It's good to see ya - Nina

Nos regards se croisent et s’accrochent, puis là, ça ne fait qu’un tour au fond de moi, je suis vraiment content de la revoir. Je remarque néanmoins les kilos qui lui manquent et ses paupières légèrement plus gonflés que la dernière fois qu’on s’est vus. Ca remonte à longtemps maintenant, plusieurs années, trois ou quatre, peut-être plus. Son corps se met en retrait et peut-être que la joie qui m’anime n’est pas réellement communicative. Je baisse soudainement le regard, instinctivement, je la toise de haut en bas, me demandant encore si ce que je vois est bien réel. Puis elle me reconnaît. Enfin ! “Hey, salut beauté. Qu’est ce que tu fais là ?” Je dégouline mais m’approche d’elle à nouveau, priant pour qu’elle ne s'enfuit pas en courant comme j’ai cru qu’elle allait le faire deux secondes plus tôt. Il y a tellement de chose que j’aimerais lui dire et lui demander que je ne sais même pas par où commencer. Mon esprit est littéralement en fusion et la seule chose que je trouve a faire est de secouer un peu la tête pour éliminer les gouttes qui me tombent sur le front avant d’attraper ma serviette et m’essuyer grossièrement. C’est quand même dingue que je la croise ici, peut-être qu’elle fait une escale avant d’aller au Mexique, après tout, la plupart des gens qui partent là-bas, que ce soit en vacances ou autre, passent par Slab-City juste “pour voir”. Puis y’a un sourire qui se loge sur mes lèvres, grand, franc, de ceux qui allègent l’atmosphère, qui la mettra en confiance avec un peu de chance aussi.

Pour ma part, l’excitation de revoir Nina est tel que je n’arrive plus à retirer ce sourire de mes lèvres et au fond j’espère que notre discussion ne tournera pas au vinaigre comme elle a pu le faire autrefois. Notre relation n’était pas des plus parfaites, ça n’a jamais été le cas pour aucune autre d’ailleurs mais Nina a laissé un goût d’inachevé sur ma peau et très franchement, je suis encore frustré de notre rupture qui a été on ne peut plus rapide. Cela dit, je ne doute aucunement qu’elle devait avoir de très bonnes raisons de le faire et je ne lui en veux pas du tout, loin de là. J’ai eu vent de quelques périodes de sa vie, plutôt tumultueuses et je ne me suis jamais octroyé le droit de la juger pour quoi que ce soit.

J’essuie les quelques gouttes qui roulent le long de ma nuque et l’écoute attentivement, me demandant ce qui a bien pu se passer ces dernières années pour que cette voix si féminine et si aiguë auparavant soit à ce jour aussi teintée d’amertume que je perçois malgré tout. “Tout l’monde ? J’me suis pas perdu moi.” J’ai un léger rire parce que j’ai l’habitude de ne rien faire comme les autres et évidemment, ça a toujours été un trait de caractère très peu apprécié chez les personnes vivants sous le même toit que moi. “J’habite ici, j’ai une maison pas loin du campement.” Je n’ose pas encore lui dire que ce ne sont que quatre planches assemblées ensemble pour le moment… “Tu venais te baigner ? Franchement l’eau est super bonne, limite fraîche, ça fait du bien.” J’hoche la tête de bas en haut  légèrement, comme pour la convaincre de mes mots, bien déterminé à passer un moment avec elle.

Je me demande encore ce que je fous là des fois. Quand j’vois les gens qui arpentent les dunes, totalement opposés à moi et pourtant parfois attachants. J’me demande toujours aussi où est-ce que j’aurais bien pu atterrir d’autre si ça n’avait pas été Slab city, parce qu’il faut bien avouer que tous les autres endroits de la terre n’ont rien à envier à cette ville désertique et pourtant, j’arrive plus à me voir ailleurs. Parce qu’ici personne n’en a rien à foutre d’où tu viens, ni où tu vas et pourquoi; personne ne te posera jamais de questions indiscrètes parce qu’il faut bien avouer aussi que derrière les visages qu’on croise y’a toujours des histoires souvent mauvaises.

“Ouais, j’ai toujours voulu venir ici. Y’a un gars de mon ancien régiment qui en parlait tout le temps, il disait que c’était la liberté ici. Puis j’suis venu voir par curiosité et ce que j’ai vu m’a pas déplu. Alors voilà…” Et maintenant je me retrouve ici, au milieu d’un campement, près d’un canal juste devant mon exe, si on me l’avait dit avant, j’y aurais jamais cru. “Ouais ! Une maison, une baraque énorme !” J’exagère à peine. “Tu passeras boire un verre après.” Je ne lui laisse pas le choix, ne la questionne pas et l’obligerai presque à se soumettre à cette volonté. J’ai un sourire attendri en regardant sa peau blême que j’ai toujours apprécié telle qu’elle puis j’ajoute avant de rire un peu. “C’est vrai que là, tu reflètes tellement le soleil que tu fais mal aux yeux Nina.” En temps normal je lui aurais fait la blague trop entendue du “Tu m’illumines” mais moi-même, là, je trouve ça un peu déplacé étant donné la proximité effacée qu’on connaît présentement.

Je repasse rapidement le short que je portais avant, avec la désagréable sensation de mon boxer qui me colle au cul mais j’y pense à peine avec la brune devant les yeux. Je n’ai aucune idée son envie réelle, si ma compagnie la dérange ou au contraire lui fait plaisir, rien n’est décelable sur son visage et ça me perturbe drôlement d’autant plus que le silence s’installe déjà entre nous deux. “Tu veux p’t’être que je te laisse bronzer tranquille ?”

Je remarque l’enthousiasme démesuré qui m’abrite et qui détonne pas mal avec l’absence de joie de Nina. Elle n’a jamais été très expansive, du moins, pas autant que moi et je sais à quel point il est difficile pour elle de livrer ses émotions mais merde, ça fait des années qu’on s’est pas vus, elle pourrait au moins me sourire. Je me gratte instinctivement un coin de ma barbe quand elle tempère et me dit qu’on verra, voilà le signe de l’inconfort, putain, il est passé où le temps où j’arrivais toujours à la faire rire ? “Ah ouais, putain t’as raison. T’es passée de blanche à blanche foncée !” Je lui souris davantage, ça décoincera peut-être ses lèvres un peu pincées.

Je la laisse s’installer la première et me joins à elle à plus ou moins un mètre pour laisser une certaine distance sociale entre nous, après tout, on n’est plus rien pour chacun d’entre nous. Je suis soulagé qu’elle me laisse passer un moment avec elle, c’est l’unique chose que j’attendais et on a des tas de choses à se raconter, je crois. “Ben écoute… Rien n’a trop changé depuis la dernière fois qu’on s’est vu. D’ailleurs c’était quand ? 2013...2014 ?” Je réfléchis et putain que le temps passe vite, j’ai l’impression que c’était hier, cette douleur dans ma poitrine. J’ai toujours du mal à l’avouer mais je tenais vraiment à Nina, plus qu’à n’importe quelle autre fille avec lesquelles je suis sorti. “Quand on s’est séparés j’ai fait plein de petits boulots tout en restant à la Nouvelle-Orléans, rien d’extraordinaire… J’ai essayé de renouer un peu avec ma fille mais sa mère m’a empêché de la voir la plupart du temps -Je soupire- Tu m’diras, c’était pas à ce moment-là que j’aurais du m’en préoccuper. Enfin bref. Là depuis janvier je voyage pas mal, j’ai fait une grande partie du sud mais j’voulais me poser un peu alors je suis venu ici. Mais vas-y parle moi de toi, t’as toujours eu plus de choses à raconter que moi.” Je tourne mon visage vers elle, impressionné de nouveau par sa beauté et je réalise enfin que j’aurais vraiment voulu faire toutes ces choses avec elle.

Je n’ose pas lui dire qu’elle s’est toujours démarquée et ça n’importe où où elle a pu aller, ça serait la draguer et il me semble que ce serait inconvenant vue la situation. Quoi que… Franchement, j’aurais sûrement rien à perdre mais je sens qu’il y a quelque chose de différent et je ne me permets pas de le faire même si ce n’est pas l’envie qui me manque. “Le temps passe trop vite…” Je soupire. “Oui ! J’ai quitté l’armée peu de temps après qu’on se soit séparés. J’en avais marre, c’était devenu la routine et je prenais plus autant de plaisir à partir en mission alors j’ai décidé d’arrêter. Franchement je regrette pas.” J’attrape mon portable posé un peu plus loin sur le sable dès que Nina me parle de ma fille et réponds avec hâte: “Dix-huit. Regarde, j’suis tombé sur son instagram l’autre jour.” J’affiche le compte de Jade et un sourire très fier s’étire sur mes lèvres quand je montre quelques photos d’elle à mon exe. A mon sens, Jade est une jeune femme magnifique mais je reste persuadé que mon jugement est tronqué par les liens du sang qui nous unissent. Le regret est arrivé avec les années qui ont commencés à défiler parce que je ne me suis jamais occupé d’elle, j’étais trop jeune et trop con pour le faire. Seulement, maintenant, je me rends compte désespérément que j’aurais été bien plus heureux si nous avions vécu ensemble. Je verrouille mon téléphone et finis par la regarder à nouveau dans les yeux tout en écarquillant les miens. “Naaan, sérieux ?! Tu t’es mariée ?” C’est presque la seule information que j’ai sélectionnée dans tout ce qu’elle m’a dit et je passe une main dans mes cheveux, complètement sur le cul. “Désolé ! J’aurais jamais pensé que tu te marierais.” En fait, je ne sais pas ce qui me choque le plus, que Nina se soit mariée ou que Nina se soit mariée à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas depuis perpette. “Enfin, pas que t’es pas une fille à marier, hein, t’es totalement à marier ! Dix fois même ! Mais j’sais pas, j’aurais pas imaginé.” Je m’éclaircis un peu la gorge en la regardant, sourire bête aux lèvres. “Mais, comment ça t’as eu plein d’emmerdes ?” Je fronce un peu les sourcils, pas que je sois curieux de savoir ce qui s’est passé, mais ça m’interpelle, Nina a jamais été du genre à chercher la merde, du moins, j’crois.

L’armée a toujours été quelque chose que j’aimais, au point d’en oublier ma fille et tout le reste sur d’autres continents. Seulement, il m’a continuellement été difficile d’accepter le fait que j’étais devenu un meurtrier par moment et par obligation. Il était impossible de discuter les ordres et je n’ai jamais aimer tuer sans raison, bien que la politique de mon pays est censée me concerner aussi, je n’ai jamais approuvé cette idée. “C’est pas que c’était devenu la routine, c’est que j’en avais marre tout simplement. J’ai jamais aimé être sous les ordres de quelqu’un tu sais, puis ça faisait douze ans quand même.” Et des années entières à m’avoir fait miroiter un upgrading que je n’ai jamais perçu aussi, alimentant la rancoeur déjà bien présente contre l’élite du pays. A la fin j’avais juste l’impression d’être un petit soldat qu’on pouvait manipuler à tort et à travers.

J’ai un sourire heureux lorsque Nina me dit que Jade me ressemble, c’est quelque chose qui me fait plaisir parce que ça veut bel et bien dire qu’on est du même sang. Je sais qu’Alayna est une véritable salope et qu’elle dirait n’importe quoi à ma fille pour que cette dernière me déteste et si ça se trouve, elle pense que je suis un connard fini.

Je n’ai jamais voulu me marier parce que je ne crois simplement pas au mariage. J’crois que l’être humain n’est pas censé être fait pour une seule et unique personne, la religion a été dictée ainsi mais je sais que je ne pourrais jamais être attiré par une seule et même femme durant tout le reste de ma vie, ça me semble improbable. Alors que Nina soit tombée là-dedans me surprend plus que la dernière éclipse de lune. “J’suis content que t’es trouvé chaussure à ton pied.” Expression non utilisée depuis des siècles mais je sais pas quoi dire d’autre en fait. “Ouais j’imagine… En tout cas, ici, j’pense que t’es en sécurité si tu me dis que t’habitais à New-York avant. Personne viendra te chercher ici.” J’ai peut-être l’air trop sûr de moi alors que je ne connais pas la moitié du quart de ce qu’elle a vécu, mais soit. “Et du coup, tu loges où ici ? Parce qu’y’a pas d’hôtel à des kilomètres.”

Les traits de mon visage se tendent un peu parce qu’il est vrai que je devrais avoir un boulot mais qu’entre tous les voyages que j’ai entrepris et la maison que j’ai clairement envie de finir rapidement -Parce qu’il faut bien avouer que ça prend plus de temps que ce que je croyais-, je n’ai simplement pas eu le temps de me mettre à la recherche d’un emploi jusqu’ici. “Pas encore, je suis arrivé y’a quelques semaines seulement et j’dois t’avouer que je me vois très mal faire la plonge dans un dinner pourri.” J’ai un degré d’exigence assez élevé quand il s’agit de boulot et très franchement, ça donnerait un coup à ma fierté si je devais me retrouver à bosser n’importe où.

“Ah ce truc là ! T’inquiète pas, j’crois que vaut mieux que tu sois dans ton van ! Au moins t’a pas de punaises de lit.” Je la regarde avec un air dégoûté. “Ouais, j’y suis allé une fois, le premier jour où j’suis arrivé; c’était pas beau à voir ! Franchement, y’a moyen de choper des MST rien qu’en touchant les draps.” J’ai un sourire à son égard parce que je me rends soudainement compte que ça me fait vraiment du bien de lui parler, qu’y’a quelque chose que je retrouve aujourd’hui qui m’avait manqué.

“Bon ! Viens, j’t’offre une bière et en même temps j’te montre ma baraque, c’est pas loin. J’te laisserai bronzer tranquille après.” Je me relève d’un seul coup avec l’envie de bouger et attends que Nina en fasse de même, espérant qu’elle acceptera quand même de venir avec moi.

J’ai un rire gêné quand Nina m’avoue qu’elle est justement en train de faire le job pour lequel je ne signerais jamais. Je viens clairement de dénigrer ce qu’elle faisait mais bon, elle doit bien comprendre que pour un macho comme moi, faire la vaisselle, non merci. “Désolé mais tu me connais hein, je déteste la vaisselle.” J’essaie de me rattraper comme je peux même si je crois qu’elle ne m’en veut pas. Puis soudain, je sens l’atmosphère changer légèrement, ses yeux qui se perdent sur le sable sur lequel on est encore assis et qui changent de couleur intérieurement. Je crois qu’il y a une grosse partie de sa vie que je ne connais plus et qui a assombri sa personnalité, qui l’a renfermée sur elle-même aussi. Je ne sais pas quoi dire, j’ai peur d’enfoncer le couteau dans la plaie et de rouvrir des blessures pas tout à fait cicatrisées.

Je souris. “Ouais ! J’aurais pas pu vivre ici sans un mini-frigo avec au moins quelques bières ! J’ai un bon groupe électrogène que j’ai payé la peau du cul pour pouvoir les rafraîchir, alors tu vois, c’est toi qui est vachement privilégiée au final.” Je me redresse en premier puis l’attend avant de commencer à marcher en direction de ma maison de fortune. Le chemin est assez silencieux mais on arrive rapidement et je pose fièrement mes poings sur mes hanches en regardant la structure en bois de ma baraque. “Voilà, c’est ici que j’habite.” On voit sur le sol en pavé que je dors au milieu des matériaux, mon sac de couchage encore en place et toute une installation pour mon confort à proximité. Le groupe électrogène, une mini glacière réfrigérée alimentée en électricité par ce dernier, une radio et d’autres affaires en tout genre qui forme un gros bordel. “Viens, tu peux rentrer.” Il nous suffit d’enjamber une planche de bois pour nous retrouver sous la structure sans toit et sans murs pour le moment. La situation est plutôt cocasse et franchement, je ris de moi-même de l’avoir emmenée ici. “Vas y installe toi au salon, je t’apporte ta bière.” Je souris en lui désignant salement une couverture posée au sol, mimant un canapé confortable alors qu’on ne pourrait pas différencier le salon de la cuisine. J’ouvre la glacière et en sort deux bières que je décapsule immédiatement. “C’est pas le grand luxe mais ça me suffit.” J’ajoute, tout en lui tendant la canette.

Je souris à la vue de son visage étonné. “Bah… J’peux t’en trouver un si tu veux.” Je me fournis en ville et même s’il n’y a pas grand chose, j’y ai quand même trouvé la plupart de mes matériaux et ce groupe électrogène, justement. “L’eau courante, je l’aurais pas non plus, il faudrait que je me raccorde quelque part mais c’est impossible. Du coup je vais plutôt fonctionner avec une petite citerne que je remplirais moi-même avec l’eau du canal. J’ai déjà acheter le système filtrant.” Je lui raconte tout ça mais au fond, elle doit vraiment n’en avoir rien à faire.
On arrive finalement devant mon manoir et j’entends son rire résonner dans mes oreilles, douce mélodie qui me plaît étrangement, signe qu’enfin elle se lâche et oublie un peu de son passé. “Quoi ?” Je fais mine de ne pas rire et comme si rien d’anormal siégeait devant nous. “J’en aurais bientôt aussi des murs !” Enfin, quand j’aurais finis de renforcer les fondations… Et franchement, construire sa maison seul est une chose très chronophage et très dure, plus que ce que je ne pensais. “T’inquiète, tu parles à un expert. J’ai déjà dormi en forêt, près des marécages, dans le désert… J’ai tout ce qui faut là-dedans.” J’attrape une grosse caisse pour la rapprocher de nous tandis qu’on vient de s’asseoir et l’ouvre devant Nina. “J’ai un kit d’aspire-venin, des bandages, des antalgiques…” Je fouille à l’intérieur tout en énumérant un tas de choses à Nina et je crois qu’elle l’aura compris: J’ai tout prévu. “Tiens, j’ai même un vaccin contre la rage.” Je montre la boîte contenant la seringue à la jeune femme tout en lui souriant. “Si t’en as besoin, hein…” Je range le tout et repousse la grosse boite en ferraille sur le côté, reprenant ma bière pour la tendre à Nina, manière de trinquer à nos retrouvailles. “Bon, ben, à la tienne !”

“Si c’est qu’une question d’argent… J’peux te l’avancer, tu m’le rendras quand tu pourras ?” Je propose avec la bonne intention de l’aider, simplement. Je pense bien qu’il doit être difficile pour elle d’accepter une telle proposition, surtout quand il s’agit d’argent mais on se connaît depuis longtemps maintenant, ça serait con de refuser quand on sait qu’à la clef il y a le confort de l’électricité. “Mouais, dans tous les cas il faudrait des moyens humains et financiers, donc on restera avec l’eau de notre canal…”

Je suis fier de ma collection d’outils de premiers secours, c’est la boîte indispensable à tout bon campeur/militaire/aventurier et quand on habite à Slab city, on est forcés de constater qu’il y aura bien une fois où on aura besoin d’un de ces trucs. “Pas d’soucis. J’me ferais un plaisir de te soigner.” J’ajoute avec un sourire faussement innocent. Evidemment que Nina me plait toujours sinon je ne l’aurais jamais interpellée. On trinque et je bois goulûment trois gorgées consécutives du liquide ambré de ma bière, rafraîchissante au plus haut point alors qu’il doit faire plus de trente degrés à l’ombre. “Ouais, j’ai bien l’intention de la finir, ça prend du temps mais c’est pas grave, ça viendra. Je suis arrivé ici y’a un mois et demi environ, ça m’a tout de suite plu même si franchement, y’a rien; c’est l’ambiance qui me plaît. Puis p’t’être qu’un jour j’en aurais marre et j’irais construire une autre baraque ailleurs.” Je suis plutôt instable comme gars, aimant voyager plus que n’importe quoi d’autres, il m’était évident que je ne resterais pas toute ma vie ici mais l’idée d’avoir une maison me plaisait plus que d’avoir une caravane. “Je sais que ça a l’air fou d’imaginer que je peux avoir envie de construire quelque chose ici mais franchement, y’a rien de mieux que le calme du désert. Vraiment !”

Je ne comprends pas bien la réaction de Nina étant donnée qu’elle travaille et qu’à mon avis elle pourrait se permettre au moins le confort d’un groupe électro, d’autant plus que son mec doit bien avoir un job aussi. Enfin, je ne m’éloigne pas dans ce genre de pensées et préfère froncer les sourcils tout en disant: “Alors je te l’offre ? On dira que c’est pour ton anniversaire, c’est bientôt, j’me trompe ?” C’est un vieux souvenir, la date de son anniversaire, je ne sais d’ailleurs plus exactement si c’est en juin ou en août, ce dont je me rappelle c’est uniquement le fait que ce soit le cinq. “Dis-toi qu’y a pas si longtemps j’me suis retrouvé avec un tas de sangsues collées à ma jambe… Alors nan, le canal est pas top du tout.” C’est cette expérience qui m’incite à filtrer l’eau de mon propre tonneau.

Ce que Nina dit ensuite n’est pas totalement fou, ni complètement absurde. Ici je suis Matt le mec qui se prend pas au sérieux, celui qui s’entend avec tout le monde alors qu’ailleurs, j’aurais été le Matt colérique, bagarreur et peut-être même que beaucoup de personnes m’auraient qualifiés avec des insultes. “Ouais… Exactement et tu sais quoi, ça fait vraiment du bien de venir dans un endroit où tu connais personne et où personne te connaît non plus.” Je bois quelques gorgées dans ma bière avant de souffler un bon coup, comme si c’était le meilleur breuvage au monde. Ah pardon, c’est LE meilleur breuvage au monde, surtout à 4°C sous cette chaleur. “Y’a moyen ! En ville t’as un type qui vend du matériel de survie dans sa boutique et plein de trucs faits pour avoir une vie de château en plein désert, j’te jure.”

Je ne suis pas complètement amnésique et je me rappelle parfaitement du dîner que j’avais offert à Nina le jour de son anniversaire -même si quelques jours après, c’était fini-. J’ai un petit goût amer quand je repense à notre relation, peut-être même un petit peu de nostalgie parce que de toute les femmes que j’ai connues, c’était Nina la moins chiante ! “Eh, attends, tu m’as pris pour qui ?!” Dis-je d’une grosse voix, tout sourire. Je ne rajoute rien d’autre parce que je la sens légèrement gênée. Le sujet du groupe électrogène passe à l’as mais je ne l’oublie pas, je crois même que j’irais lui amener sans qu’elle ne s’y attende, ça lui ferait une bonne surprise, enfin je crois. “Il ressemble à quoi ton van ?” Je place, discrètement, juste pour faire semblant d’avoir un peu de conversation tout en récoltant des informations précieuses si je veux lui faire une surprise.

“Oui je sais, c’est d’ailleurs parce que c’était une base militaire que je connais c’t’endroit. J’crois que j’étais en Indonésie quand un vétéran nous en a parlé. Depuis ce jour-là, j’me suis promis que j’viendrais faire un tour à Slab City.” Je bois dans ma canette tout en essuyant du revers de ma manche mon front transpirant. “Et… Ton mari, il fait quoi du coup ?” J’en viens à ce sujet parce qu’étrangement ça m’intéresse même si je ne ferais absolument rien de ces informations, que la plupart passeront dans mes oreilles pour en ressortir royalement de l’autre côté.