I have fire in my blood - Slavina

Je fronce les sourcils en secouant la tête. Ah ouais, dans le mezcal ? J'devais être une barmaid terrible, parce que j'en avais pas la moindre idée. J'excelle dès lors qu'il s'agit de préparer des cocktails, je suis même plutôt douée lorsqu'il faut en créer de nouveaux, mon inspiration ne me fait que rarement défaut... Stan ne me permettait pas vraiment de la laisser s'exprimer, mais avant de bosser pour lui j'étais dans un bar huppé où on servait autre chose que de la bière et du mauvais whisky. En revanche, pour ce qui est de la façon de produire l'alcool en lui-même, je n'y connais pas grand chose. Sa plaisanterie m'échappe puisque je demande en plissant le nez : Les dory quoi ?

Je cherche son regard, le mien toujours éclairé d'une lueur bien plus apaisée. Oui, c'était bien... J'adore danser avec toi... Nous ne sommes pas parvenus à nous laisser aller autant que lorsque nous étions dans le Bronx, mais c'était quand même agréable de danser dans ses bras, de me laisser porter par la musique et d'oublier quelques instants qu'on risque de crever à tout moment. Je reprends une gorgée d'alcool, je le trouve ignoble mais j'ai toujours autant envie de me détendre, et je lui tends la bouteille pour qu'il la récupère et que je puisse m'allonger. Je m'installe sur le dos, ma tête sur ses cuisses, et le nez levé vers lui. Peut-être que je pourrais trouver une vieille radio ou quelque chose dans le genre... Pour qu'on puisse danser ici, tous les deux. Dans le Bronx, je me baladais constamment avec cette petite enceinte bluetooth qui avait un son d'enfer et qui me permettait de foutre de la musique absolument partout. Je ne l'utilisais pas forcément régulièrement, mais j'aimais l'avoir. Je m'étire, étends mes jambes devant moi avant de lever les bras vers lui pour réclamer ses mains dans les miennes.

—Si, c'est Machete qui se défonce à ça après les missions. Il le bouffe le bestiau, je sais pas si c'est une tradition ou c'que ça veut dire, mais c'est dégueulasse en tout cas de le voir faire. Je grimace, écœuré. Je hais ce taff. Heureusement, comme je conduis au retour (et que ce serait con de finir en taule pour ivresse), je suis dispensé de boire. Je pensais pas dire ça un jour, mais merci mon Dieu.

—Les doryphores, les insectes qui bouffent les patates. Mais je vois à son air que ma plaisanterie - doryphores, patates, vodka - est tombée à plat et un rire franc m'échappe dont le son me fait bizarre à moi-même si bien qu'il s'éteint rapidement de surprise. —C'est pas grave, laisse tomber srce. C'est juste une blague pas très drôle.

Je récupère la bouteille et la rebouche pour la caler près de moi. Je n'ai pas envie de boire. Perdre le contrôle de mon environnement me fait peur. La dernière fois c'était dans cette cave, je n'avais le contrôle sur rien, même pas sur mon propre corps. Nina pose sa tête sur mes genoux et chasse les spectres menaçant d'un regard. J'étale machinalement ses cheveux en corolle, en glissant mes doigts dans les mèches longues. —C'est une bonne idée, on captera au moins la radio locale ! Il y en a une, la tour d'émission n'est pas loin du Queenie, impossible de la louper. —Mais on retournera aussi au Boyuyu, quand y a la soirée barbec'. Je noue mes mains aux siennes, me penche pour trouver sa bouche de la mienne.

Tu sais pas c'que c'est son vrai nom ? Machete, c'est un surnom destiné à faire flipper les gens, ça. Je me demande si c'est parce qu'il bute ses ennemis à coups de machette... C'est typiquement le genre de personne que je ne veux même pas rencontrer, les types comme lui, ils me font penser à Logan ou à Tobias, et quand je les défiais autrefois, aujourd'hui ils me terrifient. En fait, les hommes de pouvoir me terrifient, parce que je sais ce dont ils sont capables à présent, tout comme je sais qu'être dans leurs petits papiers un jour ne vous garantit pas de ne pas vous retrouver dans leur viseur le lendemain. Je souris de le voir rire, même si je ne comprends pas sa plaisanterie, et je secoue la tête d'un air désolé. Excuse-moi mon amour, tu sais bien que ta femme n'a aucun humour. Je hausse les épaules, comme pour dire qu'on ne peut malheureusement rien y faire.

Je vibre, à deux doigts de ronronner littéralement quand il passe ses doigts dans mes cheveux. Dieu que j'aime ses caresses, Dieu qu'elles m'ont manqué ! En plus, me semble que Sam bosse à la radio... Oh, j'ferais comme les ados, quand t'écouteras je lui demanderais de passer une dédicace pour toi. L'idée me fait sourire parce que je la trouve délicieusement futile, ridicule. Oui, on retournera au Boyuyu, mais j'suis pas sûre qu'on nous offre à bouffer à chaque fois tu sais. Ma phrase s'éteint contre ses lèvres, mon souffle étouffé par sa bouche et j'expire un soupir presque surpris quand nos langues se nouent. Mon cœur fait un bond douloureux, et inattendu, dans ma poitrine, et l'une de mes mains lâche la sienne pour se tendre plus haut et se glisser dans ses cheveux. La position étrange, à l'envers, me frustre parce que je ne peux pas le toucher autant que je le voudrais. Lorsqu'il s'écarte de moi, je m'entends réclamer plaintivement, d'une voix déjà plus rauque : Encore, poljubi me.

—Son vrai nom ? Non, j'sais pas, j'ai pas demandé. Je ne demande rien, jamais, juste où je prends le client, où je le dépose, à quelle heure on rentre, des questions brèves, factuelles qui n'ont trait qu'au boulot que je fais. Le reste du temps, je ferme ma gueule, et c'est moi qui conduit quand Machete est trop pété pour rentrer, c'est à dire tous les soirs. Souvent, je dois l'attendre plus d'une heure dans la bagnole qu'il ait fini d'aller voir les putes et de picoler. Je ne l'accompagne jamais dans les bars. J'imagine que mon attitude l'intrigue mais je fais bien mon taff et comme j'apprends rapidement, je suis plutôt efficace. Les autres passeurs me regardent de travers parce qu'il se dit que je prends pas assez d'extra. L'un d'entre eux a essayer de me parler, mais mon regard vide et froid qui s'est posé sur lui l'a dissuadé de copiner ou de me mettre en garde. Je ne veux pas d'amis dans le milieu, personne.

—Ou c'est toi qui a pas d'humour, ou le mien est vraiment à chier. Je pense pour la seconde hypothèse comme le souligne mon sourire amusé. J'aime toucher ses cheveux, doux comme comme sa peau. J'aime les démêler patiemment sans lui faire mal? J'ai un léger haussement d'épaules — Laisse tomber la dédicace, et t'inquiète, on aura de quoi payer la prochaine fois. Il faut juste que je retourne bosser. Demain.

J'ai un drôle de sourire quand elle parle serbe, un pincement au cœur. Je lisse sa tempe du bout des doigts pour écarter des mèches folles, me penche à nouveau pour chercher sa bouche. Mon souffle s'attarde sur ses lèvres avant que je ne les écrase avec douceur, ma langue cherchant la sienne aussitôt, dans une danse sensuelle. Ma main se love aussitôt dans son cou, à la recherche de la peau douce et j'ai un gros soupir douloureux qui se bloque dans ma poitrine.

Je secoue la tête. Non c'est pas vrai, pas toujours. Tu me fais souvent rire. Ce n'est peut-être pas très évident depuis que nous sommes arrivés ici, je le concède, mais en règle générale, il me fait rire, sourire, il me rend heureuse. Notre complicité me comble, on a le même humour noir, le même cynisme aussi. On ne peut décemment pas dire que Slavenko soit le clown de service, c'est un fait, mais je ne suis pas vraiment la nana la plus joyeuse qui soit non plus alors... J'écarquille les yeux. Que je laisse tomber la dédicace ? Quoi, ça te plairait pas qu'on parle de toi sur la radio locale ? Que je te déclare ma flamme sur les ondes ? T'inquiète pas, j'utiliserais des noms de code ! Je plaisante sans y croire pourtant, le romantique du couple, c'est lui après tout, certainement pas moi !

Son baiser me liquéfie toute entière et je soupire contre ses lèvres, me cambrant pour mieux me tendre vers lui. Je suis bien, allongée près de lui, mais je n'ai décemment pas assez de sa peau, alors je finis par me redresser, oubliant complètement la bouteille de tequila parce que mon esprit est accaparé par bien autre chose. En revanche, l'alcool déjà ingéré et la weed fumée un peu plus tôt m'aident à me désinhiber, et je ne crois pas que j'oserais m'installer à califourchon sur ses jambes comme je le fais si j'étais parfaitement sobre. Ma jupe, bien trop moulante, remonte aussitôt sur mes hanches dans le mouvement, mais je ne m'en soucie pas vraiment. Mes bras se logent autour de son cou, mon corps retrouve le contact du sien et je reviens chercher sa bouche avec plus de langueur. Dans son dos, mes mains écartent le col de son tee-shirt pour chercher sa peau brûlante, avides de contact.

Je la fais souvent rire ? Première nouvelle. Je n'ai pas cette impression aujourd'hui, et les futilités du passé s'efface. Peut-être que c'était vrai. J'esquisse un sourire en ayant un geste de dénégation —non, je crois pas que ça me plairait, encore pire si c'est codé. Dédicace à son tigre, de la part de Ribica ? Tu sais, je crois pas que le ridicule ne tue pas. Elle se moque de moi pourtant, et j'esquisse un autre sourire amusé.

Et puis j'oublie dans son baiser. Le mouvement qu'elle fait pour venir à califourchon sur moi réveille brutalement le désir qui était pourtant complètement endormi, même quand je l'ai embrassée. Je cherchais ses câlins, son réconfort, son amour, pas du tout le plaisir. C'est assez déroutant de fonctionner en on/off quand il y a peu le désir m'accompagnait partout, liane enroulée plus ou moins fermement autour de mes reins. Brusquement, je me jette contre sa bouche avec une avidité affamée. Je glisse mes mains sur ses cuisses, ses fesses, la jupe ayant assez remontée pour me le permettre. J'exhale un grognement, surpris et exigeant à la fois, plaintif aussi.

J'essaie seulement de l'amuser, de le faire sourire, je n'ai aucunement l'intention de demander à Sam de passer le moindre message, ma paranoïa ne s'est pas endormie ! Mais mes tentatives ne semblent pas si bien fonctionner que ça parce qu'il sourit à peine. Je le sens encore tendu, anxieux peut-être... Je me demande si c'est à cause du mexicain qui m'a abordée au Boyuyu ou bien de l'ambiance qui régnait à l'intérieur de l'entrepôt. Dans tous les cas ça me peine, cette soirée était censée nous permettre de nous détendre, c'est mon premier jour de repos depuis que nous sommes ici et j'ai l'impression que quelque chose ne va pas. Je suis sans doute trop défoncée puisque j'en suis à oublier que rien ne va !

J'essaie de ne pas y penser quand je m'installe sur lui. De ne pas penser au fait qu'il pourrait me repousser, qu'il n'en a peut-être pas envie. Mais il se presse soudainement contre moi, sa bouche écrasant la mienne et j'expire un geignement contre ses lèvres. Ses mains qui courent sur ma peau me font gémir d'envie, avec bien moins de pudeur que je n'en ai eu ces derniers jours. Je ne saurais dire si c'est grâce à l'alcool, ou grâce au fait qu'on se soit retrouvés tout à l'heure et que l'angoisse de l'intimité ne m'étreint plus du tout si fermement qu'avant. J'abandonne son dos, accroche le bas de son tee-shirt pour le tirer vers le haut, mais il me faut quitter sa bouche pour le lui ôter, ce qui me demande du courage et quelques secondes supplémentaires. Je le débarrasse du vêtement qui me gêne et reviens me serrer contre lui, le désir enflammant brusquement la boule incandescente qui enfle dans mon ventre. Je mords sa lèvre inférieure et couine : Zelim te.

Le sang rushe brutalement dans mes veines, incandescent, brûlant mes sens, cramant mes nerfs, annihilant la réflexion, la peur, la retenue. Mon cerveau traumatisé se met sur pause, et c'est un soulagement de n'avoir brusquement qu'un seul but, la bouche de Nina, la peau de Nina, son corps contre le mien. Je ne m'écarte - docile - que pour la laisser ôter mon tee-shirt. Moi, je me fiche des obstacles de tissu, ça m'est égal tant que mes paumes sont posées sur sa chair nue. J'ai un grondement de désir pur quand ses mains s'accrochent à mes épaules et qu'elle se presse contre moi dans un élan. Moi aussi je la veux, avec une urgence qui me dépasse. Je deviens fébrile, impatient.

Je lutte contre le pantalon de toile qui décidément ne me va pas, il est trop court aux jambes, trop serré aussi, je suis tellement habitué à mon treillis trop large pour moi à présent. Je défais le bouton dans un craquement de tissu et la fermeture cède aussitôt sous mon impatience. Je libère mon érection du tissu dans le même temps que je soulève Nina sous les fesses. Je n'ai pas lâché sa bouche de la mienne quand je l'amène sur moi et que je m'enfonce en elle. C'est contre son souffle que j'expire un gémissement de plaisir, de bonheur. Je m’agrippe à ses fesses, les malaxe sans douceur, avec un besoin de possession intense avant d'entamer un mouvement profond de va-et-vient qui me coupe le souffle tant c'est bon.

Son avidité est contagieuse, ou bien peut-être est-ce la mienne qui l'a contaminé, et je sens que la fébrilité me gagne et je ne cherche pas à lutter. Contrairement aux fois précédentes, je ne ressens ni crainte, ni appréhension d'aucune sorte. Je ne sais pas à quel moment mon désir est devenu si urgent, mais c'est une sensation exquise parce que familière. Avant c'était toujours comme ça, on passait du flirt au sexe brutal en quelques secondes, le désir toujours latent explosant soudainement en bouffées plus violentes. Je geins contre ses lèvres, écarte le tissu de ma culotte pendant qu'il se libère lui-même des vêtements qui nous séparent encore. Quelques secondes plus tard à peine, il m'empale sur sa queue et j'exhale un long feulement de contentement en m'agrippant à ses épaules.

Nos corps se mettent en mouvement sans qu'il y ait besoin de réfléchir, et ma raison se fait gentiment la malle tandis que mes hanches bougent à l'unisson des siennes. Nos bassins s'entrechoquent avec une violence que je n'aurais pas cru pouvoir désirer, et à laquelle j'aspire pourtant désespérément. Je plante mes mains sans ses cheveux, m'y accroche en passant mes jambes autour de ses hanches, mes pieds contre son dos, mon corps tout entier enroulé autour du sien. Ses coups de reins sont lents mais secs et profonds et je crois mourir chaque fois que je le sens buter au fond de mon ventre. L'onde de chaleur me fauche par surprise et me jette contre lui dans un cri que j'étouffe quelque part contre son épaule, les muscles secoués de spasmes.

Notre étreinte est comme celles d'autrefois, intense, exigeante, sans concession. Nos corps ont décidé de prendre les choses en main puisque visiblement nos esprits eux sont empotés. Ces derniers les laissent gentiment faire, MERCI ! Alors c'est une lutte, brutale qui nous heurte, nous ramène l'un vers l'autre dans des halètements barbares à coups de reins lents, puissants. Je glisse une main sous son tee-shirt, dans son dos, parce que je suis collé à elle et qu'elle me tient fermement contre elle. La vague monte - inexorable - et quand elle jouit, je suis emporté par la même vague. Je bouge encore un peu, coups de reins se ralentissant avant de cesser, tremblant, pour m'emparer à nouveau de sa bouche dans un baiser de gratitude frémissant et avide.

Je la fais basculer sur le dos, moi toujours entre ses jambes, même si le mouvement me fait glisser hors d'elle. Je l'écrase doucement de mon poids, ma tête sur son giron à humer nos odeurs mêlées, à écouter sa respiration saccadée et les fols battements de nos cœurs à l'unisson. Je remonte son tee-shirt pour poser ma main sur son ventre, en caresser la peau encore pâle à cet endroit. Comme je chérissais sa blancheur de lait avant, elle disparaît peu à peu sous le soleil de Slab City mais reste bien plus claire que la plupart des gens ici. Même moi qui vit la nuit la plupart du temps, j'arrive à bronzer ! Je me décale pour venir embrasser son ventre, remonter plus haut le débardeur pour embrasser ses seins. Je frotte mon nez sur sa peau, l'étudie avec attention, apprends par cœur toutes les nouvelles traces, et les nouvelles démarcations que j'y trouve. Ma cervelle voudrait bien se remettre en route pour commencer à me faire culpabiliser de cette étreinte sans doute trop rude, mais je ne l'écoute pas, je n'en ai pas envie. J'ai envie de glisser ma tête entre les cuisses de Nina pour la faire jouir encore, j'ai envie qu'on soit insatiable comme avant. J'entreprends en silence de la déshabiller tout à fait.

Heureusement il ne me lâche pas, et on bascule ensemble dans les couvertures, inversant nos positions alors que son corps vient surplomber le mien. Mes jambes restent pour l'instant accrochées à ses hanches et je me cambre, me tend vers l'arrière pour mieux m'offrir à ses caresses. Dieu que ça a pu me manquer, comme je m'en veux d'avoir oublié à quel point mon corps à besoin du sien. Sa façon de me toucher est si furieusement différente de tous les gestes que Logan a pu avoir sur moi que je ne fais pas le moindre lien, et peu à peu les doigts de Slavenko semblent effacer sur ma peau les chemins tracés par cet autre auquel je n'ai jamais voulu appartenir.

Je lève les bras, l'aide à ôter mon tee-shirt en me contorsionnant pour ne pas avoir à trop m'éloigner de sa bouche. Le désir rugit encore dans mon ventre, embrase mes sens à me faire tourner la tête. Je suis à fleur de peau, les nerfs à vif de trop d'émotions, de trop de sensations délicieuses aussi et je peine à reprendre contact avec la réalité. Je soulève le bassin pour qu'il vire ma jupe et ma culotte, et je plonge mes mains dans ses cheveux pour l'attirer de nouveau à moi. Je veux sa bouche sur la mienne, j'ai besoin de l'embrasser encore. Nos lèvres se lient pour un baiser fiévreux duquel je ressors haletante et le regard brillant. Moi aussi je veux goûter à sa peau, je ne l'ai pas encore retrouvé pleinement, loin de là, je crois qu'il me faudra des semaines entières pour ne plus ressentir cette angoisse douloureuse dès qu'on se déprend l'un de l'autre. Je prends son visage en coupe entre mes mains, cherche gravement son regard. Touche-moi encore, s'il te plaît, s'il te plaît...

La voilà nue et mon tee-shirt gît avec le sien. Pour le reste, je suis débraillé mais je m'en fiche. En fait je préfère ne pas être entièrement nu, je n'arrive pas encore à lâcher prise totalement. C'est comme garder le glock à porter de main, ne pas créer de liens dans le campement plus que nécessaire, bosser de nuit au Mexique. Des futilités qui me donnent une illusion de sécurité, parce que je crois que sinon je pèterais les plombs. Le problème c'est que je sais très bien que ce sont des illusions fallacieuses et ça va finir par me péter à la gueule. Reste à savoir quand.

En attendant, là tout de suite, je suis bien. Je me sens bien. Et c'est à souligner, parce que c'est la première fois en quinze jours que je me sens bien. Parce que je ne force rien, et que nous ne faisons que les gestes qui nous plaisent mutuellement. Je reste à moitié habillé, le nez appuyé sur la peau brulante de Nina, ses mains dans mes cheveux et je vibre de contentement. La guirlande moire sa peau pâle de lueurs colorées qui se succèdent, du orange, du rose, du bleu... Elle ressemble à un arc-en-ciel. Je me perds dans le regard de Nina et sa demande me fait gravement hocher la tête avec dans les yeux, cette passion qui me dévore, qui revient en force, impossible à éteindre.

Ça commence par un baiser, doucement possessif, mes mains sur ses flancs, et j'entreprends de parcourir encore son corps. Je bécote son cou doux, écartant les cheveux rebelles de mon passage pour mieux grignoter sa peau. Ses seins jolis ont toute mon attention, je les mignote gentiment, suce les pointes rosées et délicieuses jusqu'à ce qu'elles se dressent sous cette torture exquise. J'embrasse son ventre, en aspire la peau pour y faire des suçons, ma trace à moi, prouvant mon amour et son appartenance. Je descends encore, levant la tête pour croiser son regard brillant, attendant qu'elle s'offre à moi une nouvelle fois.

Je ne cherche pas nécessairement un nouvel orgasme lorsque je lui demande de me toucher à nouveau. Je veux seulement qu'il poursuive ses attouchements possessifs. J'ai envie de ressentir encore ce besoin insatiable qu'on avait l'un de l'autre, cette façon qu'il a toujours eue de me toucher après l'amour, de m'embrasser, de parcourir ma peau encore comme pour l'apprendre par cœur, en gestes à la fois possessifs et pourtant infiniment tendres. Je veux qu'on se retrouve comme avant, au point que la sensation de ses mains sur ma peau redevienne naturelle, au point que l'absence de contact me fasse suffoquer. La passion qui nous lie a toujours été douloureuse parce que terriblement grave et sérieuse, et même cette douleur-là me manque aujourd'hui.

Je me laisse aller dans les couvertures, alanguie et offerte en toute confiance comme je ne peux l'être qu'avec lui. Dans le regard amoureux qu'il pose sur moi, je réapprends à ne plus avoir peur, à me laisser toucher, pire à vouloir qu'il me touche, à le désirer ardemment. Sa langue sur mes seins me fait gémir doucement et je creuse le dos pour presser ma peau contre sa bouche. Ce sont ses caresses qui me donnent envie d'en avoir plus, qui éveillent à nouveau le désir de façon plus tangible, et quand il descend entre mes cuisses, je sens mon ventre se nouer d'anticipation. Je plie les jambes, les écarte pour lui laisser la place de se glisser entre, et je tends les mains en arrière pour mieux m'offrir à ses caresses. Les yeux clos, je m'efforce d'oublier notre environnement pour me laisser aller, j'essaie d'oublier où nous sommes et pourquoi nous sommes là. Il n'y a plus que lui, sa chaleur, son odeur, sa façon de me toucher. Sa langue glisse sur moi et je geins un peu trop fort, encore à fleur de peau de l'orgasme récent. Je crispe mes doigts sur l'oreiller, et je le préviens d'avance parce que je le sais bien trop doué pour mon bien : Me fais pas jouir comme ça...

Je suis émerveillé par son corps qui s'éveille sous ma bouche et mes mains. Je ne me pensais plus capable de douceur, de sensualité. Je ne me pensais plus capable d'éveiller son désir, et le mien non plus d'ailleurs. Mais nous survivons, nous vivons, et la passion qui nous anime refait surface, tenace, inébranlable. Je gronde, déjà frustré qu'elle me refuse ce plaisir et je proteste d'une voix basse et rauque —et pourquoi pas Madame Kovács ? Pourtant, elle sait bien que je ne lui désobéirais pas, on ne joue pas, nous n'en sommes pas encore capable.

Je pose ma joue contre l'intérieur de sa cuisse, et je ferme les yeux quelques instant en savourant la sensation, ma main caressant sa hanche, glissant sur sa peau, son ventre, sa cuisse. Je viens l'embrasser intimement, goutant son corps qu'elle me donne dans un long et doux baiser mouillé. Elle a mon goût, le sien, qui s'emmêlent. Comme je n'ai pas le droit de la faire jouir comme ça et que je veux prolonger le moment, je suis délicat, tendre plutôt qu'avide. Pourtant le désir coure ardemment dans mes veines, renait au creux de mon ventre, en boule de métal brulant, en sensations trop longtemps oubliées. Je m'écarte pour la toucher du bout des doigts en pressions possessives soutenues par des petits coups de langue quand l'envie m'en prends. Je la sens qui se tend vers moi et tout mon être frémit à cet appel silencieux. Je ralentis, me fige, mon souffle sur elle, lourd, chaud. Il fait chaud. La sueur coule dans mon dos quand je remonte vers elle en baissant mon pantalon plus bas sur mes cuisses.

Il y a comme à chaque fois, comme avant, la même vibration des fibres de mon être quand il m'appelle par son nom, quand il me rappelle par ces deux mots qu'il m'a voulue à lui, que malgré l'absence d'alliance à son doigt, nous sommes encore mariés. J'étais terriblement triste de voir qu'il ne l'avait plus, d'ailleurs, je meurs d'envie de lui en offrir une nouvelle mais je n'en ai pas les moyens, d'autant que je ne veux pas d'une bague en toc achetée sur le marché... Je pourrais la voler dans une bijouterie, mais je ne suis pas certaine que Slavenko approuverait la méthode, il est encore trop parano pour me laisser reprendre les cambriolages. Sans ce symbole il me faut d'autres moyens de me rassurer sur notre appartenance mutuelle.

Parce que je te veux encore... Là, tout de suite, je n'ai pas envie de ce plaisir trop solitaire, j'ai la sensation qu'il se cache derrière cette caresse pour ne pas me laisser m'occuper de lui en retour, et quand bien même c'est terriblement bon, je ne veux pas m'en contenter. Il me connaît toujours aussi bien, sait parfaitement comment me faire jouir en cinq secondes ou bien comment me faire languir durant des heures, distillant savamment le plaisir pour qu'il enfle dans mes veines sans devenir trop urgent. Il finit par remonter vers moi alors que je suis déjà haletante, tremblante entre ses bras et je l'enlace, le ramène contre moi en venant me goûter sur sa langue dans un baiser voluptueux. Je souffle tout bas : J'ai envie de te goûter... Je n'ose pas prendre sans demander, j'ai trop peur de le braquer, je le sens trop vulnérable, encore trop angoissé pour me comporter encore comme s'il m'appartenait réellement.

Je retrouve sa bouche dans son étreinte possessive qui me réchauffe l'âme. Dans ses bras, les souvenirs s'effacent, elle en crée de nouveaux,...jusqu'au moment où elle souffle ces quelques mots et qu'un flash me submerge. Mon cœur s'emballe chaotiquement dans un accès de panique et je me fige, impuissant à enrayer la montée d'angoisse. Des images me polluent et sur un regard désespéré, je m'écarte, le désir m'échappant comme de l'eau entre les doigts. En deux secondes, je débande, il n'y a plus ni désir, ni envie de plaisir, rien que de la honte et du dégout de moi.

Jusqu'à présent, j'ai toujours évité que ces crises post-traumatiques ne soient devant elle, et parce qu'on avait rompu toute intimité c'était très facile. Mais cette fois c'est bien raté, et je n'en ai que plus honte encore. Il est où l'homme fort ? Celui censé la protéger, l'aimer, l'aider et la soutenir? Il est resté dans cette cave à mon avis, et j'aurais mieux fait d'y rester avec. Je ramène le drap sur moi, pourtant je sais déjà que toute tentative de dissimuler mon malaise sera vaine mais c'est compulsif, rester nu m'est insupportable. Je m'assombris de désespoir à l'idée de la peine que je lui fais. Je marmonne, la gorge nouée —Izivni... désolé. Je suis désolé. C'est juste... C'est juste quoi Kovács ? Que t'es pas capable que ta femme te touche comme ça ? Tu es pathétique. —pardon. Je ne peux pas la regarder, croiser son regard qui voudra des explications, je ne peux pas.

Tout son corps se crispe, brusquement paralysé entre mes bras. Contre ma poitrine, je sens son cœur qui s'affole, son souffle qui se fait plus court et je sais pertinemment que ce n'est pas de désir. Et soudainement je me fige, affolée. Je retiens mon souffle alors qu'il s'écarte de moi aussi vivement que si je l'avais brûlé, et je baisse les yeux pour ne pas qu'il voit mon regard embué de larmes.

Et la réalité me heurte soudain avec violence, les pièces du puzzle s'assemblant dans mon esprit pour faire sens. Je n'y ai pas pensé avant, jamais ça ne m'a effleuré l'esprit et je me sens à la fois ridicule et trahie. Quand il refusait de se déshabiller devant moi, je pensais que c'était parce qu'il ne voulait pas que je vois les blessures qui marbraient sa peau. Quand il ne voulait pas me toucher, je pensais que c'était de ma faute, parce que j'avais appartenu à d'autres et que je le dégoûtais au point qu'il ne puisse plus poser la main sur moi. J'ai cru, de façon très égocentrique, que le problème venait de moi, et je réalise que ce n'est pas le cas. J'aurais dû deviner, j'aurais dû lire dans sa façon d'éviter les contacts physiques, dans sa façon de se cacher, de se dissimuler à ma vue, dans ses hésitations constantes même dans nos rapprochements charnels. J'aurais dû comprendre qu'il voulait bien me toucher mais pas que moi je le touche. Mais je n'ai pas compris, ou je n'ai pas voulu voir l'évidence. Jusqu'à maintenant.

Un goût de bile envahit ma bouche et je sais que je suis à deux doigts de suffoquer. Des images s'imposent à mon esprit, d'une crudité qui me donne envie de vomir. Parce que je connais Slavenko par cœur, et parce que malheureusement je connais par cœur le sadisme de Logan, suffisamment pour imaginer ce qu'il a fait subir à mon mari. J'ai envie de pleurer, de fuir, de partir en courant sans plus me retourner. Mais je n'ai pas le droit de faire ça. Je n'ai pas besoin d'imaginer ce qu'il ressent, son malaise, je le sais parce que je l'ai vécu. Si je l'ai laissé me toucher plus rapidement, c'est parce que ce n'est pas la première fois pour moi. On m'a forcée à la prostitution pendant des mois, j'ai vécu chaque soir passé au Red Manor comme un viol. C'est triste à dire mais malgré la peur qui me paralyse souvent, je suis habituée à ce qu'on me traite en objet, à ce qu'on me blesse, qu'on me salisse, qu'on prenne sans demander. Avant de rencontrer Slavenko j'étais même persuadée de n'avoir droit à rien d'autre, que c'était ce que je méritais. Et il m'arrive encore de le penser aujourd'hui.

Alors je ne peux pas partir et le laisser comme ça, comme je ne peux pas le laisser voir le désespoir qui m'envahit brusquement. Je réduis la distance qui nous sépare pour le prendre dans mes bras en soufflant : Non, c'est moi... J'ai voulu aller trop vite, excuse-moi...

Je me raidis quand elle s'excuse, quand elle m'enlace, les muscles tendus. La première pensée qui me vient c'est que le glock est à portée de main, que je pourrais le prendre et me coller une balle, que ça arrêterait la souffrance et surtout cette honte insupportable. Je ne sais comment gérer ça, vraiment pas et j'en ai encore plus honte parce qu'elle, elle me laisse l'approcher, qu'elle est revenue vers moi quand je sais qu'elle a subi pire. La plupart du temps depuis notre évasion, je veux vivre dans le déni, je verrouille, refuse d'y penser. J'évite les situations qui ramènent les images. Quand on fuyait c'était facile, et puis ici, les choses se sont tassées mais j'ai fait en sorte d'être suffisamment isolé pour contenir le problème. Mais Nina abat mes barrières et me rend vulnérable, à fleur de peau.

Je ne dois pas y penser, je-ne-dois-pas-y-penser je m'accroche à ce mantra avec force depuis qu'on est sorti de là. Si j'y pense, je vais m'effondrer, mon esprit ne va pas résister, déjà j'ai le sentiment que tout s'effondre, que je deviens fou. Je soupçonne qu'elle se doute à présent, mais je fais comme si ce n'était pas le cas, je ne pourrais jamais supporter son regard sans ça. Je ne veux pas qu'elle me voit encore plus différemment qu'elle ne doit déjà le faire. Je m'écarte - doucement pour éviter de la blesser - pour prendre mon tee-shirt et l'enfiler, respirant un peu mieux quand c'est fait, comme si une peau de tissu pouvait me protéger, m'isoler. Je me rhabille sous le drap. —j'ai envie d'une clope. Ma voix rauque rompt le silence oppressant, pensant, empli de ces non-dits qui me terrifient. Je passe mes pieds dans les rangers que j'attire à moi, il est impossible de poser pieds nus dans le sable sans y voir un minimum avec toutes les bestioles qui trainent. Je me glisse jusqu'au perron du van, m'y asseye pour fumer, pour me calmer surtout.

Le prendre dans mes bras, le rassurer me demande un effort surhumain quand on sait à quel point j'ai envie de partir. Je crois que je ne suis pas faite pour ça, je ne suis pas faite pour être le moteur de notre relation, pour être celle qui nous maintient à flots, pour être celle qui positive, qui empêche l'autre de tout voir en noir. Non, moi je suis celle qui plonge tête la première dans les bonheurs artificiels parce qu'elle ne supporte pas la réalité, celle qui se shoote jusqu'à l'overdose quand les choses deviennent trop dures parce qu'elle n'a pas la patience de seulement attendre que ça passe. Pour l'instant c'est ma peur de le perdre qui me maintient la tête hors de l'eau, qui m'empêche de m'effondrer aussi parce que je sais que cette fois, je n'obtiendrais ni réconfort, ni secours dans ses bras. A quoi bon craquer quand je sais d'avance qu'il ne pourra rien pour moi ? Seulement je ne sais pas combien de temps je pourrais tenir à faire semblant que ça va, à prétendre que j'ai envie de danser, de décorer cet endroit, de me reconstruire quand j'ai juste envie de mourir quand je pense à tout ce qui ne va pas, à tout ce que j'ai perdu. Je n'ai pas la force de nous empêcher de couler tous les deux.

C'est encore pire quand il s'écarte de moi, refusant le secours de mes bras en me faisant me sentir plus impuissante encore, inutile. Je serre les poings, crispe les mâchoires pour refréner cette envie de hurler qui me prend aux tripes. Moi aussi je me rhabille, je récupère le pyjama échoué quelque part sous les couvertures et je l'enfile pour me couvrir, avec cette sensation étrange que c'est fini, on ne se touchera plus maintenant. Je me rallonge sur le flanc, face au mur pour ne pas le voir et ne pas qu'il me voit. Je ferme les yeux, pour réprimer mon envie de pleurer cette fois, et je rabats la couette épaisse sur moi, malgré la chaleur étouffante.

C'est certainement ça le plus dur, qu'on ne puisse pas s'aider mutuellement. Je sais que c'est de ma faute, je n'en suis tout simplement pas capable en l'état actuel des choses. Peut-être qu'avec le temps, si on nous en laisse. Nina ne me rejoint pas et je ne vais pas vers elle. A cet instant, j'ai besoin de cet espace entre nous, ou plutôt entre moi et le reste du monde. Je suis d'un regard éteint les volutes de fumée de ma cigarette. C'est joli. C'est étrange qu'il y ait encore de belles choses dans ce monde, non ?

Je n'ai jamais été la victime avant, toujours le bourreau, des choses moche, j'en ai faites, sans doute aussi moches que celles que Logan m'a imposées. J'éprouve une étrange dissociation à l'égard de tout ça et ça ne m'aide pas du tout, au contraire. Peut-être que c'est une sorte de punition divine? J'ai beau être orthodoxe, je ne crois pas vraiment en Dieu. Après ma clope, je me lève pour sortir du campement, sous le prétexte d'aller pisser plus loin mais j'ai surtout besoin de marcher un peu. Il fait beaucoup plus frais maintenant, c'est agréable. Nina a le glock et avant elle dormait seule dans la tente, j'essaye de ne pas m'inquiéter tandis que mes pas me portent au bord du canal.

Les yeux clos, je ne dors pas pour autant, j'attends seulement qu'il me rejoigne, en guettant les bruits autour de moi, de nous. Mais il ne revient pas. Quand je l'entends qui se lève, quand j'entends le bruit de la porte qui se ferme, je réalise que je suis seule dans la caravane, parce qu'il est parti. Je pourrais sortir, le rejoindre, tenter au moins de savoir où il va, pourquoi il s'en va, mais je ne bouge pas. Je ne peux plus aller vers lui, je n'y arrive plus. Pas ce soir en tout cas. C'est sans doute pour ça que je n'avais jamais demandé de jour de congé à Queenie avant, pour ça aussi que j'ai attendu si longtemps avant de demander à faire le service de nuit... Peu importe à quel point l'espoir s'évertue à revenir, les choses finissent toujours par s'effondrer à nouveau. Peut-être qu'on aurait mieux fait de continuer comme avant, à ne pas se toucher, se parler à peine, à éviter de se regarder, à ne se croiser que quelques brèves heures chaque jour. Peut-être que j'aurais dû partir, un soir pendant qu'il était à la frontière mexicaine. J'aurais pu tenter de fuir ailleurs, ou bien même me rendre à Logan pour que Slavenko soit tranquille. Peut-être que c'est lui, qui n'aurait pas dû rentrer. Peut-être qu'il aurait dû profiter d'une mission pour rester de l'autre côté de la frontière, refaire sa vie au Mexique, ne pas revenir. Mes pensées prennent une tournure de plus en plus noire à mesure que tous les faux espoirs mensongers que j'ai tenté d'y faire naître ces derniers jours se délitent.

Je regarde l'eau du canal, j'ai une envie compulsive de me laver mais ça voudrait dire se foutre à poil et c'est juste impossible. Pas maintenant. Je m'assieds le temps d'une seconde clope au bord de l'eau, sur le béton froid. Je ne pense à rien de précis, laissant mes pensées, ma conscience se déliter. C'est apaisant. Avant de rentrer, je fais un tour et puis je reviens au camp, je suis parti moins d'une heure je pense... Je pousse la porte en soufflant à voix basse —c'est moi , histoire de ne pas la prendre au dépourvue et je rentre. Je laisse mes chaussures près de la porte, avant de me coucher à la place qui m'est dévolue dans les draps. Je dors tout habillé, comme Nina.

Je reste un long moment, là, crispé, le cœur battant trop fort. Il me faut un moment pour m'habituer à cette sensation de gouffre, mais aussi au changement subtil de notre environnement. Pour la première fois, ça sent "nous" autour de moi, dans ces draps où on a fait l'amour. J'apprivoise la sensation et notre éreinte me revient en mémoire, mais surtout les baisers de Nina. J'en éprouve une tristesse indicible à présent que je me suis éloigné. J'aurais du dire oui, j'aurais du faire semblant, me laisser faire, fermer les yeux ou au contraire les garder grands ouverts braqués sur elle pour éviter les images délétères. Je me tourne vers Nina dans un soupir, roule jusqu'à être tout proche, dans son dos. Ma main s'accroche convulsivement à son haut de pyjama dans une recherche d'un geste de réconfort.

Je finis par me recroqueviller sur moi-même, au comble du désespoir, les joues baignées de larmes pour ne pas changer. Je me sens terriblement coupable, parce que c'est à cause de mon passé qu'il a été blessé, parce que c'est pour me protéger, pour me venger aussi qu'il s'en est pris à Logan, et qu'ensuite Logan s'en est pris à lui. Mais au-delà de cette culpabilité, je ressens aussi d'autres sentiments bien moins nobles, la déception entre autres, la déception et la rancœur aussi. Parce que j'ai la sensation de ne plus pouvoir compter sur Slavenko, qu'il ne pourra plus jamais être là pour moi, me soutenir, me protéger, m'aider à me relever quand je tombe, que je ne pourrais plus jamais réclamer son aide, me réfugier dans ses bras. Avant, j'étais toujours persuadée qu'il me sauverait. Aujourd'hui ce n'est plus du tout le cas, et pour la première fois depuis que je l'ai rencontré, je me sens seule à nouveau, livrée à moi-même, sans personne pour m'épauler. Ce constat me remplit d'une tristesse indicible, mais en plus me dégoûte parce que je m'en veux terriblement de le lui reprocher. Son rôle n'est pas de veiller sur moi, ce n'est le rôle de personne, je devrais pouvoir m'en sortir seule et je n'ai pas à mettre ce poids sur ses épaules.

Je me fige lorsqu'il revient, retient mon souffle, m'efforce de rester immobile quand il se couche à côté de moi. Et je me crispe quand sa main attrape mon haut, le ventre brusquement noué d'angoisse. Je voudrais me tourner vers lui, le prendre dans mes bras, le serrer contre moi et lui promettre que ça va aller. Je voudrais trouver, au moins, la force de seulement glisser mes doigts dans les siens. Ou même sans le toucher, reculer légèrement pour me nicher contre lui, lui montrer que je ne fuis pas son contact. Mais je n'y parviens pas et je reste douloureusement immobile, à tenter de prétendre que je suis endormie quand autrefois, même durant le sommeil mon corps répondait au sien.

Je sais que Nina ne dort pas. Je sens la tension dans l'habitacle du van monter brusquement. Je suis trop sensible trop à fleur de peau pour ne pas le sentir. Mais elle ne bouge pas d'un millimètre, même quand je reste la main crispée serrant son tee-shirt. Dans un effort, je finis par relâcher le tissu et pour la laisser tranquille, ne pas l'importuner quand je la dégoute tellement, et je m'écarte pour me rouler en boule sur le coté en lui tournant le dos. Je ferme les yeux, m'efforce de chasser cette sensation atroce de trou dans la poitrine et le ventre, de gouffre sous mes pieds.

La guirlande clignote toujours, mais je n'ai pas envie de l'éteindre parce qu'elle a un coté hypnotique qui me calme. Rouge - orange - jaune ... Sous mes paupières closes, je suis les couleurs qui se succèdent toujours dans le même ordre. Ça chasse l'envie de mourir et je m'accroche à ces petites lumières parce que ma vie en dépend. Un soupir me secoue quand la tension baisse d'un cran et que je somnole, trop fatigué et vaincu par les émotions pour ne pas sombrer dans un sommeil inquiet.

Je ne reprends mon souffle que lorsqu'il se détourne de moi, relâchant mon pyjama. En réponse je m'enfouis un peu plus sous les couvertures, remontant la couette jusque sous mon nez, ramassée sur moi-même en position fœtale. Les larmes coulent encore, silencieusement, de colère et de tristesse mêlées. Envers le reste du monde mais surtout envers moi-même. S'il ne m'avait pas repoussée tout à l'heure peut-être que j'aurais trouvé la force de le rassurer, mais je n'en suis même pas certaine. Mais il est parti, me laissant bien trop de temps pour ruminer, pour réfléchir, pour réaliser aussi et je sens que j'ai déjà commencé à ériger de nouvelles barrières entre nous. On a connu ça plusieurs fois par le passé, dans le Bronx et puis en arrivant ici, lorsqu'on se ferme tous les deux, et je sais que c'est malheureusement un cercle vicieux qui ne va qu'en s'empirant.

Moi aussi, je finis par sombrer dans un sommeil agité. Et comme il fallait s'y attendre, je me réveille en pleine nuit, prise de cauchemars qui me font trembler. Je suis en nage, le corps trempé de sueur et de larmes, et c'est à mon tour de partir cette fois, parce que je suffoque. Je mets fébrilement mes sandales, j'attrape ma lampe torche, ne pense pas à prendre le Glock et je chancelle jusqu'au canal, sans savoir qu'il l'a fait un peu plus tôt. Mais contrairement à lui, je ne rechigne pas à me déshabiller. J'ai trop chaud, trop l'impression d'étouffer, je me sens trop mal aussi et à cette heure il n'y a absolument personne. Alors je me désape et je plonge dans l'eau, pas assez fraîche pour me remettre les idées en place, mais suffisamment pour que je cesse de sangloter.