I have fire in my blood - Slavina

J'ai beau prétendre, même quand j'en ai assez de lutter, même quand je crois n'avoir plus de forces, j'ai toujours besoin de lui, constamment. J'ai le besoin vital qu'il me réconforte. Je sais que je ne peux plus rien réclamer, que je ne peux pas m'attendre à ce qu'il sèche mes larmes, que je ne devrais même plus avoir le droit de pleurer devant lui, qu'il ne sera pas en état de me rassurer, de me faire croire que ça va aller... Mais j'ai au moins besoin de ses bras autour de moi, de son corps contre le mien. Chaque fois que j'ai le sentiment d'être en train de le perdre, ou de l'avoir perdu, je sombre dans un désespoir si noir que la douleur me coupe le souffle. Il est la seule chose qu'il me reste, je ne peux pas le perdre lui aussi.

Sa main attrape la mienne et il m'attire à lui, un brusque élan d'amour me serre la poitrine lorsque mon corps entre en contact avec le sien. Il m'enlace, referme ses bras sur moi et je sens mes barrières qui vacillent encore. Dieu que c'est dur de lutter contre lui, d'essayer de rester forte ou de feindre l'indifférence quand il parvient d'un seul regard à abattre toutes mes défenses, sans même le vouloir en plus j'en suis sûre ! Je passe mes bras autour de son cou et viens chercher sur sa bouche le baiser qu'il réclame. Nos langues se lient dans une sarabande voluptueuse qui hérisse ma peau en chair de poule, noue ma gorge d'émotion, embue dangereusement mon regard. Je pose mon front contre le sien, souffle ces mots que je voudrais garder pour moi, que je n'ai pas le droit de prononcer et que j'avoue pourtant, à bout de forces sans doute : J'ai besoin de toi...

Son baiser a le double effet de me vriller les nerfs et d'accélérer les battements de mon cœur de façon chaotique. C'est doux, c'est bon, ça me plonge dans le désarroi, je ne sais plus trop où nous en sommes à force de jouer les montagnes russes depuis hier. Je l'embrasse fébrilement jusqu'à ce qu'elle pose son front sur le mien et que je ne puisse plus me soustraire à son regard mouillé qui me tort le cœur.

—c'est vrai ? Je couine d'une voix que je ne me reconnais pas, geignante, désagréable à mes oreilles.C'est que je n'ai pas le sentiment qu'elle ait besoin de moi, j'ai plutôt l'impression d'être un boulet attaché à son pied et l’entraîne par le fond. Sans moi elle pourrait refaire sa vie, sans moi elle partirait loin, se trouverait un vrai mec pour la protéger, la défendre, l'emmener loin, lui faire l'amour, la choyer. Elle ne se retrouverait pas coincée ici avec un déchet à qui le moindre contact donne envie de chialer comme une gonzesse. Mais comme je me déteste tandis que mes yeux s'embuent. Cette journée, c'est vraiment dur, je ne sais ce que j'ai. Enfin si je sais. Elle sait et ça change tout en fait. Mes mains se sont crispées sur ses reins comme si elle allait chercher à se barrer et quand je m'en rends compte je fais l'effort surhumain de desserrer ma prise. Sois raisonnable Slavo. Je finis par avouer tout bas en renonçant à toute virilité qui de toute façon s'est fait la malle cette nuit on dirait bien —moi aussi j'ai besoin de toi.

Sa question me surprend, et me brise le cœur tout à la fois. A quel point faut-il qu'il soit égoïstement embourbé dans sa douleur pour ne pas avoir conscience de la mienne ? Mais bien sûr que c'est vrai... Je voudrais m'emporter mais je n'y parviens même pas, ma voix est basse, contrainte, je ne suis capable que d'être triste et de culpabiliser. Parce qu'il a raison. J'ai besoin qu'on me protège, qu'on me défende, qu'on m'emmène loin, qu'on me fasse l'amour et d'être choyée. Mais j'ai besoin que ce soit lui qui le fasse, je ne veux pas d'un autre, je n'en ai jamais voulu. Je ne suis pas partie lorsqu'il a voulu que j'avorte, je n'ai pas cherché un autre homme avec lequel fonder une famille, j'ai seulement renoncé à cette idée parce que je n'en voulais qu'avec lui. C'est la même chose aujourd'hui, s'il n'est pas en mesure de m'apporter ce dont j'ai besoin alors j'y renoncerais, je finirais sans doute par en crever à ce rythme mais il ne peut y avoir que lui, je le sais, je l'ai toujours su.

Je secoue la tête doucement lorsqu'il répète mes paroles. Je sais... C'est ça la différence, moi je sais qu'il a besoin de moi, j'en suis consciente et bon sang Dieu sait que je m'efforce d'être là, en tout cas je fais de mon mieux. Je ferme les yeux, cligne fort des paupières pour ne pas me mettre à chialer quand je les rouvre. Je sais pas combien de temps je vais tenir comme ça Slavo... Mes mains se crispent sur sa nuque, mon cœur bat bien trop fort parce que je sais que les conversations qu'on a quand on est à poil se terminent toujours mal, parce que je sens bien que je vais encore tout foutre en l'air mais je ne peux pas intérioriser éternellement. Je sais que c'est dur, que t'as mal, que t'as probablement envie de mourir la plupart du temps... Je sais tout ça parce que je suis passée par là plusieurs fois. Je lève sur lui un regard brillant de larmes, un regard désolé aussi, désolé de ne pas être assez forte. Mais moi aussi j'ai besoin de toi...

Je n'ai pas tellement envie de parler de moi et de mes pensées suicidaires, alors je m'efforce de ne surtout pas avoir de réaction quand elle dit combien elle sait que c'est dur pour moi. Bien sur, elle est restée au Red Manor un an, et elle aussi était entre les mains de Logan. Evidemment qu'elle sait, je n'ai pas le monopole de la douleur, j'en suis cruellement conscient.

Donc, je me concentre sur elle. J'intègre que c'est vrai, elle a besoin de moi. J'imagine que je ne la dégoûte pas tant que ça, ou alors c'est complètement ambivalent. Je cille légèrement en pleine réflexion. Dans ces moments là, la conversation prend du temps, parce que je réfléchis avant de débiter mes conneries, plutôt que de les dire directement. Notez que le résultat est le même c'est juste que c'est plus long. —Mais...j'essaye de prendre soin de toi. Le van c'était pour elle, sinon j'aurais aussi bien pu crever dans la tente, le cambriolage pour lequel j'ai cédé. Je l'emmène toujours se baigner pour veiller sur elle et qu'elle se rafraîchisse. Je lui ai trouvé une guirlande lumineuse pour lui faire plaisir. Vraiment j'essaye, je fais des efforts surtout depuis qu'on s'est rapproché. Il n'y a guère que cette nuit que... Est-ce que c'est ça le problème ? Le sexe, ou plutôt son absence, et même si le désir revient, il peut rapidement être soufflé d'un mot. — C'est à cause de cette nuit ?

Je fronce les sourcils quand il dit qu'il s'efforce de prendre soin de moi, je réalise que comme toujours trouver les mots pour exprimer ce que je ressens va s'avérer compliqué. Je tripote nerveusement ses cheveux du bout de mes doigts en secouant doucement la tête. Je sais bien... Je suis bien consciente de tout ce qu'il fait pour moi, je le connais suffisamment pour savoir que s'il était seul il ne se donnerait pas la peine de faire tout ça. Encore qu'il a toujours eu un instinct de survie bien plus développé que le mien, c'est une évidence.

Cette nuit...? Je sais pas... Un peu... Mais sans doute pas comme il le croit. Je me fiche bien qu'il ne m'ait pas laissée le goûter, enfin ça ne m'est pas égal mais je suis bien placée pour comprendre qu'il a besoin de temps. C'est plutôt le fait qu'il m'ait fui juste après alors même que revenir vers lui m'avait demandé un effort considérable. Je vois bien tout ce que tu fais pour moi mais toi... Toi j'ai l'impression que t'es jamais vraiment là... C'est de lui que j'ai besoin, bien plus que d'un endroit où dormir ou d'une guirlande pour ne pas avoir peur du noir, aucune veilleuse ne peut chasser mes cauchemars comme il sait le faire. Je l'enlace plus fort, me serre contre lui avec dans le ventre cette peur panique qu'il me fuit à nouveau. Tu me manques, tu me manques constamment et je... Je supporte pas de vivre avec la sensation que je suis en train de te perdre... Je sais bien pourtant que c'edt ridiculement égoïste, je ne peux pas lui demander de redevenir comme avant, moi-même je suis sortie changée à jamais de chaque traumatisme. Je pose mon front sur le sien, noue mes jambes à ses hanches pour lui interdire de s'éloigner de moi. Je ne veux pas te perdre... Je respire son souffle pour tenter de calmer les battements de mon cœur, passe mes pouces sur ses tempes pour encadrer son visage alors que je refuse de m'éloigner de lui. Je t'aime, je t'aime à en crever. Je veux juste... J'voudrais qu'on se retrouve vraiment et pas seulement une heure sur deux .. Parce que moi aussi, je me suis perdue en chemin.

J'essaye de lire les mots qu'elle ne dit pas sur son visage et dans les frissons de sa peau, comme avant. Je la soulève dans mes bras, l'eau la portant, pour la tenir tandis qu'elle s'enroule autour de moi. Je baisse un peu la tête et le regard quand elle dit que c'est un peu à cause de cette nuit. Bien sur que je me sens coupable, je me sens perpétuellement fautif, responsable.
Mon regard s'éclaire pourtant quand elle dit être consciente des efforts que je fais. Ses mains qui chipotent mes cheveux trop courts me font du bien. Une boule de chaleur se répand dans mon plexus et mon ventre: quand elle fait ça c'est qu'elle me pardonne. Nina ne dit jamais ça, je te pardonne, mais elle a des gestes qui le montrent, qui montrent qu'elle m'aime encore. —si je suis là... Je ne sais pas quoi dire d'autre parce que si je ne suis pas là, c'est que je suis encore dans la cave, et c'est juste impossible à en parler. Je secoue la tête —tu me perds pas, je suis là. Si je lui dis ce que je ressens, je vais la blesser inutilement, mes doutes, mes angoisses à quoi bon les lui infliger quand elle a les siennes à gérer ? Si je lui dis que j'ai peur de la dégouter, de ne plus être un homme, que je mérite ce qui m'est arrivé, que je suis paralysé de peur à l'idée qu'on nous retrouve, que si elle n'était pas là je me foutrais en l'air, à quoi bon ? Je ne veux ni pitié ni chantage entre nous.

Sa déclaration d'amour me fait plus mal par son désespoir qu'elle ne me réconforte. Je ressens cette même passion, toujours. Je lève la main hors de l'eau pour la poser sur sa joue, mouillant son visage. —Je suis là Nina, j'ai besoin de toi et je t'aime. ça va aller tu sais... laisse moi juste... un peu de temps? J'esquisse un sourire —ça va déjà mieux tu vois ? Tu es là et moi aussi, je suis là. J'ai un sourire penaud —tu es plus forte que moi. Je l'ai toujours su A chaque fois qu'elle doutait, je lui disais combien elle était forte, et j'avais raison, elle est belle ma femme, courageuse et je la mange d'un regard d'admiration et de gratitude. —et en plus t'es belle.

Ses bras qui me portent, me ramènent contre lui me font du bien, parce que j'ai toujours peur qu'il se braque quand je tente de lui parler. Il a énormément changé depuis, mais je n'oublie pas les débuts de notre relation et les colères noires dans lesquelles il se mettait si je formulais mal mes pensées, si je lui donnais l'impression de trop m'éloigner ou de lui reprocher quelque chose. Je fronce les sourcils quand il m'assure qu'il est là, je n'en ai pas l'impression. Il n'est plus lui-même et celui qu'il était me manque cruellement. Mais je ne peux pas lui dire ça, ça lui ferait bien trop de peine. Je suis infiniment triste de ne plus lire cette rage de vivre au fond de ses yeux, de ne plus le voir possessif, déterminé, avec cette lueur sauvage dans le regard qui laissait croire qu'il pouvait bouffer le monde. Ça ne me peine pas de façon égoïste, mais pour lui, parce qu'il sombre et qu'il a mal, qu'il a peur. Il n'a pas besoin de le dire, je le sais, je le sens.

Sa main sur ma joue me fait trembler et je lève le nez pour croiser son regard trop sombre. Il a raison, il faut que je lui laisse du temps, ça ne fait que deux semaines, un peu plus que nous sommes sortis. Mais le temps me paraît bien trop long, la patience n'a jamais été mon fort, surtout quand je souffre. Et ce n'est pas parce que je ne le fuis pas que je n'ai pas mal. Sourcils froncés je secoue la tête. Ça n'a rien à voir avec la force, c'est juste... Une question d'habitude. C'est triste à dire, mais c'est la vérité. Lui fait bien plus facilement face à la mort, au sang et à la violence, parce qu'il a fait la guerre, parce que ça fait partie de sa vie. Moi je vis dans la peur et le dégoût de moi-même depuis des années, j'y suis accoutumée. J'ai vécu exactement la même chose quand j'ai quitté le manoir et que Tobias était à mes trousses, c'est l'histoire qui se répète pour moi. Ça ne veut pas dire que je n'ai pas peur ou que je ne suis pas traumatisée, seulement je vis dans une sorte de... D'acceptation factice, comme si j'étais anesthésiée, parce que je me dis que je suis condamnée à vivre ce genre de choses. Oh, un jour je finirais par imploser et ça me pétera violemment à la figure, et sans doute à celle du slave... Mais ce n'est pas pour aujourd'hui.

Je te laisse du temps, je ne vais nulle part... Mais il me manque, c'est comme ça. Je fronce le nez à son compliment, secoue la tête pour le rejeter. Pas en ce moment, non... Je soupire, reviens chercher sa bouche plus doucement. Je t'aime.

Ça me peine que ce soit une question d'habitude, et mon regard s'attriste, s'éteint dans mon visage grave et émacié. —Je suis désolé mon amour, j'aurais tellement voulu... qu'elle ne vive pas ça, qu'on soit heureux dans le Bronx, qu'on fasse ce bébé, qu'on s'aime, qu'on vive, qu'on baise et même qu'on s'engueule pour mieux se réconcilier. La voir souffrir m'est encore plus insupportable que souffrir moi-même. Pourquoi croyez vous que Logan me racontait ce qu'il lui faisait subir ? Ce sadique avait très bien compris que Nina m'était plus importante que moi-même. Mais on est sorti de là, et nous sommes ensemble et je veux quand même essayer d'y croire —On va s'en tirer, on est tous les deux. Toi et moi, srce.

Elle est plus mince, cernée, sa peau n'est plus si blanche et elle a perdu de sa beauté, c'est sur, et pourtant. Pourtant je la vois toujours comme la plus belle femme au monde, ébloui d'amour pour elle, ce qu'on a vécu ne me la rend que plus précieuse et je l'aime à en mourir, à en souffrir aussi. Je répète avec mon entêtement borné de slave qui ne supporte pas d'être contredit —si, t'es belle. Je réponds à son baiser, appuyant longuement ma bouche contre la sienne, cherchant sa langue dans une douce caresse et un soupir —tu me plais toujours zlato moje. Ja volim te Je me plaque contre elle, j'embrasse son cou, frémis avant d'oser demander dans un acte de courage pour montrer ma bonne volonté, mon amour, ma confiance —caresse-moi, molim te, zlato...

Je fronce les sourcils, abandonne ses cheveux pour prendre son visage en coupe entre mes mains. Slavenko, ce n'est pas de ta faute. Tu n'aurais rien pu faire... Je sais qu'il a toujours voulu croire le contraire, mais malheureusement le nombre fait la force et nous n'étions pas assez nombreux, pas assez armés, pas assez préparés. Il ne peut pas s'en vouloir d'avoir baissé sa garde, de ça aussi je suis fautive, c'est moi qui l'y pousse depuis le premier jour... Je n'ai eu de cesse de lui demander de faire des projets, de se laisser aller, de ne pas cloisonner. J'ai brisé toutes ses défenses pour qu'il se montre vulnérable, pour qu'il soit en totale confiance avec moi. On était bien, on voulait fonder une famille, ça n'aurait pas été possible dans la peur et l'angoisse constante. Tu me protèges, tu veilles sur moi depuis le premier jour... Ce sont tes amis qui sont venus nous sortir de là, Slavo. Sans toi j'y serais encore... Sans toi j'aurais crevé d'une overdose y a des mois de ça, ou je serais morte dans cette cave dans le Bronx. Lors de mon premier kidnapping, c'est aussi lui qui m'a sauvée, et ce jour-là il n'était responsable de rien, les types qui m'ont enlevée, c'est moi seule qui m'en suis prise à eux. Je cherche son regard, gravement. Tu passes ta vie à me sauver et à veiller sur moi, Slavenko. Sans toi j'aurais pu mourir cent fois... J'hésite un instant avant d'ajouter : Sans toi j'aurais pas envie de vivre.

Il m'embrasse encore, me fait perdre la raison une nouvelle fois et je soupire contre sa bouche, les nerfs à vif. Toi aussi... Toi aussi tu me plais toujours, moja duša... J'imagine très bien ce qu'il doit ressentir, je le connais trop pour ne pas lire dans son regard, je suis certaine qu'il pense que ce qu'il a subi change la façon dont je le vois, mes sentiments pour lui ou mon attirance mais rien n'est plus faux. J'ai envie de mourir qu'il ait souffert par ma faute, mais je ne l'aime pas moins, je n'ai pas moins envie de lui, jamais, et il n'est certainement pas moins un homme à mes yeux. Sa requête me pétrifie un instant avant qu'une coulée de métal brûlant ne me tombe dans le bas-ventre. Je reviens chercher sa bouche dans un geignement tout en glissant ma main entre nous pour enrouler, doucement, mes doigts autour de lui.

Un air désabusé change les traits de mon visage, bien sur que c'est ma faute, j'ai été si arrogant, si naïf aussi, quel drôle de mélange. La nuit, je rêve souvent de mon père m'engueulant d'avoir baissé ma garde, me fichant même une correction pour ça, c'est très bizarre quand on sait comment nos relations se sont finies. Tout se mélange, les Tigrovi, Johannesburg, le Chalet, le Red Manor. Parfois Logan a les traits de Mirko, je crois que c'est encore plus flippant. Je m'assombris à ses paroles parce que non, je ne la protège pas, je ne fais qu'essayer de la protéger, et j'échoue à chaque fois. Je froisse une des mèches de ses cheveux sans rien dire parce que je sais déjà qu'elle ne me laissera pas dire la vérité, qu'elle l'étouffera mais dans les faits, je ne fais rien de tout ce qu'elle dit et ça me désole à un point que je ne saurais dire. J'aurais du nous défendre mieux que ça, bon Dieu ! C'était ma mission, mon devoir.

Je ferme les yeux très fort et je me jette dans un baiser avide avec la volonté d'oublier, de laisser derrière moi les images qui me hantent, mais aussi le fiasco de cette nuit. J'aspire à la retrouver et est-ce que ça ne dépend pas seulement de moi ? C'est plus facile si c'est moi qui mène la danse, qui prend le contrôle parce que je déteste à présent que mon corps et mes réactions m'échappent, ça me rappelle trop de mauvais souvenirs, mais si Nina a besoin de ça, de mon abandon, je le fais. Parce que c'est à elle que j'appartiens, que je veux appartenir. Je ne veux plus dériver et j'ai besoin d'elle pour me servir d'ancrage. Je murmure contre elle en me laissant attirer dans le plaisir sans chercher à lutter —Je suis à toi dušo.

Ma déclaration ne l'émeut pas, je le vois bien, dans son silence, dans son regard fuyant aussi. Je vois bien qu'il ne croit pas un seul de mes mots et ça me peine plus que je ne saurais dire. Je ne comprends pas pourquoi il persiste à croire qu'il ne m'a jamais protégée. Je suis encore en vie, c'est bien la preuve qu'il n'a pas failli, non ? Quand on sait toutes les fois où j'ai failli y rester... Il n'a eu de cesse de me venger, de veiller sur moi, de panser mes blessures et de chasser mes cauchemars. Personne avant lui n'avait jamais fait ça pour moi. Je voudrais qu'il puisse se voir à travers mes yeux, il comprendrait alors qu'il n'a rien à se reprocher, qu'il n'a rien à craindre de moi aussi.

Son assertion me soulage autant qu'elle me rend triste, Dieu que je hais le voir comme ça ! Encore une fois, je cherche son regard, ma main libre encadrant sa joue. Je sais moja duša. Parce qu'il ne me repousse pas, parce qu'il me réclame, je trouve la force, l'énergie d'aller vers lui une nouvelle fois, d'essayer encore malgré tous les échecs précédents. Il faut croire que je suis plus combative que je ne le pensais... Ou bien peut-être est-ce parce qu'après l'avoir cru mort, je ne suis pas du tout résolue à le perdre. Autour de sa queue, ma main se met en mouvement, d'abord lentement parce que je cherche encore à l'apprivoiser. Je presse mon corps contre le sien, lèche doucement ses lèvres comme je le faisais avant... Avec le temps, peut-être que je parviendrais à lui donner envie de moi encore, peut-être qu'il finira par me vouloir comme avant, sans faire semblant, sans avoir besoin de se forcer. Son sexe tressaille dans ma paume et je répète plus gravement : T'es à moi, Slavenko. Uvek i zauvek.

Clairement au départ, je suis déboussolé parce que les élans de mon corps me dégoutent et me frustrent en même temps. Comment je peux avoir envie après ça ? Comment je peux ne pas avoir envie alors que c'est elle ? Mes pensées ambivalentes me parasitent, m'entravent mais j'essaye ardemment de ne pas lutter. Je m'accroche à son regard, à sa bouche pour venir onduler dans sa main alors que le désir montre le bout de son nez. Je ne veux pas le laisser filer, c'est Nina et je l'aime d'un amour sans faille, je désire qu'on ne fasse qu'un comme autrefois.

Elle suce ma lèvre et en réponse ma queue tressaille dans sa main, se gonfle de désir, durcit agréablement sous ses soins. Quelque chose se bloque dans ma gorge, une plainte, un soupir, un gémissement. Je plonge une main dans ses cheveux trempés, réclame d'une voix rauque et basse —encore... s'il te plait, encore. J'oublie où nous sommes si ce n’est que l'eau trouble qui nous enveloppe me permet d'oublier mon corps d'une certaine façon. Je ne ressens plus que physiquement sa main, son corps qui se presse, et les images ne peuvent pas se dédoubler. Je veux le plaisir et surtout l'envie. Je veux qu'on soit un.  —molim te, ja zelim te... Je veux me loger dans le creux de son corps, faire l'amour avec elle, accrochés, unis, nos corps s'accordant avec ce naturel déconcertant qui prend toujours le pas sur nos esprits, même quand ceux ci s'embrouillent, et Dieu sait que le mien c'est un cauchemar en ce moment.

Je reprends le contrôle, la soulève dans l'eau pour encastrer son bassin au mien, et d'une poussée lente je me réfugie dans son corps, un rush de plaisir me submergeant instantanément. Et là je lâche prise.  Je me jette, affamé, sur elle: ma bouche sur sa bouche, mes mains malaxant sa chair, sa peau, fouillant ses cheveux, mon corps cherchant désespérément le sien, avec cette furie qui traduit mon manque d'elle. Mes gémissements deviennent grondements exigeants, mon souffle se fait erratique, brûlant, passionné. Jusqu'à la délivrance qui me foudroie dans un ultime élan.

Je le connais trop pour ne pas voir qu'il a besoin de lutter, que l'étreinte qu'il me réclame n'est pas naturelle, qu'une part de lui se force à me réclamer, pour me rassurer sans doute, et ça me donne envie de pleurer. J'ai la sensation qu'il fait ça uniquement pour moi et c'est pire encore, je crois, que s'il ne faisait rien. Je crois que je le relâcherais s'il ne me suppliait pas en serbe de continuer, une part de moi est bien trop consciente de ce qui se joue en cet instant : si c'est moi qui m'éloigne maintenant, on est fichus tous les deux. J'essaie de déconnecter moi aussi, d'oublier les pensées délétères qui me polluent l'esprit. Ma prise se raffermit sur sa queue, je le masturbe plus vite, plus fort, mon regard accroché au sien pour tenter d'y lire l'envie ou au contraire la crainte, le dégoût peut-être.

Jusqu'à ce qu'il me soulève, m'obligeant à le relâcher. Mes bras se nichent autour de son cou et je l'enlace, m'accroche à lui avant qu'il ne prenne possession de mon corps. J'expire un geignement contre sa bouche alors qu'il se loge au creux de mon ventre, et le reste s'enchaîne sans plus que j'ai besoin de réfléchir. C'est lui qui mène la danse, dans cette position et avec l'eau qui me porte, je ne peux de toute façon pas maîtriser grand chose et je laisse ses reins le porter vers moi, chaque mouvement m'arrachant un feulement plus prononcé. Je m'accroche à ses cheveux, à ses épaules, halète son prénom contre ses lèvres et pourtant l'orgasme m'échappe malgré tout quand il jouit avant moi. Le plaisir se délite entre mes doigts, c'était trop rapide, ou bien j'ai trop senti ses réticences pour me laisser aller réellement, je ne saurais dire. A bout de souffle, j'enfouis mon visage dans le creux de son cou, mon corps toujours fermement enroulé autour du sien. Ma bouche se presse sur sa peau et je réclame, parce que je veux partager ça avec lui, parce que je ne veux pas que mon incapacité à lâcher-prise nous fasse défaut aussi : Moja duša, molim te... Je ne crois pas avoir besoin de m'expliquer, je n'en ai jamais eu besoin, il a toujours su lire la moindre de mes réactions, j'ose espérer, naïvement sans doute, que ça n'a pas changé.

La déferlante d'endorphine me submerge, effaçant pour un temps l'angoisse et les questions. En quelques coups de reins je me vide au creux du corps de Nina et une bouffée d'amour explose avec sa brutalité habituelle, celle d'avant. C'est sa plainte qui me tire de l'extase et je viens chercher sa bouche avec une volupté qui me damne en soufflant —srce... Son corps se presse contre le mien et je glisse ma main entre ses fesses pour venir pallier à la rapidité de mon orgasme.

Sans cesser de l'embrasser, jouant avec ses lèvres, sa langue, sa bouche, je la caresse, accompagne le plaisir pour ne pas le laisser s'échapper, désireux aussi de lui offrir ce réconfort, ce plaisir. Je gémis contre elle parce que son excitation m'affole, réveille en moi ce sentiment d'insatiabilité qui était notre. Maintenant que mon cerveau est englué de plaisir, je n'ai plus que des images de plaisir, de sexe à outrance, des souvenirs qui me donnent envie de plus que ce sexe timoré. Je soupire avec volupté —je t'aime, c'que je t'aime ! Mon amour...

J'ai un peu peur qu'il refuse, qu'il m'en veuille ou qu'il se vexe, le prenne personnellement... C'est une peur nouvelle ça aussi parce que je n'ai jamais été angoissée dans le sexe avec lui auparavant, jamais. Je n'ai jamais eu besoin de faire semblant avec lui, je n'ai jamais cherché à le faire d'ailleurs, il a toujours su parfaitement comment lire en moi, m'accorder l'orgasme quand je ne parvenais pas à jouir en même temps que lui, il n'y a jamais eu le moindre tabou entre nous, pas à ce niveau-là en tout cas... Et je crains de réaliser qu'il doit y en avoir aujourd'hui.

Mais non, son corps se presse plus fort contre le mien, sa bouche revient chercher la mienne et je gémis de sentir sa main glisser entre mes cuisses. Je me jette contre sa bouche, me presse contre lui avec avidité, mon plaisir, mon désir renouvelés parce qu'il veut encore de moi. Mes angoisses se diluent et dans cet état d'esprit l'orgasme ne met pas longtemps à me rattraper. Je jouis contre ses doigts, exhale un cri contre sa langue, mes bras se resserrant autour de lui dans les spasmes qui me secouent. J'ai le souffle bien trop court quand je pose mon front contre le sien, à bout de résistance. Mes jambes tremblent trop fort et je dois les dénouer, relâcher sa taille pour reposer les pieds au sol. Je reste dans ses bras, me serre contre lui en fermant les yeux, secouée par des émotions trop fortes que je n'arrive pas à déchiffrer correctement. Je le serre à l'étouffer, relève le visage pour réclamer sa bouche, son souffle, son odeur encore.

Après coup, je suis vaguement soulagé qu'elle réponde à mes caresses, je sais encore jouer sur son corps la gamme du plaisir, c'est rassurant ! Je crois que si elle avait eu une panne, ça aurait compliqué encore nos relations déjà erratiques. Ce n'est pas une question de lui en vouloir, plutôt une question de confiance en soi et d'ego ! Je tremble aussi et j'attire Nina vers moi quand elle m'embrasse. Je m’assois sur un caillou sous l'eau, et je prends Nina sur mes genoux dans le creux de mes bras. A l'abri dans l'eau et à l'ombre de l'arbre, nous sommes isolés.

Je pose ma tête contre son épaule où je dépose un baiser, juste dans le creux. A cet instant l'espoir revient en force, je veux croire qu'on va s'en tirer et qu'on va pouvoir se reconstruire, pas seulement l'un et l'autre mais aussi mutuellement. J'ai encore plus qu'avant la trouille de la perdre, ce qui n'est pas peu dire. Surement parce que j'ai cru l'avoir perdue. Goran est venu me chercher en premier, concours de circonstance, il pensait que Nina était aussi à la cave alors que Logan l'avait enfermée dans une pièce à lui. J'ai cru...qu'elle était morte, ou que Logan l'avait emmenée ailleurs, loin de moi. De l'index je suis délicatement le coup de soleil sur la peau de Nina. —ça te fait pas mal ? t'as sacrément rougi.

Je suis soulagée qu'il trouve un endroit pour nous asseoir. Je n'ai pas envie de sortir de l'eau tout de suite, parce que hors de l'eau on voudra forcément se rhabiller et ça veut dire s'éloigner l'un de l'autre. Mais je suis trop sonnée pour rester debout et je m'installe sur ses genoux en soupirant d'aise. Je me niche contre lui, constamment en quête de réconfort malgré moi. J'ai beau me dire que c'est lui qui a besoin de moi aujourd'hui, essayer d'être forte, si dans mes mots j'arrive à prétendre que je le suis, dans mes gestes c'est autre chose. Mon corps ne sait pas mentir au sien et je suis trop câline pour qu'il soit dupe, je le sais bien.

Ses doigts sur ma peau me font frissonner et je secoue la tête dans un sourire. Non, pour l'instant ça va... J'aurais sûrement mal ce soir... Je hausse les épaules, ça ne fait rien, c'est bien le cadet de mes soucis. On a bien fait de faire une pause, je crois que j'aurais fait une insolation si j'étais restée au soleil toute la matinée. Alors que là, ma peau a certes rougi mais le soleil ne cognait pas encore si fort que ça lorsqu'on est partis se baigner, je ne crois pas que l'exposition ait été suffisante pour me rendre malade. D'autant que je réagis très mal au soleil, je le sais. Depuis des années maintenant je fais attention mais plus jeune il m'est arrivé de passer la nuit entière à vomir simplement parce que j'étais restée au soleil sans me rafraîchir toute une journée. Quand je dis que ce climat n'est vraiment pas fait pour moi ! C'est paradoxal parce que j'ai tout le temps froid, donc j'ai pourtant tendance à rechercher le soleil et la chaleur. Je pose mon index sur son nez, esquisse un sourire. Toi tu bronzes, tes coups de soleil durent jamais...

—J'irais te chercher de la crème à la pharmacie tout à l'heure. Moi ? Non, c'est vrai, je prends pas trop de coups de soleil, mais j'ai pas ta peau blanche. Sa si jolie peau d'albâtre qui m'a toujours fascinée et dont je suis amoureux. Remarquez que je suis amoureux de Nina tout entière, c'est pas seulement que je l'aime, non, je suis amoureux, comme un ado, dès le premier jour, passionnément, irrésistiblement. Je lui ai dit un jour qu'elle me foutait des papillons dans le bide et c'est vrai, c'est toujours vrai. Je suis amoureux depuis presque deux ans sans discontinuer, sans que mon amour faiblisse même au cœur des tourmentes. —La prochaine fois je te rappellerais de mettre ton chapeau. Enfin si ça t'as pas découragée de creuser ?!

Mon regard s'est éclairé parce que son index caresse mon nez, qu'elle me papouille en étant dans mes bras. J'ai bien plus besoin de ses câlins et ses caresses que de sexe, c'est triste à dire quand on connait notre passif mais c'est comme ça. Le sexe ne revient que dans le besoin d'être à elle, d'effacer les traces invisibles sur mon corps, c'est pour ça que c'est long à démarrer. J'imagine que ça reviendra au fur et à mesure. Je sais que Nina après son passage au Red Manor est restée longtemps dans l'abstinence, plus de six mois je crois, Dieu merci j'en suis pas là et c'est surement grâce à Nina. Faut pas croire, ce n'est pas parce qu'on avait - a ? - un rythme effréné pour baiser que j'ai toujours été comme ça. En prison, je pouvais resté plusieurs semaines et même mois sans relations. Et pourtant je suis bi ! Je suis Nina-addict, c'est uniquement ça ! J'ai un sourire amusé en le pensant, et je frotte ma joue râpeuse sur son bras.

Je fronce le nez en baissant les yeux sur ma poitrine qui émerge de l'eau, un peu dépitée. Moui, j'ai plus la peau si blanche maintenant... Et je dois dire que ça m'ennuie un peu, avant ça m'était égal mais maintenant je sais à quel point il aime ma peau blanche, immaculée. Je ne veux que lui plaire, l'idée d'être moins telle qu'il me veut me terrifie. Je plisse les lèvres en une moue désolée. Faut que je reste à l'ombre, que je vive la nuit, comme ça je retrouverais ma peau comme t'aime... Ou que je sorte tartinée de crème solaire, constamment. Non, ça m'a pas découragé de creuser, t'en fais pas. J'veux pas que tu fasses tout tout seul. De toute façon mes manières de princesse capricieuse n'ont plus leur place ici, pas à Slab City, pas dans cette vie-là. Ce n'était qu'une parenthèse naïve dans ma vie, je n'ai plus droit aux caprices.

Je lui souris tendrement, moi j'ai autant besoin de ses câlins que de sexe je crois, pour effacer les souvenirs de Logan mais aussi parce que ça a toujours été le ciment de notre relation, et je crois que je n'aurais pas l'impression de l'avoir vraiment retrouvé tant qu'on n'aura pas retrouvé ça. Mais je me contente de ce qu'il veut bien me donner, de ce qu'il peut me donner, ce n'est pas vraiment comme si j'avais le choix de toute façon. Mes doigts dérivent vers sa joue, et ma main libre glisse doucement dans ses cheveux que j'entortille du bout des doigts. Ils repoussent déjà bien tes cheveux... Je sais qu'ils lui tiennent bien trop chaud, aussi je ne suis pas sûre qu'il les garde longs alors j'en profite. Tu retournes à la frontière ce soir mon amour...?

Je sens sa réticence, quoique ce n'est pas vraiment le terme exact, mais je sens bien que ça l'ennuie cette histoire de bronzage sans que je devine pourquoi si ce n'est un accès de coquetterie ? —Elle est encore bien plus blanche que les gens d'ici, tu bronzes pas vraiment. A coté de toi j'ai l'air d'un mexicain ! Je ris tout bas de ma plaisanterie débile et je pique un baiser sur un coin de peau émergé. —tes fesses vont rester blanches, c'est déjà ça. Je regarde ses paumes de mains abîmées par la pelle, je ne veux pas qu'elle attrape des cals, elle a les mains si douces, ce serait dommage —je te trouverais des gants pour travailler.

Je retiens un grondement de plaisir quand elle entortille une mèche courte et me tiraille les cheveux. J'aime quand elle fait ça, c'est un geste rassurant au possible parce que c'est son geste envers moi. Son geste, et je sais qu'elle m'aime quand elle fait ça. J'en vibre d'une joie intense, déstabilisante pour quelqu'un qui essaye de contrôler ses émotions depuis des jours. —oui, je sais que tu les préfères plus longs... Pour elle, je les laisserais plus longs, pour lui plaire, pour qu'elle m'aime encore vous comprenez ? Pour qu'elle tire encore sur mes cheveux et les entortille, pour qu'elle me déclare sien comme ça.

J'étouffe un soupir et je hoche la tête —oui, je vais bosser, je vais arrêter de jouer les princesses et allez gagner un peu de fric humm ? j'ajoute par plaisanterie —En plus j'ai bien entamé mon paquet de clopes. Je te déposerais au Queenie, j'irais faire une lessive à la laverie et après au taf. Ce sera comme d'hab quoi, j'rentrerais au matin. Je te laisse le glock pour que tu puisses rentrer toute seule. ça ira ? Ça m'inquiète un peu de la laisser rentrer seule la nuit, mais c'est pas comme si j'avais le choix, je ne sais jamais à quelle heure je rentre, vu que ça dépend pas du tout de moi.

Je hausse les épaules en plissant les yeux. Oui, c'est déjà ça... Enfin, ça l'aurait été si on avait la même relation qu'avant, mais ce n'est plus exactement le cas. Je n'ai plus assez confiance en moi pour ne pas me soucier de ces détails-là, au contraire, j'ai tellement peur de le perdre, j'ai tellement l'impression de ne plus être assez bien pour lui que la moindre contrariété dans ses préférences me terrifie. C'est comme le fait de ne pas pouvoir m'habiller comme je veux, ça me rend folle alors que c'est un détail ridiculement superficiel pourtant ! Mais c'est comme ça, je fais une fixette sur le fait de ne pas lui plaire, de ne pas être comme il veut, comme il aime. C'est sans doute aussi dû au fait qu'on ne fait plus que rarement l'amour, et pas de la même façon qu'avant, ce qui fait que je ne suis pas vraiment assurée de notre lien comme j'ai pu l'être autrefois. Avant je savais très bien que je l'embrasais d'un seul regard.

J'ai un sourire tendre en secouant la tête. T'es beau avec les cheveux courts aussi, vraiment sexy, ça me plaît beaucoup... C'est juste que j'aime fourrer mes mains dans tes cheveux. Mais physiquement il me plaît autant, que ses cheveux soient longs ou courts, sa barbe taillée ou pas, je le trouve toujours terriblement attirant. En fait je le trouve toujours parfait, absolument parfait. Mais j'aime ça, glisser mes mains dans ses cheveux quand on s'embrasse, pouvoir tirer dessus quand il me fait l'amour, les caresser doucement quand il se niche dans mes bras... Ce qui n'arrive plus très souvent.

Je ne sais pas si j'ai le droit de le dire, ni si c'est bien que je le fasse, mais je m'y risque malgré tout parce que c'est un aveu qui me paraît important : Tu vas me manquer ce soir... Je me suis habituée à t'avoir avec moi. J'ai peur d'avoir l'air trop collante, de m'accrocher trop fort à lui quand il fait tant d'efforts pour être seul... Mais j'ai encore plus peur qu'il s'imagine que je ne l'aime plus, que je n'ai plus besoin de lui. Oui ça ira, t'en fais pas. J'ai pu recharger mon téléphone, je t'écrirais si jamais, d'accord ? Enfin je ne peux plus vraiment l'appeler au secours, la frontière c'est pas la porte à côté et le temps qu'il arrive... Je préfère ne pas y penser. Je t'attendrais pour dormir... Si tu veux ?

— tu vas ressembler au raton laveur de Sam, blanc et noir. Ou à un mignon panda plutôt qu'un ribica ? Non, tu seras toujours un ribica. rouge vif ! J'esquisse un sourire qui n'atteint pas mes yeux à ces boutades amoureuses et pourtant bien trop graves.

Je marque une surprise hésitante et timide —C'est vrai tu aimes bien ? Je croyais que tu ne les aimais que longs... c'est que je n'ai pas vraiment eu le choix de les couper. D'abord pour soigner une blessure au crâne, aujourd'hui cicatrisée, ensuite pour essayer de changer mon apparence si on nous cherchait. Nina a eu droit à la casquette, et moi au rasoir. J'avais les cheveux jusque dans la nuque, très longs. Aujourd'hui, je suis bien persuadé de ne pas lui plaire, même quand elle est dans mes bras, j'ai trop peu d'estime de moi pour e pas croire que je lui fais un peu pitié ou que je la dégoûte vaguement, surtout depuis cette nuit. Dans la mesure où je me déteste, où je hais mon corps, comment pourrait-elle l'aimer ?

Pour tenir à distance l'émotion, je plaisante à sa phrase qui m'émeut trop et fait vibrer ma voix —tu t'étais habituée à avoir un homme au foyer ? A cause de ma cuisine pas vrai ? J'ai un hochement de tête bref, je pense comme elle, je serais de toute façon loin et je ne pourrais rien faire. Et ici je n'ai pas d'amis prêts à mourir pour moi, comme Goran, et c'est tant mieux. Je ne comprends pas le but de sa question mais j'acquiesce —si tu veux... si t'es pas trop fatiguée.

Je fronce les sourcils, contrariée parce que ça ne me fait pas rire, je ne veux pas être rouge vif, je veux rester comme il m'aime, aussi pâle que lorsqu'il est tombé amoureux de moi. Je me souviens de mon opération suite au kidnapping, l'idée d'une cicatrice, même minuscule, me rendait folle, parce que c'était une marque faite par autre chose que lui. C'est quelque chose que je ne supporte pas. Je ne le lui explique pas, je ne suis pas certaine qu'il comprendrait et je ne tiens pas à passer pour une folle à ses yeux.

Je secoue la tête en caressant ses cheveux. Non, courts ils me plaisent aussi. C'est différent. Seulement trop courts je ne peux plus m'y accrocher... Quand je l'ai vu à la soirée au Sapphire, j'étais à la fois triste qu'il se soit coupé les cheveux, et soulagée parce qu'ainsi l'italienne ne pouvait pas s'y accrocher comme moi je l'aurais fait. C'est mon geste, de la même façon que le sien est de poser sa main sur ma nuque, sous mes cheveux, pour me revendiquer. Avant c'était toujours la première chose qu'il faisait, dès qu'on arrivait dans un lieu où il y avait du monde. Et bon sang, c'est incroyable ce que ce simple geste me faisait me sentir bien, en sécurité, à ma place.

Comme je m'y attendais, il ne dit pas que moi aussi je vais lui manquer, mais ça ne me surprend pas, il a toujours été comme ça. Voilà au moins une chose qui n'a pas changé ! Je me force à sourire, à plaisanter pour oublier que je viens de lui faire une déclaration. Ta cuisine et parce que tu tuais les araignées pour moi. Maintenant je vais devoir me débrouiller... Un jour je risque de foutre le feu au van juste pour exterminer une huit pattes. Ma question, c'était plutôt de savoir si lui en avait envie, s'il voulait qu'on se retrouve cette nuit, s'il aurait hâte de revenir près de moi. Je hausse les épaules, faussement détachée. Oui, t'as raison, je verrais si je suis pas trop fatiguée. Je n'ai guère de réconfort dans ses mots, alors j'en cherche dans ses gestes en venant poser ma tête sur son épaule pour me blottir contre lui.

Mon humour bancal ne la fait pas rire, lui tire seulement un sourire contraint et en toute franchise c'est vrai que mes blagues sont à chier et je perds le semblant de sourire que j'avais quand elle me dit qu'elle va devoir se débrouiller. Quand je disais que je n'étais plus utile à rien. Je soupire intérieurement face à cette nouvelle vague de pensées dépressives qui me bouffent. Je me console par la sensation de ses mains dans mes cheveux. Il fait chaud et je passe une main mouillée sur mon visage quand elle vient se nicher contre moi dans un geste qui fait s’accélérer les battements de mon cœur. Je viens glisser ma main sur sa joue, dans son cou, sous ses cheveux dans un geste de réconfort que je vois bien qu'elle recherche. J'en ai besoin aussi, ça tombe bien —de toute façon, tu vas surement te réveiller quand j'arriverais. Tu veux un mot de code plutôt que c'est moi ? Un truc d'espion ?

Dans les faits, je n'ai vraiment pas envie d'aller bosser ce soir, comme tous les soirs. Je n'aime pas mon boulot mais je ne sais pas quoi faire d'autre et on a besoin de fric, alors j'y vais. Et puis ça me permet d'aller à la frontière, de ne pas traîner ici à ressasser. Quand je bosse, je repasse en mode militaire, je ne pense pas, je fais quelque chose que je sais faire, je contrôle. C'est juste après où ça me dégoûte. Côtoyer la misère matinée d'espoir, c'est épuisant, ça ressemble trop à ce qu'on vit, sauf que ces gens là, ils ont bien plus d'espoir que moi !

Je prends la main de Nina, la soulève de l'eau pour l'embrasser, tournant la paume vers le haut pour poser mes lèvres sur son poignet. — t'as les mains frippées...tu veux qu'on rentre ?

Sa main glisse sur ma peau mouillée et je ferme les yeux, me laisse bercer par la sensation délicieuse. Avec un peu d'imagination, je peux toujours tenter de me faire croire que nous sommes dans une pisicne, quelque part dans un hôtel au bout de'u monde, je peux me faire croire que nous sommes avant. Mais je ne m'y risque pas longtemps, le retour à la réalité est bien trop douloureux autrement. Oui, c'est vrai je me réveille toujours quand tu rentres. Ce n'est pas uniquement dû à ma paranoïa, c'était déjà le cas avant, parce qu'il m'avait trop manqué et que je n'ai jamais su être insensible à sa présence. Un mot de code ? Pastèque ? Je propose dans un sourire, c'est lui qui avait proposé ce mot-là quand on a renoué contact et que j'étais angoissée à l'idée qu'il me touche. Je ne sais pas s'il s'en souvient, ça n'a pas dû le marquer beaucoup.

Je relève le visage, hoche la tête à sa proposition parce que la journée avance et que le réservoir est souvent pris d'assaut dans la matinée. Oui viens, on va rentrer. Je dépose un baiser sur sa joue avant de m'écarter de lui pour sortir de l'eau la première. Je récupère rapidement ma serviette pour me sécher correctement cette fois, et puis je me rhabille en attendant qu'il fasse de même. Il va me manquer, mais c'est une bonne chose qu'il retourne bosser. Ici je vois bien qu'il tourne en rond, je crois malheureusement qu'on n'est pas encore prêts à passer trop de temps ensemble, pourtant Dieu sait que j'en meurs d'envie. Une fois qu'on est prêts tous les deux, on ramasse nos affaires pour rentrer au campement.