I have fire in my blood - Slavina

Quand elle sort du lit, elle me réveille, d'autant qu'elle est obligée de m'enjamber. Je crois qu'elle va juste dehors, prendre l'air, pisser, que sais-je, elle n'a pas pris le Glock, elle ne peut pas être loin, mais elle s'éternise et je commence à m'inquiéter, assis dans le lit à guetter les bruits. Je finis par me lever et remettre mes rangers, je prends l'arme et la glisse à ma ceinture. Je commence par le campement et le cercle autour avant de me diriger naturellement vers le canal comme je l'ai fait moi-même tout à l'heure. Le soulagement me saisit quand je vois sa silhouette frêle dans l'eau. J'ai eu peur à mesure que je ne la trouvais pas. La même peur que lorsqu'on a été séparé au Chalet, mais avec moins de rage et plus de résignation.

Je viens m'asseoir au bord du canal, sans rien dire, comme ces jours derniers quand on allait au réservoir après son service au Queenie. Je lui sers de vigile, de gardien, c'est le seul rôle qui me reste à présent. Je fouille ma poche pour prendre le paquet de clopes. Avec un soupir, j'en prends une, j'ai explosé mon quota ce soir, je compte celles qui me restent. Ce n'est pas grave, ce soir je vais bosser au Mexique. J'en achèterais là-bas. Elles sont moins chères. Le bout rougeoie dans la nuit, même s'il fait déjà moins noir, l'aube ne devrait pas tarder.Peut-être que j'aurais du poser le glock et m'éloigner mais Nina, c'est encore la seule chose qui me raccroche à la vie. Qu'est-ce que je ferais sinon ? Si elle n'était pas là, pourquoi je lutterais ? Je pense à Goran, il ne m'a jamais parlé de son histoire , juste des bribes, assez pour savoir qu'il était le seul à comprendre la passion qui nous liait - qui nous lie ? - Nina et moi. Je n'ai jamais su comment ça s'est fini pour lui, mais il était seul en tout cas, et il vivait sans celle qui avait brûlé son âme. Je ne pense pas que j'en serais capable. J'ai bien réfléchi à la question dans le sous sol du Red Manor, je vous assure.

J'ai beau être dans l'eau, je suis quand même aux aguets, à l'affût parce que je crains toujours de me retrouver seule. Même si je devine que ça risque de devenir compliqué étant donné qu'être avec Slavenko ne semble plus réellement être une option viable non plus. J'ai cru qu'on allait réussir à être ensemble à nouveau, j'ai vraiment cru qu'on était en train de se réparer, que ça irait mieux, qu'on était en train de s'en sortir. Je crois qu'on faisait seulement semblant tous les deux. Quoiqu'il en soit je sursaute dès que des bruits de pas se font entendre et je plonge presque entièrement sous l'eau, gardant à peine le nez dehors pour respirer, plissant les yeux pour percer la pénombre et distinguer la silhouette masculine qui approche. Je n'y vois pas grand chose parce qu'il fait nuit, mais je reconnais sa carrure, sa démarche et je me détends légèrement. Je ne suis pas soulagée de le voir, je suis seulement soulagée que ce ne soit pas quelqu'un d'autre.

Je le suis du regard tandis qu'il vient s'asseoir au bord de l'eau, et à dire vrai je ne comprends pas bien ce qu'il fait, pourquoi il reste là. Je l'observe, silencieuse, attendant de voir s'il bouge, s'il parle, mais il reste aussi muet que moi, le regard dans le vague. Les larmes ont cessé de couleur, l'eau a rincé la sueur sur ma peau, elle a enlevé nos odeurs qui s'y mêlaient aussi et je crois que je peux sortir sans faire de crise de panique. Je réalise que dans la précipitation je n'ai même pas pensé à prendre de quoi me sécher, et soudain me montrer nue devant lui me gêne. Ce qui est ridicule, j'étais nue dans ses bras il y a quelques heures à peine. Je sors de l'eau malgré tout, récupère silencieusement mes vêtements sur le bord du canal et je me rhabille lentement alors que je suis trempée, mouillant mes fringues au passage.

Je la regarde sortir de l'eau avec un pincement au cœur, mon regard glisse sur ce corps que je serrais contre moi il y a peu. Je lève les yeux vers elle —tu pouvais rester encore... Ma phrase meurt sur mes lèvres, mal assurée. Elle a du sortir parce que je la regardais, je l'ennuie à rester là, à polluer sa solitude, sa tranquillité. J'ai le sentiment de la déranger et de devoir m'excuser. Je sors le glock pour le poser près de moi, le lui montrer. —t'avais pas pris le flingue. Je le pousse légèrement vers elle pour qu'elle le récupère si elle veut, si elle veut rentrer au campement. Je n'ai pas ce courage là maintenant, pas quand elle se montre aussi effarouchée à ma vue, distante. Je comprends que ma présence la dégoûte alors je verrouille. Mon visage se détourne d'elle et se ferme, je regarde l'eau du canal. Je pose mes mains sur mes genoux, ma clope presque finie entre mes doigts, et mon visage s'avance jusqu'à ce que je sois presque en boule, pour pouvoir tirer sur mon mégot. Quand l'aube se lèvera, j'irais travailler sur les palissades, sans savoir si ça sert vraiment à quelque chose mais il faut bien que je m'occupe si je ne veux pas ressasser toute la journée à en devenir fou.

Je secoue doucement la tête, je sais bien que j'aurais pu rester dans l'eau mais ça me rappelle trop notre arrivée ici, quand il ne voulait même pas venir dans l'eau avec moi et qu'il se contentait de rester assis en silence, en me regardant à peine. Je frissonne un peu dans mes fringues trempées qui viennent se coller à ma peau, le pyjama rendu transparent par l'eau sans que je m'en soucie réellement, après tout nous sommes seuls et il fait nuit. J'hésite un instant avant de m'asseoir à côté de lui, ramenant mes genoux contre ma poitrine, les entourant de mes bras, prenant presque la même position que lui. Je ne me suis pas assise loin, nos épaules se touchent. Je soupire et souffle à voix basse : J'ai pas pensé au flingue... J'ai fait un cauchemar j'avais besoin... De me rafraîchir. En même temps dormir complètement enroulée dans les couvertures n'a pas du aider pour ne pas crever de chaud. Je finis par poser ma tête sur son épaule, silencieusement. Je ne lui en veux pas, et il ne me dégoûte pas du tout. Je suis juste triste, et encore c'est un terrible euphémisme. Je suis triste, déçue et angoissée, apeurée.

Je suis surpris qu'elle s'approche et s'assied près de moi, je la dévisage sans comprendre. Je hoche la tête dans un mouvement d'acquiescement, ça je comprends, nos nuits sont parsemées de cauchemars, et de beaucoup d'insomnies pour moi, insomnies où je ressasse tellement que c'est comme des cauchemars de toute façon. C'est pour ça que je préfère bosser la nuit, être éveillé quand il fait noir. Dormir la journée, c'est bien moins flippant.

Je tressaille quand elle pose sa tête sur mon épaule, une boule d'émotion monte dans ma gorge et je l'apprivoise par de longues secondes sans bouger. Je tourne la tête légèrement vers Nina et un drôle de soupir - amer et douloureux - soulève ma poitrine. Je hume ses cheveux, elle sent juste l'humidité, nos odeurs ont disparu sur sa peau et ça me rend triste. J'ai aimé nos corps qui se retrouvent et je l'ai vu sourire ce soir, j'ai ri aussi, ça ne m'était pas arrivé depuis avant. Je regrette d'avoir mis fin à ça par mes angoisses, j'aurais du la laisser faire, qu'est-ce que ça change? Maintenant, elle sait, je le sens dans les fibres de mon corps et je n'en éprouve que plus de honte. Je lui tends le paquet de clopes en proposant —tu en veux une ? Je n'en reprends pas, j'ai assez fumé, le goût m’écœure un peu. C'est le goût de Nina que je veux. Mon regard s'assombrit à cette pensée. Est-ce qu'elle pense que je l'ai trahie ? Que je ne lui appartiens plus ? Mon corps est comme désincarné, je le déteste, je me déteste.

Mais elle, je l'aime d'autant plus, d'un amour brulant, incandescent, qui illumine mon noir désespoir et repousse les ombres. Dans un geste brusque, comme on se jette à l'eau, je tends la main vers elle. Je pose la tête sur mon genou, le regard tourné vers elle, cherchant son regard et j'attends si elle veut bien prendre ma main dans la sienne. J'attends avec espoir, et aussi avec angoisse qu'elle refuse, qu'elle m'ignore, qu'elle fasse semblant de ne pas me voir.

Je secoue la tête pour décliner sa proposition, je n'ai pas envie d'une cigarette, je suis bien trop triste pour avoir envie de quoi que ce soit. La seule chose qui pourrait me tenter, c'est un peu de kétamine. Cette pensée ne me surprend pas, je suis habituée à ce qu'elle ressurgisse lorsque tout va mal, toutes les cures du monde ne sauront jamais me guérir tout à fait. Je ne pourrais jamais oublier le soulagement qui envahit tout mon être, l'apaisement qui chasse les angoisses et la douleur à la prise d'une dose. Avec la drogue c'est tellement facile, en quelques secondes il n'y a plus de peurs, plus de cauchemars, rien que cette sensation de flottement béat qui me permet de respirer à nouveau. J'apprends à résister à la tentation, mais à aucun moment elle ne disparaît. Je crois que c'est seulement le manque de pognon qui m'a empêchée de replonger depuis que nous sommes ici, parce que la drogue est facile à trouver... Jusque là je m'abstenais parce que je dois participer à notre survie, parce qu'on a besoin de cet argent. Mais maintenant que je sais ce que Slavenko a subi par ma faute, j'ai juste envie de mourir, la survie ne semble plus avoir le moindre sens. J'ai hésité d'ailleurs, entre le canal et le campement, je sais où me fournir, je le sais depuis le premier jour. Je ne sais en revanche pas pourquoi je n'y ai finalement pas été...

Il tend brusquement la main vers moi et je fronce les sourcils quelques secondes. Tout à l'heure j'ai été incapable de lui offrir le réconfort que, visiblement, il recherchait, mais je ne peux pas le lui refuser deux fois. Pas alors que nous sommes réveillés tous les deux, assis dehors à se demander sans doute ce qu'on va devenir. Je glisse mes doigts dans les siens, tout doucement, abandonnant son épaule pour poser ma tête sur mon genou, exactement comme lui, afin de pouvoir le regarder. Je serre sa main dans la mienne, un soupir douloureux me soulevant la poitrine et je retiens mon souffle pour ne pas laisser mon regard s'embuer à nouveau.

Elle hésite longtemps, ce qui me semble une éternité et la lumière s'éteint dans mon regard. Ma paume de main fourmille, devient moite et soudain Nina prend ma main et une nouvelle fois, j'en suis surpris. J'esquisse un faible sourire, de soulagement, de gratitude aussi. Je croise son regard trop sombre, trop brillant, émotif. Je me concentre sur la sensation de sa peau contre la mienne, juste le contact électrisant qui est revenu, je presse ses doigts en retour. Mon cœur s'est affolé déjà, et je le laisse se calmer. Ces pics d'émotions sont pénibles à gérer quand souvent, je voudrais ne plus rien ressentir au point de vouloir être mort. Ces crises sont heureusement assez brèves, et je sais que Nina est là, ça chasse les idées trop noires, parce que je n'ai pas envie de l'abandonner, de la laisser. Tant qu'elle est là, j'ai un espoir, tenace, vivace.

Mon regard se fait plus caressant, plus doux, comme si je cherchais à l'amadouer. On reste là en silence. On est si sage qu'un bruit attire mon attention. De l'autre coté du canal, un coyote - ou un chien errant peut-être, je le distingue mal dans la pénombre d'une aube naissante - vient boire en face de nous. Je retiens mon souffle, serre plus fort la main de Nina devant ce spectacle assez rare. L'animal finit par s'enfuir après avoir bu tout son saoul et je reporte à nouveau le regard sur Nina. Je brise le silence par deux mots bas, graves —volim te.

Je ne sais toujours pas pourquoi il est revenu quand il m'a fui si fort tout à l'heure, mais malheureusement je crois qu'on a toujours eu du mal à se comprendre lui et moi. C'est assez paradoxal pourtant parce qu'on se connait par cœur, on sait dire quand l'autre va mal, est triste ou en colère, je crois que ce sont plutôt nos intentions respectives qui nous échappent. Le contact de sa main dans la mienne me fait du bien, mais pourtant je ne parviens pas à en ressentir le même espoir que chaque fois qu'on s'est touchés ces derniers jours. J'ai l'impression douloureuse que ça ne signifie plus rien, que c'est tout ce à quoi j'aurais le droit à présent. Chaque fois qu'on fait un pas en avant, on finit par faire deux pas en arrière. C'est ça que j'attends à présent. Quand il fait un pas vers moi, qu'il me parle, me regarde, me touche ou me sourit, mon esprit ne parvient qu'à se demander quand est-ce qu'il me fuira à nouveau. On souffle le chaud et le froid depuis deux semaines et c'est douloureux, épuisant, je me sens usée et vide, désespérée aussi, avec l'impression de ne pas voir le bout du tunnel.

La vision du coyote venant boire non loin de nous attire mon regard sans m'émouvoir réellement, tout me semble trop noir ce soir, peut-être plus encore parce que c'était mon seul soir de repos avant des lustres et que je l'ai gâché. Une douleur me poigne le ventre à ses mots, me donne envie de pleurer encore. Moi ausi je t'aime... Maks à quoi bon si je n'ai plus le droit de le toucher, s'il ne veut plus être à moi ? À quoi bon si on se perd quand même, si on reste là, chacun à regarder couler l'autre sans être capable de l'aider ? Mon cœur s'emballe à cette pensée et je souffle d'une voix étranglée : On devrait rentrer...

J'attends anxieusement sa réponse. Sa phrase me rassure et la ligne crispée de mes épaules se détend. Nina ne m'a jamais menti, elle n'a jamais simulé ses réactions, adouci ses réponses même quand elles me heurtent, elle est toujours sincère avec moi et je ne crois que ça ait changé. Heureusement, ça m'évite de m'interroger sur ce qui est vrai ou pas, quand le doute est déjà mon fond de commerce ! Mon visage s'éclaire quand elle propose de rentrer et je me lève sans lâcher sa main, récupérant juste les clopes et le glock posé par terre de l'autre main. Je glisse le flingue sous mon tee-shirt.

Je change de main pour tenir la sienne et enroule mon bras autour de ses épaules. Je sais que mon refus de tout à l'heure l'a blessée. Je veux lui montrer que je ne la crains pas, que ce sont les souvenirs de la cave du Red Manor qui me hantent encore, mais ça n'a rien à voir avec elle, pas vraiment. Contrairement à ce qu'elle se dit, je ne l'estime pas responsable de ce qui s'est passé. C'est ma faute, mon arrogance nous a conduit à cette voie là et je la paye chèrement, mais aussi Nina, ce que je ne me pardonne pas. J'ai envie de son corps contre le mien, mais je ne veux surtout pas la contraindre. Je propose timidement en approchant du van, la voix vibrante —on se recouche ou...ou tu préfères déjeuner ?

Je suis soulagée qu'il accepte de rentrer au van et je me lève en gardant moi aussi sa main dans la mienne. Je n'ai pas pensé au flingue en partant tout à l'heure, et c'est encore une fois lui qui y pense pour rentrer. Je ne comprends de toute façon pas pourquoi ce serait à moi de l'avoir, il a besoin de pouvoir se défendre lui aussi, et il est meilleur tireur que moi... J'ai un frémissement quand il passe son bras autour de mes épaules, je suis surprise qu'il tente un rapprochement... J'en ressens également un soulagement qui m'effraie aussi parce que j'ai trop peur que ça s'arrête, j'ai trop peur d'y croire encore, de finir par espérer plus pour finalement n'avoir droit à rien d'autre que ça.

Je reste muette jusqu'à ce qu'on regagne notre campement de fortune, et à sa proposition je secoue légèrement la tête. Je suis très loin d'imaginer qu'il a envie qu'on se recouche ensemble, qu'on reste dans les bras l'un de l'autre, en fait je suis même persuadée qu'il cherche exactement l'inverse, ce qui me pousse à répondre : J'arriverais pas à me rendormir. Ce n'est pourtant pas faute d'être épuisée, mais je sais déjà que je ne pourrais pas trouver le sommeil, je suis bien trop angoissée pour ça. Je baisse les yeux sur mon pyjama trempé, soupire. Faut que je me change... Il a beau faire chaud, les fringues me collent désagréablement à la peau et l'eau n'est pas assez fraîche pour que ce soit bénéfique. Je me déprends de ses bras pour grimper dans le van, et je fouille le placard en quête de vêtements propres à enfiler. Je ne sais même pas comment m'habiller, je n'ai pas envie de grand chose. J'attrape la première robe qui passe et je me déshabille, récupère ma serviette pour me sécher brièvement avant de me rhabiller. Je ressors pour étendre mon pyjama mouillé à l'extérieur.

Elle s'éloigne dès qu'on arrive, refuse qu'on se recouche, va se changer. Et je reste planté un moment, démuni par son attitude que je ne décrypte pas. Je me résigne et pour m'occuper, je prépare du café avec le réchaud et je sors les céréales qui restent. En attendant je bois un verre d'eau et puis, une fois le petit déjeuner prêt, je le lui abandonne pour aller bosser. Je n'ai pas faim, et je n'ai même pas envie d'un café maintenant. Il fait encore assez frais, l'aube pointe à peine et si elle ne veux pas dormir, autant mettre à profit ce moment pour jouer du marteau et avancer sur les palissades.

Le sport me manque, mais il fait trop chaud pour avoir l'idée d'aller courir sans parler de faire de la muscu ! Là j'ai la chance d'avoir une activité où me dépenser et qui me donne un but. Je m'y attelle avec plaisir, c'est un des seuls moments où je n'ai pas l'impression de subir mon corps, mais de le retrouver, qu'il soit à nouveau un allié et pas un putain de traitre. Méthodiquement, je cloue les planches et les morceaux plus ou moins plats que je trouve pour monter les murs entre les poteaux installés les jours passés. J'adore cette activité qui demande de ne pas réfléchir, qui a un effet hypnotique et rassurant par sa répétitivité.

Au moment de saisir une fine porte de placard, j'entends un bruit caractéristique et je bondis rapidement en arrière en jurant. Un serpent que je n'avais pas vu s'est dressé mais j'ai reculé suffisamment et il s'échappe rapidement après cette brève confrontation. Tu ferais bien de faire attention plutôt que bailler aux corneilles Kovács ! Je frotte mon nez que les gouttes de sueur chatouillent avant de prudemment retourner voir pour prendre la porte.

Je ne cherche pas du tout à le fuir à tout prix, je n'ai juste absolument pas compris que sa proposition de se recoucher était une réelle invitation, qu'il en avait envie. Tout est tellement compliqué entre nous que je ne perçois plus vraiment les sous-entendus qu'il pourrait faire ! Aussi, comme il a proposé un petit-déjeuner, je suis terriblement surprise en ressortant du van de voir qu'il est déjà parti bosser sur les palissades... Je pensais qu'on déjeunerait ensemble et je reste un instant les bras ballants devant la porte ouverte du van, la gorge nouée par la déception. On est tombés, sans s'en rendre compte, dans un putain de cercle vicieux, parce qu'il a l'impression que je me fuis, ce qui le pousse à s'éloigner... Ce qui me donne l'impression qu'il me fuit ! On n'est pas sortis, putain.

Toute envie de manger m'a désertée, je n'aurais de toute façon grignoté que pour lui faire plaisir mais puisqu'il n'est pas là, je ne prends même pas cette peine. J'arrive à un stade où j'ai hâte que le soir arrive pour que je puisse aller bosser au Queenie, et ne plus avoir à subir cette situation qui me met bien trop mal à l'aise, qui me rappelle bien trop ce qu'on a perdu aussi. En attendant, la journée démarre à peine et il faut bien que je m'occupe, alors je finis par le rejoindre pour proposer mon aide. Je peux t'être utile...?

J'arrête quand elle vient me rejoindre. Elle me propose de m'aider et j'hésite parce que je ne sais pas quoi lui faire faire. Je gratte mon menton où la barbe a déjà bien repoussée en deux jours. Avec la sueur, c'est hyper désagréable. —J'ai qu'un marteau... Je fronce les sourcils en expliquant ce que je veux faire d'un air concentré —Je veux finir la palissade, j'espère qu'on aura assez de morceaux plats. Et après, à un mètre derrière, je vais creuse une petite tranchée. Comme ça, ça évite aux serpents de pouvoir venir, ça va limiter l'intrusion de bestioles. Y en avait déjà un en train de se faire dorer la pilule dans le tas. Et après faut trouver un emplacement pour les chiottes et creuser le trou, et mettre les poteaux pour faire une cabane autour. Finalement, j'ai encore besoin de la pelle, heureusement que j'l'ai oubliée hier. J'esquisse un sourire, tends légèrement le marteau en indiquant aussi la pelle appuyée contre le début de la palissade —qu'est-ce que tu préfères faire ? Palissades, tranchées ou chiottes ?

Il se jette à corps perdu dans l'aménagement du campement, sans doute parce qu'il a besoin d'avoir quelque chose à faire. Une partie de moi le comprend, c'est ce que je voulais faire aussi mais avec l'aménagement de l'intérieur du van, en apportant l'attrape-rêves, en cherchant à trouver de quoi rendre l'endroit plus chaleureux, accueillant pour nous deux... Mais d'un autre côté, ça me peine aussi parce que ça veut dire qu'on est partis pour s'éterniser ici au lieu de chercher un autre endroit où vivre. J'ai bien compris qu'il ne voulait pas aller en ville, mais j'ai un peu de mal à faire le deuil d'une vie plus stable, ne serait-ce que parce qu'on aurait l'eau et l'électricité ! Même sur le campement, il y a des "habitations" vraiment originales, j'ai vu une nana qui s'était fait une baraque dans une carcasse d'avion par exemple. Je ne dis pas que je veux quelque chose d'original à tout prix, attention, mais j'aurais aimé quelque chose de plus... Sûr ? De plus fonctionnel aussi...

Cela dit je ne veux certainement pas le couper dans son élan, alors j'écoute ce qu'il propose et je secoue la tête. Non, pas les chiottes. J'vais faire la tranchée. Ce n'est pas une question de ce qui est le moins dégueu ou autre, creuser un trou c'est pas dégueulasse, c'est juste que c'est ce qui me semble le plus simple. Les palissades, j'ai peur de ne pas les faire correctement, quant à la cabane qu'il veut faire autour des chiottes, j'ai peur de planter les poteaux de travers et qu'il doive passer derrière moi. Alors que creuser une tranchée, il y a peu de chances que je le fasse mal, non ? Un mètre derrière alors ? Faut que ce soit profond comment ? Pense aux tarentules aussi, hein...

Je hoche la tête à son choix, pour moi peu m'iporte. —D'accord, tu creuses. Oui, à plus ou moins un mètre, pour pas risquer d'abimer les fondations des poteaux. Fondation, c'est un bien grand mot mais ça explicite bien ce que je veux dire. Je réfléchis à sa question. —Non, non, je les oublie pas. Hum... si déjà tu creuses d'une demi-mètre, ce sera bien. Si y a besoin, on creusera plus mais je crois pas que les tarentules vont sauter. Enfin je crois... Après elles peuvent descendre et remonter, j'en sais rien de comment fonctionnent ces foutues bestioles. Je devrais trouver quelque chose à foutre au fond et qui les repousse. Qu'est-ce qui repoussent araignées ? A part moi ? Je lui répète, soucieux de sa sécurité —fais attention, y a des serpents

Évidemment je suis comme elle - pas tellement pour le confort, mais j'aurais préféré un endroit plus sécurisé, mais c'est difficile à trouver ici, tout est en ruine, à l'abandon, à ciel ouvert, les lieux en meilleur état sont pris d'assaut. Mais je vais faire de ce van un Fort Alamo, j'y compte bien. Je sais c'est ridicule, le Chalet était la maison la plus sécurisée possible, j'avais poussé la paranoïa à mettre des vitres blindées partout. Le mieux serait de changer d'endroit tous les jours, tous les soirs, mais même comme ça on peut nous traquer, et c'est pas une vie pour Nina.

Je la regarde commencer et je me remets au travail. On a deux à trois heures de bon avant qu'il ne fasse trop chaud. Faut pas chômer.

J'ai une notion assez floue des distances mais je devrais pouvoir m'en sortir sans trop de mal... Je ne suis pas certaine qu'une tranchée empêche les bestioles de venir, comme lui je pense qu'elles peuvent très bien descendre et remonter ensuite, en tout cas je suis certaine que les araignées d'ici y arrivent très bien vu comme elles sont énormes ! Je promets de faire attention aux serpents et je m'éloigne, pelle en main, pour me mettre au boulot. Après tout y a pas de raison qu'il soit le seul à taffer alors que je n'ai présentement rien de mieux à faire.

Je n'ai pas choisi la tâche la moins épuisante, d'autant que pour être honnête je n'ai pas encore retrouvé mon poids de forme, que je manque cruellement de soleil et qu'il fait une chaleur à crever. Mais je suis déterminée à me rendre utile et surtout à le faire sans me plaindre, autrement j'aurais aussi bien pu rester dans le van. L'exercice à le mérite de me changer un peu les idées, et je commence à creuser avec détermination. Comme j'ai pas vraiment l'habitude de ce genre de choses il me faut un moment pour trouver comment planter la pelle efficacement et la retirer sans me démettre l'épaule. J'ai dit que j'étais de bonne volonté, pas que j'étais douée de mes mains, hein. Moi mon truc c'est plutôt les tâches minutieuses, crocheter une serrure par exemple, ou fourrer mes doigts dans un portefeuille... Mais j'y mets du cœur et je bosse longtemps, deux bonnes heures avant de faire une pause, le corps trempé de sueur, à bout de souffle. Je n'ai mis ni chapeau, ni crème solaire et le soleil a beau ne pas encore cogner très fort, j'ai déjà commencé à rougir au niveau du visage et des épaules, des jambes sans doute aussi.

De mon coté j'avance bien aussi, comme j'ai dit, c'est une activité qui me plait, elle ne nécessite pas de penser mais accapare assez de concentration pour enrayer les pensées négatives et compulsives qui génèrent invariablement des crises d'angoisse. Là au moins, je me sens utile et j'ai l'impression de faire quelque chose, d'agir, d'être maitre de moi. Je suis content de monter ce mur de bric et de broc qui nous isolera et nous donnera une illusion d'intimité. J'entends Nina qui bosse non loin et ça me fait aussi plaisir qu'elle soit venue me donner un coup de main. C'est presque une activité ensemble, non ?

Quand elle cesse, j'arrête aussi pour me tourner vers elle. J'ouvre des grands yeux en la voyant rouge et transpirante. Mais quel con ! J'ai oublié de lui dire de se couvrir, je ne pensais pas qu'à cette heure ci elle risquait quand même de se prendre un coup de soleil dès que celui-ci pointerait son nez ! —Srce ! t'es rouge écrevisse ! Je lâche tout pour me précipiter vers elle dans la peur qu'elle fasse un malaise, mais non, elle a l'air d'aller bien et je reste empoté, le regard inquiet devant elle. —Viens à l'ombre Je l'entraine sous la toile d'ombrage où se trouve encore le déjeuner, et je vais chercher de l'eau d'un jerrican que je verse dans ce qui fait office de bassine. Je ramène une serviette et la trempe dans l'eau pour ensuite lui éponger le cou et les tempes, m'en chargeant moi-même comme je l'aurais fait autrefois. —Est-ce que ça va ?

C'est le problème avec une peau aussi pâle que la mienne, le moindre rayon de soleil, même léger, fait rougir ma peau. La seule chance pour que je bronze un peu, c'est de me mettre au soleil avec de la crème solaire SPF 50 et encore... Généralement je rougis quand même, mais un peu moins fort, et ça finit par virer au bronzage. Là ça fait deux heures que je suis dehors, le soleil a eu le temps de se lever et de méchamment me chauffer la peau. J'écarquille les yeux lorsque Slavenko accourt vers moi comme si j'étais en train de m'évanouir, accrochant mon bras pour m'entraîner à l'ombre sans me laisser le temps de protester.

Je fronce les sourcils, le laisse essuyer la sueur sur ma peau comme si je n'étais pas capable de le faire moi-même, et je suis partagée entre l'incompréhension totale et l'attendrissement... Parce qu'il s'inquiète pour moi, qu'il prend soin de moi, me laissant croire qu'il ne me fuit peut-être pas complètement finalement. C'est une pensée dangereuse, je le sais, mais je ne parviens pas à la chasser. Pas quand il pose sur moi un regard si inquiet. Mais oui ça va, c'est rien, juste un coup de soleil... J'irais acheter de la crème à la pharmacie. On n'a pas beaucoup de thunes mais j'imagine que je peux quand même me permettre d'acheter de la crème, non ? Mes lèvres s'étirent en un sourire que je voudrais rassurant et je tends la main vers sa tempe, essuie une goutte de sueur qui coule sur sa joue du bout de mon doigt. Toi aussi t'as chaud mon amour...

Elle a déjà fait des presque malaises avec la chaleur, et vu comme elle est mince, pour ne pas dire maigre, j'ai toutes les raisons de m'inquiéter. Elle a la peau sur les os, des cernes, et je m'inquiète pour elle sans cesse. Mais là, elle n'a rien du boire et elle est restée sans protection au soleil alors d'autant plus. —ça serait vraiment bien d'acheter de la crème. J'acquiesce en continuant de l'éponger, une lueur amusée dans le regard parce qu'elle constate que je suis tout transpirant. Son geste me fait frémir d'amour et je n'esquive pas son contact, qui amène un sourire sur mon visage. —oui, il fait déjà chaud, et il doit même pas être huit heure du mat... Mais ça va, je résiste mieux que toi au soleil. Je lui tends la bouteille d'eau pour l'inciter à boire. Je la gronde gentiment tandis que je reprends tranquillement à promener la serviette humide sur ses bras brulants —tu aurais du mettre ton nouveau chapeau. Et je suis sur que tu n'as rien mangé en plus. Je jette un coup d'oeil au café et aux céréales comme si ça pouvait confirmer mon affirmation.

—tu sais quoi ? On va déjeuner, et on ira au réservoir, tu sais celui où il y a de l'ombre. Il est tôt, je suis sur qu'il y aura personne. Parce que le canal est dégagé sans un pet d'ombre et je crois qu'elle a assez pris le soleil pour l'instant. Je suis désespéré. A ce rythme, elle va bien finir par bronzer et je n'aurais plus que le souvenir de sa peau de lait. Elle a les pommettes et le nez rouges. Je soupire en posant la serviette dans la bassine d'eau et je fais réchauffer le café de ce matin pour nous en servir deux tasses. Je verse des céréales dans les deux bols, et pour moi, je me concocte une mixture mi-céréales mi-café que j'avale de bon appétit. Les travaux m'ont donné faim.

J'aurais voulu retrouver mes formes pour lui plaire, j'aurais voulu avoir de jolis vêtements à porter, du maquillage et du parfum, des sous-vêtements sexy aussi... Mais je n'ai rien qui soit à moi, rien d'autre que les fringues d'une autre qui n'ont rien d'érotique, je suis trop mince pour qu'il ait envie de presser ma peau entre ses mains, mes cheveux sont constamment collés à ma nuque par la sueur, et j'ai la sensation d'avoir même perdu ma démarche, les mines sensuelles que je savais faire pour l'amadouer, les regards dont je savais l'allumer. Je suis en train de me déssecher sous le soleil californien et bientôt il ne restera plus rien de celle que j'étais. C'est ce que je me dis face à nos gestes empruntés et ses réticences, l'ancienne Nina aurait su l'amadouer, le dompter, le rendre enragé après sa peau aussi. Moi je ne sais plus faire.

Je vais bien devoir apprendre à résister au soleil parce que je crois pas qu'il fasse moche un seul jour de l'année... Bon sang il n'y a rien dans cet endroit qui soit fait pour moi ! Non, j'avais pas faim... Et j'ai pas eu le temps de penser à mon chapeau, quand j'ai eu fini de me changer t'étais déjà en train de bosser. J'acquiesce à sa proposition, je ne songe même pas à protester il est évident que ça ne servirait à rien, et je m'installe à côté de lui une fois qu'il a fini de m'éponger avec la serviette humide. Je récupère mon bol de céréales, et je m'efforce de le terminer pour chasser l'inquiétude que je lis dans son regard. Avant, le fait qu'il prenne soin de moi de cette façon très infantilisante ne me dérangeait pas, parce que le sexe torride contrebalançait. Mais à présent que nous n'avons même plus cette complicité-là, j'ai juste l'impression d'être une enfant dont il devrait s'occuper.

Je crois déceler un reproche dans sa remarque sur le fait que je me suis mis à travailler tout de suite et dans le doute, je m'excuse d'un ton penaud et bas —pardon... J'avale ma pitance avec faim mais sans plaisir. La nourriture est devenu une question de survie, déjà qu'avant je n'étais pas grand gastronome. Je finis bien avant elle mais j'en profite pour avaler des quantité de flotte, je ne fais que ça de la journée tant il fait chaud. La laissant finir de manger à son rythme de tortue, je vais ranger les outils et j'avale un second café en rangeant le réchaud, le reste du paquet de céréales devenu bien trop léger. Je prépare un sac avec de l'eau et les serviettes, de quoi me laver aussi et des fringues propres. Cette fois, je fais attention de nous équiper pour qu'on ne souffre pas du soleil et de la chaleur. C'est qu'on doit quand même bosser ce soir, ce serait con de faire une insolation !

J'attends qu'elle soit prête à son tour. Je ne suis pas impatient, j'attends simplement en baillant aux corneilles, de saines courbatures se rappelant à mon bon souvenir. J'ai mal aux épaules d'avoir cloué les planches en hauteur et j'imagine que Nina doit avoir mal au dos. Se baigner nous fera du bien. En été, à Slab City, les gens passent la moitié de leur vie dans l'eau. On a de la chance et il n'y a effectivement personne à l'endroit convoité, c'est tranquille le matin ici. Je pose les affaires et j'installe les serviettes et la toile d'ombrage que j'ai prise. Je m'assieds pour ôter patiemment mes rangers, heureux de retirer mes grolles et de laisser mes pieds respirer ! Après une courte hésitation, je me décide à me déshabiller entièrement. De toute façon le mal est fait, elle m'a vu nu, et si à présent je la dégoûte (je ne sais pas trop en fait, j'ai du mal à interpréter ses réactions) il est de toute façon trop tard, je ne peux pas revenir en arrière de ma réaction de cette nuit. Le fait qu'il n'y ait plus ce secret entre nous ne me console pas du tout. J'aurais voulu que ça le reste, j'aurais voulu faire comme si il n'y avait rien eu, je préfère le déni - même factice parce que je sais très bien ce qui s'est passé. Je me glisse dans l'eau sombre avec un soupir de bien-être, me planquant à l'ombre des arbres qui poussent autour de ces bassins improvisés.

Je secoue doucement la tête dans un léger sourire, surprise de ses excuses. Non, c'est pas grave. J'ai été blessée sur le moment mais je crois bien que je suis tellement à fleur de peau en ce moment qu'absolument tout me blesse de toute façon, alors je ne peux pas vraiment lui en tenir rigueur. Je suis bien plus lente que lui à terminer mes céréales mais je ne me presse pas, je suis encore un peu groggy de la nuit passée je crois... C'est épuisant et douloureux aussi de faire sans cesse les montagnes russes émotionnelles. J'étais au comble du bonheur quand on s'est retrouvés dans le van pour faire l'amour, puis au comble du désespoir lorsqu'il m'a repoussée puis abandonnée une heure durant, me laissant seule dans nos draps. Ce matin j'y songe encore, comme au fait qu'il m'ait rejoint au canal pour finalement rentrer et se mettre au boulot quand on aurait pu passer du temps ensemble... Je suis très ambivalente dans mes désirs, parce que d'un côté je sais que plus on passe du temps ensemble, plus on se déchire, mais d'un autre ça me manque de passer du temps avec lui. Je rêve d'une nuit à l'hôtel, rien que lui et moi, dans un hôtel de luxe, ou bien une location insolite en pleine nature, au bord de l'eau ou en forêt, quelque chose qui ne serait pas ce désert aride et hostile. Je tuerais pour retrouver notre vie d'avant. Avant, on aurait pu s'éclipser, partir en escapade tous les deux pour se réparer...

Une fois que j'ai mangé, je le suis jusqu'au réservoir que l'on a la chance de trouver désert. Je reste un instant immobile à le dévisager, encore surprise de le voir se déshabiller entièrement... Après sa réaction de cette nuit, et le fait qu'il ne m'ait pas rejoint dans l'eau ce matin, je pensais sincèrement qu'on était revenus au point de départ. Je me retrouve à ne pas savoir que faire avant de décider que la meilleure chose à faire est encore de l'imiter, pour ne pas laisser la distance s'installer peut-être, pour ne pas être celle qui nous fait reculer. Alors moi aussi, je me déshabille entièrement, abandonne toutes mes fringues sur ma serviette avant de le rejoindre dans l'eau, un peu plus chaude que celle du canal. Je m'immerge jusqu'aux épaules avant de nager pour le rejoindre.

Je ne ressens pas la même chose que Nina. Etre dans son sillage me suffit, et si après qu'on se soit rapproché, elle est à nouveau distante après avoir compris, j'essaye de m'en accommoder. En plus honnêtement, je crois que tout ce qui peut m'éviter une explication, une confrontation me convient. Je peux supporter ses retraits de dégoût - c'est comme ça que moi j’interprète sa mise à distance - ses remontrances, ses sous-entendus tant qu'elle reste quand même. Niveau amour propre, j'ai connu mieux que ces jours derniers si vous voulez tout savoir. J'essaye aussi de me racheter après lui avoir fait tout perdre, son chalet, son boulot, ses amis, les animaux. Alors je fais n'importe quel boulot pour trouver de l'argent, je construis cet ersatz de maison. Et puis j'essaye de la protéger.

La nudité ne m'enchante pas et je me déshabille sans la regarder. Une fois que je suis dans l'eau, ça fait tellement du bien de se rafraîchir que j'en oublie ma gêne. En plus l'eau est trouble alors bien immergé, je suis caché. Je m'attends tellement à ce qu'elle m'ignore que je suis surpris - agréablement surpris - quand elle nage vers moi. J'esquisse un sourire timide et je fais semblant de lui balancer une pichenette d'eau qui ne l'atteint même pas. Avant elle mettais trois heures à entrer dans l'eau mais ici tout est différent, même ça. Je passe de l'eau sur mon visage, en frottant ma barbe pleine de sueur. Mon regard s'éclaire parce que c'est bon d'être dans l'eau, c'est agréable. —ça fait du bien.

J'oscille, l'humeur instable, avec cette impression d'être bipolaire tant j'ai à la fois envie de pleurer et envie de m'en sortir. Un instant je veux hurler, partir, me noyer, la seconde d'après je veux le prendre dans mes bras et lui promettre que tout va s'arranger. Je crois surtout que mon instinct de survie n'a jamais été si fort qu'en cet instant, sinon je me serais déjà tiré une balle, après tout j'ai le Glock avec moi toutes les nuits. Cette fois l'espoir s'accroche ridiculement à ma peau, s'agrippe pour m'empêcher de me laisser sombrer. J'ai de récurrents passages à vide où j'ai envie de baisser les bras, où je me promets que j'arrête d'essayer parce que le rejet m'est trop douloureux... Et pourtant je continue d'aller vers Slavenko, encore et encore, inlassablement. Chaque geste de sa part fait flamber l'espoir plus fort, chaque refus, chaque silence creuse mes plaies un peu plus profond.

Pour l'heure je lutte encore, contre lui, contre moi surtout. Je souris parce qu'il sourit, je frémis parce qu'il tente de m'éclabousser sans y parvenir. Je suis terriblement consciente du fait qu'on est tous les deux nus dans l'eau et je dois me faire violence pour ne pas laisser mon corps appeler le sien. Maintenant que j'ai retrouvé le goût de sa peau, il m'est difficile de ne pas vouloir utiliser le sexe comme anxiolytique, de ne pas avoir le secours de ses bras pour oublier les souffrances vécues. Je plonge la tête sous l'eau pour me mouiller les cheveux, je remonte en clignant des yeux pour chasser les gouttes qui s'accrochent à mes cils. Oui, elle est encore bonne à cette heure... Je mords ma lèvre inférieure, hésite, tergiverse avant de tendre la main vers lui, dans un geste tremblant, hésitant. Je peux... Je peux venir contre toi...?

Je suis encore plus surpris de sa demande quand je pensais la dégoûter, la voilà qui se rapproche de moi. Est-ce que je lui fais pitié ? Un instant je la dévisage avant de me rendre compte qu'elle attend une réponse. Allô Kovács, y a quelqu'un ? Mais quel crétin ! —Bien sur ! Je vais lui dire qu'elle n'a pas besoin de demander quand je réalise que c'est faux. Que cette nuit, même en demandant, je me suis tapé une jolie crise d'angoisse. Mes joues me brûlent de honte tandis que j'ajoute encore une fois à voix basse —Izvini. ah ça c’est une chose qui n'a pas changé de d'habitude, d'avant, être désolé ! Tu passes ta vie à ça Kovács !

Je finis par me taire et seulement prendre sa main pour la tracter vers moi, l'approcher de moi. Son corps entre en contact avec le mien sans que ça m'effraye, ce cap là, je crois bien l'avoir passé. Je passe mes bras autour de sa taille pour l'enlacer avec précaution. Ses seins s'écrasent contre moi, doux, chauds, même dans l'eau. Elle est toute nue, sans un seul bout de tissu qui la couvre, moi aussi, c'est assez étrange en fait. Machinalement je regarde autour de nous mais c'est très tranquille, alors je me risque à quémander un baiser, même si je crains qu'elle ne se détourne que mes lèvres n'atterrissent sur sa joue.