraient à la rue. Et puis, un jour, elle l’avait entendu. Ce mec qui l’avait regardé passer avec un regard lubrique et plein de sous-entendu. « Tu prends combien ? » Ce n’était pas la première fois qu’elle entendait ça. Mais cette fois, elle se retourna. Elle avait des réticences, c’était normal. Qu’en penserait Allah ? Sa mère était toujours en vie, aux dernières nouvelles, et elle l’avait eue au même âge. Ce n’était pas la première fille à faire ça. Il y en avait des dizaines, des centaines comme elle. Et puis c’était un mois de salaire. De quoi payer le loyer, les factures et même de la nourriture. Dalya se mordit la lèvre inférieure avant d’accepter. Pire moment de sa vie. Quelques mois après, Aziza lui présentait Aboubacar, l’homme qui allait être son beau-père et les sauveraient de la misère – selon Aziza elle-même.
Mais ce n’était pas qu’une fois. L’argent, c’est toujours difficile à trouver quand on a pas d’éducation, et que l’on est une femme dans un pays en guerre. Alors elle a répété son péché. Elle avait une idée en tête. Elle l’avait entendu au détour d’une rue. Des personnes qui faisaient passer la frontière à d’autres contre une grosse somme d’argent. Une fois installé, il était possible de faire venir la famille légalement. Un système ingénieux et une vie meilleure.
La troisième fut celle de trop. Celle qui ne passa pas. Il s’en était douté lorsqu’il s’était installé en elle. Il en avait vu passer, des filles « comme elle ». C’était ses préférées. Mais celle-là, cette blonde, elle était différente. Quelque chose ne collait pas. Ce n’était pas assez serré ; l’expression sur son visage n’était pas la même non plus. Elle avait l’air… habituée. Et si elle était habituée, cela ne voulait dire qu’une chose : elle mentait. Il n’aimait pas les menteuses. Pas du tout. Il l’attrapa par les cheveux et la traîna sur le sol en lui demandant pour qui elle se prenait. Au bout de longues secondes de menace et de violence, elle finit par tout avouer : elle cherchait juste de l’argent pour passer la frontière et vivre une vie meilleure pour accueillir sa famille. Et c’est à ce moment qu’il eut une idée. Il pouvait la faire sortir du pays. Sans souci.
Row, row, row your boatOui, ils partiraient bientôt pour l’Occident. L’Europe ? Ils ne diraient rien. Oui, là-bas, il y avait du boulot pour elle et des papiers. Oui, sa famille pourrait la rejoindre rapidement, ils la retrouveraient facilement. Six mois, un an maximum, le temps qu’elle réunisse l’argent et qu’ils préparent l’immigration. Elle peut retourner avec les autres maintenant et vite. Son sac est avec les autres, elle le récupérera à son arrivée. Allez oust, du balai. Dalya se mordait la lèvre inférieure, nerveuse. Elle ne savait pas ce qu’ils fabriquaient, mais quelque chose semblait louche. Autour d’elle, il y avait plusieurs jeunes filles, à peu près son âge. Elles non plus n’avaient presque rien et la blonde jouait nerveusement sur le tissu du hijab de sa mère qu’elle avait dissimulé comme ceinture. Ils annonçaient de se rassembler et tout se passa très vite. Des coups de feu, des cris dans tous les sens, une explosion. Le noir.
Le bourdonnement l’empêchait de se reconnecter au monde réel. La barre de douleur qui lui transperçait le crâne également. On l’attrapa, pantin désarticulé, on l’aspergea d’eau pour qu’elle boive, on lui fourre une pâte immonde dans la bouche. On ne veut pas qu’elle meurt. Ça serait dommage. Mais on veut pas non plus faire trop d’efforts. Alors on fait le strict minimum, de quoi la maintenir en vie. On verra plus tard. Elle veut se débattre mais n’y arrive pas ; elle est trop faible, comme si ses muscles s’étaient mis en veille. Elle sent un picotement dans son bras et sa vision se voile. Elle ne sent pas lorsqu’on trimballe sa carcasse, qu’on la jette presque dans le conteneur.
Lorsqu’elle ouvrit à nouveau les yeux, elle ne vit rien. Le noir le plus complet à nouveau. Cette cécité déclencha chez elle un instant de panique, jusqu’à ce qu’un raie de lumière ne passe sur ce qui semblait être le sol. Puis un deuxième, quelques secondes plus tard. Puis un troisième dans le même intervalle et ainsi de suite. Elle sentait son corps vibrait sous le vrombissement d’un moteur et les roulis du sol qui lui rappelaient les trajets interminables d’une ville à une autre avec les rebelles. Pas de doute possible, elle était en mouvement. Bientôt, son réveil fut rejoint par d’autres. Une dizaine de filles comme elle. La vague d’incompréhension fut rapidement remplacée par une vague de panique.
Run, baby, runUn violent coup vers la gauche, puis un autre vers la droite. Ça perd l’équilibre, ça entraîne la copine et c’est le grand crac. Des cris s’entremêlent au bruit d’un véhicule qui se couche sur le côté. Il percute quelque chose et la tôle se tord. Des os craquent, des cris s’étouffent. Quelque chose ne va vraiment pas. Dalya entend la fille la plus proche d’elle prier. Comme si Allah allait les sauver. Et puis le silence. Plus un mot. La blondinette vérifie lentement qu’elle est encore en vie. Elle bouge un muscle, grogne un peu. Elle n’a rien de cassé, la face contre un corps qui lui ne bouge plus. Elle la voit, cette lumière beaucoup plus forte à sa droite, celle de la porte arrière du camion qui s’est entrouverte sous le choc. Elle n’hésite pas et fonce aussi rapidement qu’elle le peut. Elle pousse de toutes ses maigres forces pour l’ouvrir suffisamment et s’y glisser. Le métal lui râpe la peau, du sang afflue à la surface de son derme mais ne coule pas. Elle parvient à s’extraire et tombe lourdement sur l’herbe recouverte d’un manteau blanc, comme si ses jambes refusaient de la porter. Elle reste la joue collée au gazon gelé, une légère brise fraîche pour accueil, pendant quelques secondes. Elle se redresse ensuite. Elle ne sait pas où elle est, mais elle doit faire vite. Elle s’approche de l’avant du véhicule et regarde à travers le pare-brise défoncé : le conducteur ne bouge pas. Mort ? Aucune foutue idée mais ce n’était clairement pas le moment de se poser ce genre de questions. Elle le voit, ce petit rectangle de cuir qui s’est échappé lorsque le poids lourd a percuté le poteau. Elle le saisit et s’enfuit en courant en entendant des sirènes au loin. Si on la trouve ici, c’était direction Saidnaya, la pire prison de son pays. Alors elle court, comme si sa vie en dépendait – et c’était le cas.
Elle court sans regarder en arrière, à en perdre haleine. Elle ne court pas si loin, parce que son corps est faible de la malnutrition et que ses poumons sont avides d’un oxygène frais. Ses chaussures ne sont pas adaptées, ses vieilles guenilles non plus. La température est trop froide, les alentours trop blancs. Mais elle repousse ses limites et, quand elle se sent relativement en sécurité, elle regarde enfin autour d’elle. Une route. Elle était au bord d’une route. Autour d’elle, pas grand-chose. De la végétation nue de toute feuille qui ne lui rappelait rien de son pays. C’est face à l’immense panneau vert que la réalité la frappa : elle n’était plus en Syrie. Des lettres dans un autre alphabet, celui de l’Occident. Un E, deux M, un A, un U et un S. Elle n’a aucune foutue idée de comment le prononcer, celle qui a appris l’anglais par l’oral mais jamais par l’écrit. Elle continue son chemin d’un pas moins pressé mais toujours pressant. Elle tente de récupérer son souffle mais elle ne pouvait pas s’attarder ici. Des véhicules filaient à toute vitesse à côté d’elle. Certains la klaxonnaient, la faisant sursauter, petite biche apeurée. C’est alors qu’elle la vit, cette station essence. Elle trouverait sûrement de quoi l’aider. Elle fonça, tête baissée, tentant d’être discrète. Elle ne voulait pas attirer l’attention. Surtout pas celle de policiers ou pire encore. Sur le parking, elle les entendait. Ils parlaient anglais, elle en était à peu près certaine. Les États-Unis étaient le seul pays qui lui venait en tête, mais peut-être était-elle ailleurs. Elle pénétra dans la boutique avec la peur au ventre et les mains moites frictionnant ses bras gelés par l’hiver. Ses grands yeux bleus se posèrent sur le sigle féminin et elle se rua presque sur la porte des toilettes. Appuyer sur un bouton, voir de l’eau sortir. Elle se penche sur le lavabo et boit goulûment le breuvage de la vie. Son maigre corps tremble, comme ramené dans le pays des vivants. Elle boit de longues minutes, jusqu’à ce que son estomac lui fasse mal. Elle se redresse alors et rassemble ses mains sous le jet. Elle récolte la précieuse et la porte à son visage dans un soupir de soulagement. Elle répète l’opération, puis se frotte les bras, les jambes et le reste du corps. L’émail du lavabo devient noir, preuve du temps écoulé depuis sa dernière véritable douche. Elle fait couler du savon dans sa main et l’utilise à son tour : visage, corps, cheveux. Dans son dos, des passagères de la route qui la fixent incrédules. Elles n’ont pas l’air du Moyen-Orient. Elle n’osait pas ouvrir la bouche, même en formulant sa phrase durant cinq minutes dans sa tête. Elle finit de se laver et se sécha avec du papier toilette et le vieux sèche-mains qui fonctionnait une fois sur trois. Elle se sentait beaucoup mieux, comme si elle revivait enfin. Elle s’observa une dernière fois dans l’immense miroir, les traits tirés et le teint blême, elle avait l’allure d’un zombie. Tant pis, ce n’était vraiment pas la priorité du moment. Elle sortit timidement des toilettes, comme si elle s’attendait à voir débarquer des hommes en uniforme pour la récupérer. Mais personne n’était en uniforme, à moins que le jean pouvait en constituer un. L’odeur de la nourriture lui emplit les narines et son estomac cria famine. Depuis combien de temps n’avait-elle pas mangé ? Aucune foutue idée. Elle était trop occupée à zieuter les étales de vivres lorsqu’elle percuta un vacancier, les bras chargés de victuailles pour passer le trajet qui tombèrent toutes sur le sol. Elle étouffa une excuse et se précipita pour ramasser. Elle glissa un paquet au hasard sous son vêtement. Pardon Allah, c’est pour la bonne cause. Tu ne laisserais pas une fidèle mourir de faim. L’autre ne remarqua rien, une aubaine. Elle fila rapidement en serrant contre elle l’espoir emballé dans un papier bizarre.
À l’extérieur, elle se met à l’abri des regards et ouvre sa trouvaille. L’odeur lui provoque une salivation incontrôlable et elle plonge sa main impatiente pour attraper la pomme de terre découpée en tranche. Elle la porte à sa bouche et laisse échapper un gémissement. Elle se fiche du gel qui recommence à percer sa peau. Elle finit le paquet à la vitesse de l’éclair, se lèche même les doigts en bonus. Ce n’était pas suffisant pour tarir sa faim, mais c’était mieux que rien. L’emballage balancé dans la poubelle, elle devait trouver une nouvelle solution. Elle le vit, ce vieux pick-up à l’écart et dont la capacité à rouler semblait douteuse. Probablement que les portières ne fermaient plus vraiment… Parce que personne de sensée ne viendrait voler ce genre de véhicule. C’était sa chance. Elle regarda les alentours en s’approchant doucement. Elle posa une main hésitante sur la poignée, presque persuadée qu’elle ne s’ouvrira jamais et lui rira au nez en la voyant tirer dans le vide. Aussi sursauta-t-elle presque en voyant le bout de métal sortir de son logement et repartir avec elle. Pas le temps d’hésiter, elle se hissa dans le pick-up et referma la porte derrière elle. Une sorte de banquette arrière où reposaient des affaires balancées à la va-vite ferait l’affaire, elle espérait. Pas évident avec ses longues jambes. Il fallait passer par-dessus les sièges avant sans trop attirer l’attention, se plier en quatre, six, huit. Une odeur forte et boisée. Pas la délicatesse d’une odeur de femme. Tant pis, elle n’avait pas vraiment le choix. Elle se dissimula derrière le bazar, sacs et blouson et calma son cœur qui tambourinait dans sa poitrine. Sa respiration se fit souffle discret au moment où le propriétaire du véhicule se mettait à nouveau au volant. Il lui fallait juste tenir quelques minutes, le temps de s’éloigner au maximum de la scène de l’accident, le temps qu’il s’arrête à nouveau et elle pourrait s’enfuir. Le moteur toussota avant d’accepter de s’allumer et la carcasse de ferraille se mit en mouvement pour son plus grand soulagement. Aussitôt, des hurlements emplirent l’habitacle. Sûrement des chansons barbares du pays dans lequel la blondinette avait atterri, contrainte et forcée. Les musiques se succédèrent avec les minutes. Combien ? Aucune foutue idée. Les fourmis envahirent ses jambes, parcourant ses muscles tétanisés par la peur d’être découverte. Et puis, la trahison. Le réflexe qui fait tout capoter. La masse dissimulée qui frappe le siège conducteur, se soulève pour dévoiler une main et la voiture qui freine brusquement. Elle se cogne la tête contre le tissu suspect et laisse échapper un gémissement de douleur. Dommage. Elle avait été découverte.
Welcome to the jungleSaul. Il s’appelait Saul. Ça sonnait presque comme l’âme. Une âme qui avait accepté – tout aussi surprenant que ça pouvait l’être – de garder la jeune Syrienne dans son pick-up, les fesses sur le tissu défoncé du siège passager et ceinture bouclée en bonus. Où voulait-elle se rendre ? Aucune foutue idée – elle ne l’avait pas dit comme ça cela dit, mais l’intention y était. Elle voulait juste partir le plus loin possible. Elle n’avait pas vraiment compris où il allait, mais elle s’en fichait. Elle irait où il irait. C’était ce qu’elle avait essayé de lui dire avant de sombrer dans le sommeil, bercée par les roulis des pneus sur la route. Le trajet dura quatre jours, parce qu’il était le seul à pouvoir conduire.
Sept mois plus tard, elle essuyait la goutte de sueur qui perlait sur sa tempe tandis qu’elle aidait un homme à charger son pick-up. Saul l’avait emmenée dans un endroit où on se fichait de qui elle était, ce qu’elle avait fait avant et de son passeport. Un lieu de liberté où personne ne viendrait la chercher et elle pourrait réunir suffisamment d’argent pour faire venir sa famille. À n’importe quel prix.