I'm just too bored for normal views (Apolline)

Les réservoirs, c’pas censé servir de piscine mais ici à Slab, c’est un peu l’utilisation de base. Tu fais vraiment pas exception puisque la première chose que t’as fais après avoir vidé ton van, c’est de larguer tes fringues et de plonger à poil dans la flotte. Y a des gens qui s’encombrent d’un maillot. Toi, tu t’encombres même pas de fringues quand quelqu’un se pointe à ta porte parfois, alors bon.

Aujourd’hui, c’est un de ces jours où la température te tape tellement sur la tête que si tu finis pas à la flotte, tu vas tuer quelqu’un juste parce que t’en peux plus. Alors tes fringues abandonnée près du réservoir que sur lequel t’as jeté ton dévolu, tu fais trempette, toujours ta clope au bec. Personne a jamais compris comment tu faisais pour fumer et te baigner en même temps mais en même temps, personne est aussi nicotiné que tu l’es. Tu crèveras soit d’un cancer du poumon, soit d’une cirrhose mais c’est pas comme si tu le savais pas.

Des petits nouveaux s’arrêtent pas loin et te regardes de travers et jugent bon de te sermonner. Ça arrive une fois toutes les semaines et y a toujours bien quelqu’un pour les envoyer chier.

- « Vous savez, ce n’est pas fait pour se baigner ici monsieur. »

- « On vous a demandé vos avis peut-être ? Non. Alors vos gueules et bon vent. J’vous déconseille l’eau du robinet si ça vous défrise. »

Ces touristes là ont dû se paumer ou pas lire la brochure ou pas s’être renseigné. T’en sais rien et tu t’en fous mais ils font pas vraiment couleur locale même si en toute honnêteté, t’as quasi tout vu dans le coin. Après, y a toujours des casse couilles et tant mieux, parce que tu te feras toujours un plaisir de les envoyer chier. Outrés, ils finissent par se barrer quand ils se rendent compte que tu bougeras pas ton cul nu.

Autour de toi, tu es bien incapable de dire ce qui se passe. Tu regardes les gens. Ils passent, ils bougent, ils s'agitent, mais tu n'entends rien de ce qu'ils racontent. Y'en à deux qui ont l'air de s'engueuler. C'est drôle une engueulade à la frontière entre les USA et le Mexique, sur fond de chanson française. Dans tes oreilles, tes écouteurs sont fermement vissés et font remués tes hanches fines en cadence. Une serviette sur l'épaule, un débardeur qui tombe sur tes fesses avec nonchalance, tu avances vers les réservoirs, bien décidée à tester ce petit lecteur MP3 waterproof que tu as acheté en ville lors de ton dernier passage à Niland.

Tu vois des gens qui reviennent des réservoirs justement. Ils ont l'air de s'exciter sur un sujet qui t'échappe, alors que de ta voix s'échappe quelques notes de la chanson que tu écoutes. Des mots, en français, perdus dans le désert de Slab City.
Tu te hisses le long du réservoir, et sans prêter attention à qui que ce soit, tu fais tomber ton débardeur sur le sol, et jette la petite culotte en coton dans un coin. Si tu la trouves pas, tu la remettras pas. Entre tes cuisses, ta toison pubienne contraste sur ta peau hâlée, il y traîne quelques marques de la teinture rose qui ornait ton corps jusqu'il y a peu. Entre tes seins, inexistants, les lettres du prénoms de ton mari sont toujours là, en une scarification désormais cicatrisée depuis bien longtemps. Les écouteurs sur les oreilles, tu plonges, les yeux clos.

L'eau détrempe ta longue chevelure ébène et tu nages, en écoutant la voix de Jacques Brel lorsque ta main se referme sur... Hé? Tu sors la tête de l'eau et éclate de rire en lâchant... ben la queue d'un parfait inconnu: - J'suis désolée, vous m'avez tendu la perche on dirait! Tu ôtes tes écouteurs en riant comme une gamine.
Là où y'a d'la gêne, y'a pas de plaisir.

La tête posée et tes lunettes de soleil sur le nez alors que tu profites de l’eau même si elle est pas si fraîche, tu savoures. Avant, t’aurais grillé comme du lard sur un barbec’ mais apparemment, ta peau avait fini par s’y faire même si t’étais pas là depuis longtemps. T’étais du genre à t’adapter à tout, un vrai cafard si on te demandait ton opinion sur toi-même. Cela dit, t’avais au moins le mérite de pas être un parasite. T’es ravi de te détendre sans touristes dans l’eau mais tu t’attends pas particulièrement à la suite. Tu reconnaitrais une main fermée sur ta queue complètement déchiré et dans le noir et à l’excuse qui t’es servie quand tu rouvres les yeux et regardes l’origine du phénomène, t’as un sourire en coin. T’es pas gêné et ça se voit.

- « J’vais pas me plaindre que tu l’aies saisie, ce serait très hypocrite. J’adore tendre la perche, particulièrement quand quelqu’un la saisit. »

Ton accent ressort depuis que t’es rentré au pays, pas aussi fort qu’il a pu l’être la première fois que t’as débarqué mais il est bien là. Là, c’est l’amusement qui le fait ressortir, clairement. T’es un peu un connard quand tu t’y mets et là en plus, tu joues les petits comiques. En même temps, t’es pas certain qu’il y ait encore moyen de te gêner. T’as plus honte de rien depuis des années alors c’est certainement pas une jolie nana aux mains baladeuses dans la flotte qui va te faire perdre tes moyens.

- « Sympa la découpe. »

Que tu dis en désignant la scarification. Ce qu’il y a tout autour aussi est sympa à regarder mais tu vas pas faire dans le compliment. T’es là pour te rafraîchir, pas autre chose. T’es priorité, c’est pas toujours ça mais là... Bah t’as trop chaud pour penser avec ton cerveau inférieur. Puis les scarifications, c’est pas courant même si ça l’est plus aujourd’hui qu’hier. Bon, t’es certainement plus marquant à ce niveau mais toi, c’est pas des scarifications. C’est pas censé représenter quelque chose bien que la symétrie des marques puisse laisser penser le contraire.