La seule chose à trouver, c'est vous. Tout le reste est sur google. || Apolline

« Apo ? Apo ? » Je souffle une fumée beaucoup trop parfumée pour mon propre bien dans le lointain. « Non mais où est cette conne. »

C’est affectif ; après vingt ans penses-tu qu’on se passe des mignonitudes romantiques sinon putain on se ferait chier comme des rats morts. Il est deux heures du matin et c’est un des très rares moments où je suis de mauvaise humeur. Je l’étais pas au début mais Lamia, une des putes attitrées de la maison, la petite princesse, a trouvé le moyen de venir me chercher où il ne fallait pas, et elle a fait partir plusieurs clients qui sont revenus si remontés que j’ai du demander à Basalte d’intervenir – Basalte c’est le surnom d’un pote qui fait vigile dans ses bons soirs.
Du coup je me retrouve dans le campement à saloper un Thierry Mugler qui n’a plus toute sa fraîcheur mais quand même, et de sympathiques pompes de ville que j’ai eu pour trois fois rien à la frontière mais quand même.
Lamia, tremblante de fièvre, le regard fuyant, frictionne ses épaules recouvertes d’un châle sans goût ni valeur.

« Elle est peut-être sortie ? »

Je crache ma fumée dans sa direction, agacé.

« Lamia pour l’amour du ciel tais-toi, je ne veux plus t’entendre ce soir. »

Loin de la chaleur de ton tipi, tu sens une vague de chaleur toute autre t’entourer alors que les coups de rein s'enchaînent. Félix, ton amant du jour, n’a beau avoir que vingt ans, il baise comme un démon, et tu approches doucement du point de non retour lorsqu’une voix retentit dans le désert. Une voix que tu connais par cœur. Pour le meilleur et pour le pire jusqu’à ce que la mort vous sépare.

« Excuse moi mon chou, mon mari à besoin de moi! » Sa queue retombe dans un clapotis peu élégant, et tu poses tes lèvres sur les siennes avec malice en enfilant ton string qui traîne dans un coin, et un débardeur long et informe qui tombe sur le galbe rond de tes fesses.

Pimpante, décoiffée, et en nage, tu pousses la porte de la petite caravane de Félix pour tomber nez à nez avec ton mari, costume fatigué sur les épaules, et la gueule des mauvais jours. Tu fronces les sourcils en reconnaissant Lamia derrière lui. Elle a pas l’air dans son assiette. « T’as intérêt à me faire oublier comment j’m’appelle pour t’excuser mi amor, parce que je viens de faire une croix sur un petit étalon de vingt piges pour tes beaux yeux. » Quoi? « Qu’est-ce qui se passe? Un problème au boulot? » Demandes-tu, soucieuse, en plantant tes grands yeux noirs dans les siens, alors qu’autour de ton cou un médaillon en forme de croissant de lune teinte doucement.

Apolline finit par entendre mon appel et tel un esprit frappeur invoqué par mégarde, finit par pointer son nez entre les tentes, trotinnant vers moi auréolée de ses mèches sombres et humides qui laissent deviner ce qu’elle était en train de faire. Je balaie ses remarques d’un geste de la main empressé, plus sec et moins efféminé qu’à l’ordinaire, avant d’en venir directement au fait.

« Ouais alors je t’explique – sympa ton tee-shirt. » je fais remarquer tout de même, car on ne fait pas l’impasse sur les bonnes choses. « Lamia est complètement hors service depuis plusieurs heures, or c’est une des permanentes de la maison. Je prends pas de commission sur les passes de mes pioupiou mais là t’es en train de me faire perdre des plumes. »

Je tends effectivement un doit accusateur vers celle qui officiellement est ma gonzesse.

« Elle prétend qu’elle est allée chercher un remède chez toi et que depuis qu’elle l’a pris, rien ne va plus. Qu’est-ce que t’as encore glandé ? Tu me fais une crise de jalousie ? »

Normalement non, mais on parle tout de même de la meuf qui quand on s’est séparés une première fois voilà quelques années, a lancé un détective à ma poursuite pour prouver que je la trompais et récupérer le maximum d’indemnités.
Sacrée Apolline.

Comme n’importe quelle petite fille, tu ouvres la bouche pour répliquer mais son geste de la main te fait taire avec une efficacité qui relève de l’habitude. Contrariée, tu portes ta main à tes lèvres pour te ronger les ongles jusqu’à ce qu’il complimente ton tee-shirt. C’est suffisant pour te rassurer sur le fait qu’il n’en a pas après toi en principe. « Comment ca hors service? Elle sait plus ouvrir la bouche? Sa chatte s’est recousue ? » Tu demandes avec désinvolture en plantant les yeux sur la concernée qui n’a pas l’air dans son assiette.

Jusqu’à ce que Sly pointe son doigt vers toi et cette fois… « Sly est-ce que t’es sur de vouloir insinuer ce que t’es en train d’insinuer sur mon dos?! » Tes sourcils se froncent, et le visage encadré par cette masse de cheveux noirs tout à fait lisse, tu as brutalement l’allure d’une figure de film d’horreur. « Je n’ai rien glandé. Et je suis pas jalouse de cette petasse. Et puis quoi encore? Tu tires la clope des mains de ton mari pour tirer une latte dessus avant de reprendre: « Oui, elle est venue, parce qu’elle avait mal au bide. Je lui ai donné un remède naturel, sauf que cette pimbêche a pas écouté les instructions et s’est barrée avec. » En te laissant son fric, parce que sinon, tu peux y aller qu’elle se serait pris un mauvais sort sur la gueule.

Tu relèves les yeux vers Sly, une lueur de défi dans le regard: « Alors je suppose que ta poulette l’a pris tel quel. Sauf que ça se consomme pas tel quel. Elle fait une intoxication alimentaire et son corps est en train de se purger. Je soigne les gens Sly. Je les rends pas malades. » Meme pour ses beaux yeux, et surtout, pas alors que ta réputation commence juste à se faire à Slab City. « J’ai tort princesse ? » Et tu peux y aller qu’elle a pas intérêt à penser que oui pour se sauver la mise devant son patron.

Je lève les yeux au ciel.
Notre quotidien est simple comme bonjour, et je crois qu’il n’y a pas mac plus laxiste que moi à des centaines de kilomètres à la ronde. Slab City a un principe simple qui brille par son absence justement. Tout est fait tranquillement, pépouse, dans les règles de l’art.
Et il faut toujours que les femmes viennent tout compliquer.

Le fait que la mienne me pique ma clope ne m’aide pas à rester tranquille. Non pas parce qu’elle me fait perdre de la thune, pour ça il faudrait que j’en gagne sur le dos des pioupious, mais parce qu’elle a l’air vraiment mal en point cette donzelle, et c’est pas exactement le genre de population qui a de quoi se rafraîchir. Demain il fera quarante degrés à l’ombre, du coup si elle a de la fièvre je lui donne pas trois jours.
Et ça me ferait chier de perdre un pioupiou pour une raison aussi merdique.

Comme je suis pas là pour juger les gens, j’attends pas que la meuf réponde et je désigne la tente.

« Débrouille-toi, file-lui quelque chose pour qu’elle aille mieux, sinon ça va encore être le bordel dans le campement et j’ai pas besoin de ça. »