It's good to see ya - Nina

Il se pourrait que je me pointe devant ce van bleu et blanc pour lui apporter ce groupe électrogène dont elle rêve tant, j’espère simplement ne pas tomber sur son mec ce jour-là. Je l’écoute attentivement me parler du lieu où ils habitent et franchement, j’en serais presque jaloux au vue de ce dans quoi je dors actuellement. Je prends finalement une grand inspiration et tout en accompagnant mes mots de ma main qui tient ma bière je m’exclame: “Alors tu vois ici, y’aura une super cuisine équipée, frigo américain et tout, par là, un salon avec un canapé d’angle avec un écran énorme que j’accrocherai au mur et là-bas ma chambre, lit king size. La salle de bain j’ai pas trop le choix, elle sera à l’extérieur.” Etant donné que je n’aurais aucune arrivée d’eau, je préfère installer une douche solaire avec une pompe et un tonneau. “Bon, après, c’est sûr que ce sera pas exactement comme je l’imagine.” Une gorgée de plus s’écoule dans ma gorge avant que je ne lui souris de nouveau.

La question sur ce que fait son mec est certainement déplacée mais je n’ai pas forcément envie de finir la discussion maintenant, pas tout de suite, pas maintenant qu’on vient tout juste de renouer un peu. “Ah, vous avez pas de papiers ?” Je demande, perturbé par cette information mais je n’en demande pas plus, j’imagine que tout ça doit avoir une explication bien rationnelle. “Tu as trouvé quelqu’un pour t’en faire faire ? Sinon je peux t’aider à chercher.” Je demande avec l’intime conviction qu’elle va refuser. Qui accepterait de l’aide de son ex, d’abord ?

Evidemment que j’aimerais avoir un frigo américain et un écran plasma, mais d’une, quand j’aurais fini la maison, j’aurais plus du tout les moyens pour ça et de deux, je prendrais jamais le risque de me faire piller pour avoir voulu un peu de luxe. Après tout, j’ai pas du tout besoin de ça étant donné que même les pornos, je les mate sur mon téléphone. “Nan j’rigole… J’aurais pas les moyens pour ça, je mets presque toutes mes économies dans la fondation de la maison, alors j’irais récupérer des trucs je pense.” Au pire, je suis qualifié en feu de camp et ça sera barbec tous les jours. C’est vrai, les propos de Nina me forcent à réfléchir -pour une fois- pourquoi je me contenterais pas d’acheter ou louer une maison ? J’crois que la réponse serait que j’ai jamais eu envie de faire comme tout le monde et que si j’ai envie d’une maison comme je l’imagine en tête, c’est à moi de la construire. “Franchement ? J’en sais rien. Sûrement parce que je me fais trop chier dans ma vie et que si je fais pas ça, j’ferais rien d’autre. Tu vois ? J’ai même pas encore trouvé de taf, c’est pas faute d’avoir essayé, j’ai laissé un mot sur le panneau d’affichage. Ca serait bien que je gagne un peu de sous parce que franchement, j’suis même pas sûr de pouvoir me racheter des slips.” J’ai jamais fait attention à l’argent, ni même aux économies que je peux faire et ça se trouve, je suis en train de m’endetter grave.

Je hoche la tête de bas en haut en finissant ma bière, posant la canette au sol avant de répondre simplement: “Mh, ok je vois.” J’veux pas être trop intrusif ou trop insistant avec Nina. Je crois pas qu’elle ait besoin de ça. “J’aimerais bien avoir ton numéro ? Tu m’le donnerais ?”

Mon couchage ressemble à un bordel monumental. J’ai un sac de couchage au sol par dessus un tapis rembourré et des voilages un peu partout autour accrochés aux planches de bois de ma baraque pour avoir un semblant d’intimité. J’avais une tente, j’avais. J’crois qu’elle s’est envolé ou que quelqu’un me la prise, en tout cas j’en ai pas racheté. “Ouais, enfin, ce truc-là, là-bas.” Je lui montre du doigt toute mon installation avant de reprendre: “J’avais une tente mais elle s’est volatilisée, bizarrement.” Ca m’ennuie pas de dormir sans rien, sans toit ni tente, mais je dois bien avouer que les piqûres de moustiques, j’en ai ma claque.

“Ouais, j’vais m’y mettre, je remettrai un mot sur le panneau d’affichage si il faut.” Je dois admettre quand même qu’après avoir été dans l’armée, j’ai du mal à trouver quelque chose qui me plaise réellement, Nina doit me prendre pour une vraie feignasse.

Je finis par récupérer le numéro de Nina et arrive le moment où je dois la renommer dans mon téléphone, c’est assez compliqué dans le sens où franchement, je ne l’ai jamais appelé que par son prénom, même ensemble j’avais pas de surnom pour elle. “Ex n°69 ça te convient ? En souvenir du bon vieux temps, hein ?” Je ris à gorge déployée. Elle me connaît, j’ai un humour très lourd quand je le veux.

“Si c’est pas la tienne, j’préfère pas prendre le risque de la perdre !” En tout cas, ça me fait une drôle de sensation de savoir que Nina veuille m’aider et je crois que c’est un bon signe, celui que notre amitié est toujours d’actualité. Je pose mon regard dans le sien, les yeux emplis de tendresse, pour une fois que c’est pas lubrique. “J’ai toujours regretté de pas l’avoir fait avec toi figure toi !” Je ris de bon coeur à nouveau alors qu’elle me permet de redescendre un peu dans cette frénésie que mon cerveau subit. Nina est vraiment trop mignonne, autant dans ses mots que sur son visage dont on a envie de pincer les joues. “Merci.” Que je réponds, le plus simplement du monde alors que je continue de la regarder avec cette sympathie qui grandit à chaque fois qu’on s’échange quelques paroles. “Tu sais Nina, je tenais vraiment à toi hein, là j’plaisante et tout mais pour moi le principal c’était pas le 69.” Je lui fais un sourire bienveillant tandis que je me rapproche de nouveau de la glacière réfrigérée pour en ressortir une autre bière. “T’as fini la tienne ?” Que je lui demande avant de lui en refourguer une deuxième quand elle la finit. “Bon, faudrait qu’on se fasse un truc avec ton mec, une soirée ou quoi. J’ai pas encore de pote masculin ici…”

Y’a comme une ambiance étrange tout d’un coup, mêlant de la nostalgie avec un certain attendrissement face à la situation. Je regarde Nina avec un léger sourire sur les lèvres et je suis quand même plutôt soulagé de savoir que les sentiments étaient partagés. Je remarque aussi la mine troublée qu’elle a maintenant, les joues rougies par une timidité que je ne lui connaissais pas. “Ouf ! Tu me soulages.” Je pose ma grosse main dans ses cheveux et les ébouriffe juste un peu. “C’est bon, sois pas gênée.” Je dois bien avouer que c’est étrange pour moi aussi et que je bois ma bière deux fois plus vite qu’à la normale en guise d’effet secondaire.

Je ne m’affiche pas comme un concurrent face à son nouveau copain, pas du tout même, je me vois plus comme un bon pote qui pourrait faire chier le couple les soirs où ils veulent rester seuls. Puis je regarde Nina un peu plus attentivement lorsqu’elle me dit qu’elle est réellement amoureuse de ce type et j’ai un sourire en coin en voyant ses yeux qui brillent d’une lueur encore plus particulière. “C’est bien Nina, tu mérites d’être heureuse.” Je termine par un sourire et regarde l’heure sur mon téléphone portable. “Bon ben puisque t’es là maintenant, on va manger ensemble, non ?”

J’ai les sourcils qui se froncent instinctivement quand Nina est prise d’un recul alors que j’essayais juste d’être sympa en la décoiffant -Oui donc c’est pas vraiment sympa-. Bref, j’ai comme l’impression qu’elle a eu peur, qu’elle a cru que j’étais en train de lever la main sur elle et ça me laisse perplexe un instant. Je reprends donc ma main près de moi et m’éclaircis la gorge parce que cette fois, c’est moi qui semble gêné ! Bon après, Nina n’a jamais été du genre très expansive émotionnellement parlant, ni même accro aux démonstrations affectives, alors je me fait peut-être des idées en croyant qu’elle puisse avoir été victime de violence conjugale ou autre.

Y’a un petit silence qui s’installe entre nous, c’est d’ailleurs assez étrange mais ça happe un peu ce qu’il vient de se passer et puis je reprends la parole parce que sinon, on va commencer à s’emmerder, c’est sûr. “Mhhh attends.” Je m’étire de nouveau jusqu’à la glacière et regarde grossièrement ce qu’il y a à l’intérieur. J’en sors un burger à moitié mangé de chez queenie et une salade composée dans un récipient en plastique. “Je t’invite ailleurs. On pourrait aller chez Queenie mais t’y bosses tout l’temps, ça te dérange pas ?” C’est pas évident de se rendre à son boulot en dehors de ses horaires pour aller y bouffer, à force, ça doit dégoûter.

On vit tous des choses difficiles à certains moments de notre vie, tous sans exception. J’imagine en tout cas que c’est ce qu’il s’est passé avec Nina ces dernières années parce qu’en comparaison de la dernière fois qu’on s’est vus, j’crois pas reconnaître la Nina à qui j’étais attaché et ça provoque un sentiment bizarre en moi, comme s’il fallait que je la regarde en deux fois pour être certain que ce soit bien elle et pas quelqu’un d’autre. Soit, même si elle paraît encore plus renfermée, encore plus confinée dans sa carapace, j’apprécie toujours passer du temps avec elle et les quelques minutes qui se sont écoulées confirment ce ressenti.

“Bien sûr que je t’invite ! Il faut fêter nos retrouvailles quand même !” Et même si on me l’avait dit, je l’aurais jamais cru ! Revoir Nina c’est comme gagner au lotto, faut avoir une chatte de malade. “Ouais t’as raison, écoute on va aller en ville et puis on avisera là-bas.” J’ai toujours préféré improviser mes soirées parce que celles qui sont planifiées ont une propension énorme à foirer systématiquement.

On arrive rapidement en ville, j’ai clairement pas l’habitude de rouler doucement. “Ah tiens, on peut aller là ?” Je lui montre du doigt l’établissement en question, un fastfood spécialisé dans la viande de poulet en me rappelant que Nina aime ça, enfin je crois.

Il fait une chaleur à crever mais je crois que je commence à m’y faire. Enfin, je commence à me faire au fait que j’aurais toujours des auréoles sous les bras et dans le dos aussi mais même si je m’y suis fait, j’aurais toujours tendance à me foutre torse-nu parce que ça, c’est la vie. On entre dans le fast food où la chaleur qui y règne a l’air de faire fondre aussi les tenders qui attendent dans leur bac congelé et pour nous, y’a un vent chaud qui se projette dans notre dos, ce qui a le mérite de me refroidir légèrement quand même. Je me mets à regarder Nina, juste à ma droite. “Tu vas prendre quoi ?” Je lui demande, alors que la file se décime rapidement. Pour moi, je sais qu’il y a un burger énorme qui m’attend, le genre où il y a un steak de boeuf et un steak de poulet, avec du bacon et quatre tranches de fromage qui recouvrent parfaitement toute la surface du pain aux graines.

On repart finalement vers notre table alors que je porte le plateau rempli de nourriture. Plus de la moitié des choses dessus m’appartiennent, Nina n’ayant pas l’air d’avoir une grosse faim. “Ici ça te va ?” J’attends son approbation avant de nous installer devant une fenêtre et un ventilateur, manière de ne pas cuire sur place. J’attrape sans plus attendre mes deux burgers, mes frites et ma boisson xxl commençant par cette dernière pour éviter de me dessécher complètement. “Putain, ça fait un bien fou !” Les glaçons rendent le soda frais et vraiment super agréable à boire. “J’aimerais bien me prendre un chien, t’en penses quoi ? J’hésite entre un malinois et un berger allemand, au moins, mes affaires seraient bien gardées, là.” J’attrape mon burger comme un goinfre et fini mordre dedans, essayant d’éviter de m’en foutre partout, sans avoir le résultat escompté, bien évidemment. “Bon appétit.” J’articule difficilement, la bouche pleine.

On s’installe l’un en face de l’autre. En général, je m’assois à côté de la fille quand on est déjà ensemble et qu’on veut un rapprochement physique et j’crois pas qu’avec Nina ce soit réellement le cas. Je la regarde avec attention et de temps à autres je remarque quelques traits de son visage qui ont changés par rapport à y a quelques années, certaines mimiques avec ses mains aussi me rappelant provisoirement que les gens changent avec le temps.

“Ouais, j’l’aurais pas pris maintenant de toute façon. J’ai même pas commencé à monter le toit.” Je commence à manger mon sandwich et m’essuie la bouche avec la petite serviette en papier que l’on m’a donné avec. “Mhhh, ouais, mais j’suppose qu’ils s’y habituent, comme nous.” Même s’ils ont beaucoup plus de poils, il faut bien l’admettre. “Putain c’que ça fait du bien !” Dis-je juste après avoir pris quarante -j’exagère à peine- grandes gorgées du litre de coca que je me suis pris. “Tu t’es fait des potes ici ?” Remarque, y’a de quoi faire; les gens sont particulièrement excentriques et souvent de bonne compagnie, rien à voir avec ceux qui viennent des grandes villes, beaucoup trop égoïstes la plupart du temps.