We'll be counting stars - Slavina

Je crois bien que mon enthousiasme l'effraie, d'ailleurs il ne renchérit pas sur le bunker, ne me dit pas qu'en effet c'est possible et je perds mon sourire en reposant les pieds sur terre. Je secoue la tête, tente de me justifier, d'avoir l'air d'y tenir un peu moins aussi. Enfin le van est très bien aussi... Et puis ça rend bien avec les palissades, et on va s'acheter un matelas... J'étais heureuse de trouver la caravane, vraiment, mais parce que je pensais que ce serait provisoire, de la même façon que la tente l'était. La perspective que ce soit notre chez nous pour toujours me plaît beaucoup moins. Ce n'est pas vivable sur le long terme, et j'ai besoin d'autre chose... Pourtant je sais que je ne peux rien réclamer, il a raison, demain on devra peut-être tout abandonner encore une fois. De toute façon les bunkers doivent tous être occupés déjà... C'est ce que je me dis pour me rassurer en tout cas, mais en réalité la plupart des gens qui vivent sur le campement préfèrent des maisons mobiles parce qu'ils ne sont pas là à l'année.

Je baisse les yeux, acquiesce doucement. Oui, t'es revenu... Mais cette fille aurait pu le buter, ou le livrer, j'en ai douloureusement conscience et je suis sûre que lui aussi au fond. Je fonds sous son baiser, la poitrine oppressée de trop d'amour et de la peur de le perdre aussi. Je passe mes mains dans son dos, soupire contre ses lèvres, les yeux clos. I ja volim te. C'est bien pour ça que c'est si dur, avant de le connaître je n'imaginais pas qu'il était possible de s'inquiéter à ce point pour quelqu'un d'autre que soi. J'esquisse un sourire pour tenter de ne pas complètement plomber l'ambiance. On va se trouver des téléphones satellitaires, d'accord ? J'veux que tu puisses me joindre. Et moi aussi, je veux pouvoir te joindre...

Je me sens légèrement le rabat-joie de service mais je n'arrive pas à m'emballer face à ces projets qui pour moi sont des rêves utopiques. Sans doute ai-je trop peur d'être encore une fois déçu. Combien de fois peut-on supporter ça sans se briser complètement? Je commence à aller mieux depuis deux ou trois jours, à prendre mes marques et je vais pas à pas. Tout ça, ces projets, ces désirs, c'est trop pour moi.

—humhum, je suis revenu. Tu es mon étoile, srce moje. Il a ce brin de moquerie amoureuse matinée de romantisme dans ma voix. Je la serre dans mes bras pour la rassurer mieux que par les mots, par le contact, ma peau collée à la sienne. —Ok on essaiera de trouver ça dans un destock de matos militaire. Dès qu'on aura du fric. Et elle voudrait que j'attende avant d'aller bosser ? C'est hors de question, on a besoin de cet argent. Je la lâche pour passer ma main sur mes cheveux savonneux et voulant dissiper l'angoisse et la peur latente, je force un peu le trait en lançant plus joyeusement —mais avant ça, on va déjà essayer de se trouver du café !! Ce sera déjà pas mal. je plonge la tête sous l'eau pour rincer mes cheveux avant de chercher le savon pour achever de me laver. Un brossage de dents énergique complète ma toilette, et pour la barbe, on verra dans quelques jours.

Je me hisse sur le bord en béton pour sécher au soleil, j'ôte le pansement qui s'est à moitié décollé en pensant qu'il faut que j'achète du désinfectant. Je tapote doucettement la suture de ma serviette, le mieux c'est toujours de laisser à l'air libre pour qu'elle sèche. C'est moche mais c'est pas si terrible, ça tiraille un peu, entravant certains mouvements. Les pieds dans l'eau, je regarde aux alentours. Il n'y a personne à moins de cinquante mètres, mais les berges commencent à être prises d'assaut du fait de l'heure et de la chaleur.

Ce qu'il y a de bien, c'est que le matériel militaire, ce n'est vraiment pas ce qui manque dans le coin. Il suffit de savoir où aller, et surtout d'avoir l'argent pour se le procurer. En ce qui nous concerne, c'est bien-sûr là que le bât blesse mais j'ai l'intention de me rendre à Niland prochainement pour renflouer les caisses. Je sais bien qu'il s'inquiète pour moi, mais après tout je m'inquiète qu'il aille à la frontière et il y va malgré tout : parce qu'on a besoin d'argent. Un cambriolage, ça peut rapporter beaucoup en peu de temps, il faut que je tente le coup et je n'ai pas vraiment l'intention de lui laisser le choix.

Je m'écarte de lui pour enfin me savonner les cheveux, je prends le temps de les démêler soigneusement, ce qui s'avère toujours assez compliqué mais si j'attends qu'ils soient secs c'est encore pire. Ensuite je me brosse les dents moi aussi, et je barbote encore un peu dans l'eau avant que le soleil ne cogne vraiment trop fort et que je ne consente à sortir. Je peux me permettre de sécher à l'air libre puisque je suis en maillot de bain, si j'étais nue je me serais empressée de me rhabiller mais là j'en profite pour m'asseoir à côté de lui et profiter encore un peu. Tu sais pour le café on peut simplement aller chez Queenie. La fille qui fait le service nous fera pas payer. Ce n'est pas par dosettes, on fait toujours de grosses cafetières qu'on sert à tout va alors étant donné que je bosse là-bas (en tout cas pour le moment j'y bosse toujours) je peux bien avoir un café gratuit. Je remets mon chapeau sur ma tête pour éviter de cramer.

J'aimerais bien acheter du matos, ça oui, un AK me ferait super plaisir par exemple, ou même des balles pour le Beretta, ou un couteau digne de ce nom. Ou même un deuxième treillis pour ne pas parler que d'armes. Mais même problème que pour des téléphones. Dollars.

Je suis bêtement et simplement heureux parce qu'elle s'assied près de moi, sur le bord en béton du canal. J'ai envie de l'arroser, une pulsion inédite de jeu (inédite depuis notre sortie) qui tournerait à d'autres mais sagement je me retiens. J'ai un peu de mal encore à gérer ces élans en extérieur. Pourtant, on ne peut pas dire que la ville soit prude ! C'est régulièrement qu'on doit faire demi-tour au réservoir en entendant des bruits suspects, ou bien comme au Boyuyu, les gens se pelotent dans les coins sans trop être regardant sur qui traînent dans les parages. La chaleur sans doute... Je suis devenu beaucoup plus prude et prudent, ça va sans doute ensemble. Seul mon regard qui pétille d'une lueur fourbe trahit mon envie de l'arroser pour avoir un baiser, qu'elle jette ses bras autour de mon cou.

—je pensais pas aller ailleurs mon amour. café gratos, autant en profiter encore avant qu'elle ne change de taf. Par contre j'ai faim, le tacos de la veille est loin, mais j'attendrais ce midi pour bouffer. Je plaisante en ajoutant —j'devrais prendre ta place que Queenie, vu mon talent sur rollers ! hein ? J'suis sur que j'aurais plein de pourboires et j'pourrais bouffer gratos !

Je vois bien la lueur mutine dans son regard mais je ne sais pas à quoi elle est dûe, alors je me contente de l'observer en fronçant les sourcils, suspicieuse. Comme d'habitude, j'ai ces palpitations dans le bide parce qu'il m'appelle mon amour et je dois me faire violence pour conserver, malgré tout, un visage neutre. Ça me faisait déjà de l'effet avant, mais depuis que j'ai été privée de ces mots doux, je les trouve encore plus précieux. Tu sais y a du boulot chez Queenie sans rollers. Genre le cuistot. Ou le type qui fait le ménage... Je plaisante, je n'essaie pas réellement de le convaincre, je l'imagine assez mal faire ce genre de boulots ! Et puis c'est bien moins payé que de faire le passeur...

Je n'ai étrangement pas encore envie de bouger, alors je retire mon chapeau pour pouvoir venir poser ma tête sur son épaule. En parlant de Queenie... J'ai aucune envie de bosser ce soir... Bosser le jour de son anniversaire, ça devrait être interdit ! Moi non plus je ne suis pas fan de ce boulot, encore qu'il est moins dérangeant que celui de Slavenko, mais j'ai l'habitude de faire des tafs qui ne me plaisent pas pour gagner ma vie, je le faisais déjà à NY avant de commencer à me reconvertir. Tu sais je pensais à un truc... Ça va te paraître insensé je sais mais... Je hausse les épaules, esquisse un sourire un peu gêné. Y a plein de grosses villes pas loin... Los Angeles ou... San Diego... Je me disais... Tu crois que quand on aura des faux papiers on pourra... Aller quelque part, quelques jours... Bouger un peu d'ici...? La perspective de ne plus jamais rien voir d'autre que ce désert aride me fait peur, ce n'est pas un secret.

—Cuistot, y a pas un film où le cuistot est un genre de super warrior ? Ha ha... Ceci dit j'ai déjà fait des boulots légaux. Après ma sortie de taule au début de ma conditionnelle. J'ai été docker, pour décharger des palettes des bateaux, et gardien de parking aussi. Des jobs manuels où il faut pas trop penser, hein Kovács, c'est que t'es pas une lumière, juste une brute mal dégrossie, qu'est-ce que tu pourrais bien faire d'autre que du ménage en tout genre? Je soupire intérieurement.

—t'as qu'a pas y aller, tu t'en fous, tu quittes. Mon sens de la loyauté est très relatif vous voyez, et le Queenie, bah, qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Dernier café gratuit ce matin de toute façon ! Je caresse furtivement la tête de Nina venue se poser sur mon épaule.

Nina me parle soudain de LA, je me souviens qu'elle y est allée avec Luna, pauvre Luna..., et de la côte. Elle parle et je la sens coincée ici, comme entre quatre murs, comme en taule et je suis brusquement triste. Toute la lumière s'éteint dans mon regard mais qu'est-ce que je pourrais dire? Que des faux papiers coûtent de l'argent, qu'on peut quand même nous reconnaître ? Un grand serbe et une mignonne petite brune. C'est son anniversaire et j'ai pas envie de jouer le tueur de rêves aujourd'hui. —Ouai, c'est une bonne idée. Un tour à la mer. Il fera moins chaud qu'ici. D'ailleurs fait attention de pas attraper un autre coup de soleil. On devrait y aller...ça commence à cogner sec. J'attrape mon caleçon pour me rhabiller, et mes affaires, remettant le glock coincé dans ma ceinture pour pouvoir remettre mon tee-shirt. J'ai déjà de nouveau chaud, mais c'est la vie d'ici ça ! On repasse par le van pour pouvoir étendre les serviettes qui sont toujours sèches en un temps record !

Comme on s'en doute, je suis pour ma part très loin de penser qu'il n'est bon qu'à faire des boulots qui ne demandent pas de réfléchir. Je ne le vois pas du tout comme une paire de gros bras seulement bonne à blesser, loin de là. Il a tendance à oublier qu'il était quand même à la tête de deux business dans le Bronx, et les deux fonctionnaient à merveille. Mais même avant ça, j'ai toujours su ce dont il était capable. Il est intelligent et rusé, il est doué pour tout un tas de choses et il m'a surprise plus d'une fois. Le seul à en douter c'est lui et je sais qu'il aime de toute façon entretenir cette image de lui parce qu'il a l'impression qu'ainsi les gens se posent moins de questions à son sujet. Moui, je vais attendre d'avoir un autre taf avant de quitter, hein. On a besoin de cet argent et le job chez Queenie m'arrange bien, je ne vais pas cracher dessus.

À ma question irrationnelle, j'en ai bien conscience, je m'attends à ce qu'il me remette à ma place, de façon plus ou moins douce d'ailleurs. Alors sa réponse me voit écarquiller les yeux, et j'ai le myocarde qui s'emballe dangereusement parce qu'il ne refuse pas, qu'il ne me dit pas que c'est impossible. Je sais bien que c'est loin d'être pour tout de suite mais quand bien même, l'idée que ce sera peut-être possible un jour me donne envie de pleurer d'émotion. Il a raison, je me sens coincée ici, prisonnière d'un quotidien dont je ne veux pas et je survis uniquement en fantasmant d'autre chose, naïve. Je ne renchéris pas, j'ai trop peur de parlementer et qu'il ne change d'avis, je me contente de ramasser fébrilement mes affaires, en essayant de contenir mes tremblements quand je voudrais lui sauter au cou, encore.

Au van, j'étends mes affaires mouillées et je troque mon maillot pour une robe, pas celle qu'il m'a offerte, je la garde pour les occasions spéciales. L'émotion me noue toujours dangereusement la gorge et je me surprends déjà à rêver d'une escapade loin d'ici, dans un endroit où il ferait frais, au bord de l'eau, comme avant... Quand il me rejoint à l'intérieur, je ne parviens pas à étouffer l'élan qui me porte vers lui et je me coule contre lui, mes mains dans ses cheveux. Volim te, ja volim te. Je lui prends un long baiser langoureux qui hérisse ma chair, le genre de baiser que je n'aurais pas osé réclamer dehors.

—Bah tu commences quand au bar ? Tu m'as d'ailleurs pas donné tes horaires que tu feras là bas . C'est la nuit ? Si elle retravaille de jour, on se verra à nouveau moins, ou pour dormir quelques heures ensemble. C'est dommage mais je suis assez résigné sur la question. La survie avant le plaisir ! —de toute façon, je bosse aussi. Et comme ça j'espère bien que tu me ramèneras quelque chose à manger de sympa demain matin !

Pour être honnête, je ne suis pas réellement sincère en acquiesçant à son projet de voyage, pour moi c'est un doux rêve irréalisable mais il ne sert à rien de le faire remarquer, ça ne ferait que la blesser inutilement et je ne veux pas. Si rêver l'aide, si y croire l'aide, pourquoi briser ses espoirs ? Après tout, c'est peut-être elle qui a raison, même si moi je n'y crois pas, je ne vois pas l'avenir plus radieux, juste moins sombre quand elle est avec moi, c'est tout.

Je rentre dans le van pour préparer le sac, je prends toujours de l'eau avec nous parce que je pense que j'en liquide au moins trois litres par jour ! Nina se love brusquement dans mes bras dans un élan qui me surprend et me saisit tout entier ! Une vague d'amour passionné me tombe dessus, une bouffée immense pour ce bout de femme incroyable qui se presse contre ma bouche. Je l'attire ver moi, la hissant vers ma bouche, me voutant pour réduire l'espace entre nous. Entre deux souffles je murmure avec ce ton d'émerveillement passionné qui trahit tout mon amour pour elle —zlato moje !

Si tout va bien je commence mercredi. Et les horaires sont de nuit aussi, moins longs que chez Queenie, c'est de 18h à minuit, plus tard si y a une soirée spéciale ou un match et que les clients s'éternisent. Moi ça ne m'arrange pas vraiment, parce que Slavenko rentre beaucoup plus tard et que ça me fait bien trop d'heures à passer toute seule pour attendre qu'il rentre... Par contre le salaire c'est le double, par rapport au dinner. Disons que Queenie payait le strict minimum ! Tu sais au bar aussi je pourrais sans doute te ramener à bouffer de temps en temps, ils font des trucs à grignoter, ça vaudra pas la bouffe du dinner mais bon... C'est toujours mieux que rien, on ne peut pas se permettre d'être très exigeants de ce côté-là.

Je suis bien trop naïve, très loin de me douter qu'il ne le pense pas quand il dit qu'aller au bord de l'eau serait une bonne idée. Non, je suis trop habituée à ce qu'il fasse toujours tout pour me faire plaisir et maintenant j'imagine qu'il va faire en sorte que ça devienne possible, réalisable. Bien-sûr que les faux papiers coûtent cher, mais il nous en faut quoiqu'il arrive. Pour moi c'est un nouveau fantasme, un nouveau rêve auquel me raccrocher et qui me permet de supporter le quotidien. Il n'y a que comme ça que j'y parviens, je vis bien plus dans l'imaginaire que dans la vie réelle en ce moment...

Son étreinte répond trop à la mienne pour que je doute, et je me hisse sur la pointe des pieds pour mieux dévorer sa bouche, transportée de gratitude parce qu'il a organisé quelque chose pour mon anniversaire, parce qu'il passe mes caprices, parce qu'il me laisse y croire encore et Dieu sait à quel point j'en ai besoin pour ne pas m'effondrer ! Mon coeur bat la chamade quand je repose les talons au sol et que je m'écarte de lui, le regard brillant trop fort. J'ai la voix basse, le souffle rauque quand je demande : On y va...?

—Mercredi ? Ok, et c'est le soir alors ? Moi je bosse plus tard, mais au moins on a des heures en commun c'est très bien et puis, je n'y vais pas tous les jours non plus, parfois Machete n'a pas besoin de moi, parce qu'il a assez de gars, ou parce qu'il n'a pas de clients ! C'est très aléatoire. Je suis assez mal à l'aise avec la question de l'argent, et le fait que c'est elle qui subvient beaucoup plus à nos besoins. Elle est payée régulièrement, et en plus elle pourvoie souvent à la bouffe grâce au reste. —c'est parfait Que dire d'autre ? Ma fierté en a pris un sacré coup depuis notre passage entre les mains de Logan et je ne dis rien, parce que je ne peux pas me permettre d'être orgueilleux ou macho. C'est tout un pan de ma personnalité qui s'est effondré.

Je caresse son front pour lisser des petites mèches folles et je m'écarte à regret de sa bouche, de son corps our acquiescer. — on y va ! Je vais cherche la voiture que je démarre "à l'ancienne" - entendez par là sans clef - et nous allons jusqu'au parking près du Queenie dans un sillon de poussière. Effectivement, il est facile d'avoir deux cafés gratuits, et on se cale près d'une fenêtre. Je me mets discrètement dans le coin, n'aimant pas être aussi exposé au milieu d'inconnus (le matin beaucoup de personnes viennent chercher un café ici) Je ne vois pas le groupe de jeunes gens qui étaient là l'autre soir, mais l'étudiant qui avait flashé sur Nina est bien là et ne l'a pas oublié. Alors que je me suis déjà assis avec ma tasse, il intercepte Nina au passage.

Je fronce les sourcils. Bien-sûr que c'est le soir, j'aurais jamais postulé autrement. Moi aussi, je tiens à ce qu'on garde plus ou moins les mêmes horaires. Je ne veux vraiment pas le voir moins souvent. Cette fois je ne le dis pas, mais finir plus tôt pourrait me permettre d'occuper les heures suivantes à trouver de l'argent autrement... Dans le Bronx c'est ce que je faisais parfois après mon service, j'en profitais pour aller faire un cambriolage avant que Slavenko ne rentre. J'aimerais bien faire la même chose ici, je ne vais pas pouvoir me contenter de bosser derrière un comptoir, j'ai besoin de plus de pognon que ça pour ce que j'ai en tête... Le seul inconvénient, c'est qu'il me faut une grosse somme, donc je vais devoir cacher pas mal de liquide, et si on se fait voler le van ou si on doit fuir encore... Là je serais vraiment dégoûtée.

Slavenko nous dégote rapidement une table au dinner mais je n'ai pas le temps de m'installer à côté de lui que le type de la dernière fois m'interpelle. J'ai complètement oublié son prénom, mais pas son visage, je suis trop à l'affût, trop parano en ce moment pour oublier un visage. J'ai un sourire poli, après tout je bosse ici, ce n'est pas parce que je ne suis pas en service que je peux me permettre d'être désagréable avec les clients. Il me demande gentiment comment je vais, si je bosse ce soir aussi et je fronce les sourcils avant d'acquiescer. Je désigne, gênée, la table à laquelle s'est installé Slavenko, en précisant qu'on m'attend. [b]Oui, bien-sûr, si tu veux on pourrait aller boire un café un de ces quatre.[/color] J'écarquille les yeux, surprise par sa proposition, à tel point que je ne la refuse pas vraiment. Je balbutie un truc du genre : Oh... Euh... Peut-être... Je... Bonne journée... Et je vais m'asseoir en face du slave en secouant la tête.

Comme Nina ne me rejoint pas, je tourne la tête pour la chercher du regard et je suis la conversation de loin. J'ai une boule d'amertume tandis que Nina accepte la proposition du jeune homme, mais tandis qu'elle s'assied en face de moi, je serre simplement ma tasse entre mes deux mains sans faire de remarque. Je regarde un instant par la fenêtre le parking sur lequel sont arqués voitures, camions, et quelques camping cars. L'hiver c'est bondé, mais à cette époque, le parking parait vide. Je plonge le nez dans ma tasse pour absorber un peu de café, plaisir simple que j'ai appris à de nouveau apprécier à sa juste valeur.

Il fait chaud dans le Queenie - la clim est perpétuellement en panne ici, mais il y a un gros ventilateur au plafond qui apporte un semblant d'air, et c'est plus gérable que dehors. Nous sommes au moins à l'abri des rayons du soleil ! J'ai glissé mes jambes sous ma chaise et je ne touche pas Nina, je ne le fais jamais en public, ou rarement, pas en ville en tout cas. La discrétion est devenue une seconde nature. —je crois que si on prend la route, on n'en a que pour 10 mn à peine en voiture. Tu sais, la visite va être assez brève. Tu ne seras pas déçue s'il n'y a pas grand chose à voir ou visiter ?

Je ne suis pas du tout sûre d'avoir accepté sa proposition, ce que je sais c'est que je n'ai pas trouvé les mots pour la refuser ! Il est plus qu'évident qu'il flirte, et c'est quelque chose qui me met terriblement mal à l'aise. En fait l'idée même de susciter l'attirance de quelqu'un d'autre que Slavenko me file des bouffées d'angoisse monstrueuses. Ce n'était pas le cas avant pourtant, je ne l'ai jamais trompé mais savoir qu'on plaît est normalement quelque chose d'agréable, quand bien même ça ne mène nulle part. Aujourd'hui c'est tout l'inverse, j'aspire à la discrétion totale, l'invisibilité si c'était possible ! Et autant dire que la distance que Slavenko impose entre nous en public n'aide pas, disons qu'avant personne n'aurait eu l'idée de m'inviter à boire un café dans ces circonstances. Parce que Slavenko ne se serait pas assis. Non, il serait resté debout près de moi, sa main sur ma nuque, son regard noir posé sur les autres hommes autour. Je le sais.

Je bois une gorgée de café avant de hausser les épaules. Je sais, c'est pas grave, j'ai envie de voir quand même à quoi ça ressemble. Slab City, je sais bien que ce n'est pas un parc d'attraction ou même une ville touristique, il n'y a presque rien à voir ici, rien à faire non plus. Ou bien peut-être que c'est moi qui suis devenue trop trouillarde et qui manque d'imagination... Quelque part je sais que si on avait atterri ici dans d'autres circonstances, j'aurais trouvé tout un tas d'activités pour nous. J'en aurais inventé s'il l'avait fallu. On en profitera pour faire un vrai tour du campement, des alentours, si tu veux... J'hésite, me mords la langue avant de lâcher : Comme ça on verra si Alyosha a raison à propos des bunkers. Je ne sais pas si on finira par en avoir un, ce que je sais c'est qu'on ne trouvera rien sans chercher.

J'esquisse un sourire —tu as raison de vouloir aller voir, ça vaut quand même le détour. Faut vraiment être timbré pour avoir fait un truc pareil ! Il parait que du ciel ça se voit de super loin. Je hoche la tête. —ok si tu veux. Mais je suis sur qu'il a raison ! C'est une ancienne base militaire de la seconde guerre ici, un camp d'entrainement pour les Marines. Il a été en activité jusqu'en 56 mais c'est bien conservé encore, en tout cas les grosses installations en béton armé. Tout le monde parle de bunkers mais y a aussi des canonnières, c'est la même chose mais en surface. Ils entreposaient les armes et il y avait des meurtrières pour les canons et les tirs des soldats. Et je sais que les anciens réservoirs à fuel et à eau sont parfois aussi habités. Je me tais brusquement, replongeant en silence dans mon café, un peu gêné d'avoir parlé autant. Le coté militaire, c'est un peu mon rayon, vous voyez ? Et je me passionne pour ça en plus, alors j'écoute, je retiens. Quand nous sommes allés à Hawaï, je voulais visiter des musées, mais Nina n'aime pas ça, les musées militaires et on a passé notre temps à faire de la plongée et à baiser sur le bateau. Une vague de nostalgie passe dans mon regard.

Je termine mon café et sur une excuse marmonnée à la va vite avec la promesse de faire vite, je m'éclipse aux toilettes, tant qu'on est ici, autant en profiter.

Son enthousiasme me fait sourire, il allume aussi des étincelles dans mon regard parce que parler de ce genre de choses, c'est parler de vivre autre part que dans le van. Ne vous méprenez pas, j'adore le van, je suis reconnaissante qu'on l'ait trouvé, seulement sur le long terme ce n'est pas viable... Pas en l'état en tout cas. Je sais pas à quoi ça ressemble une canonnière... C'est quoi le mieux selon toi ? Un bunker au moins on est plus... dissimulés. Ouais l'idée est plaisante, et pourtant dérangeante à la fois parce que ça implique le fait de ne pas vraiment avoir d'issue de secours en cas de problème, vous voyez ? Je suis assez ambivalente sur le sujet en fait. Si y a vraiment tout ce que tu dis, on doit pouvoir trouver quelque chose qui nous... Je m'apprête à dire qui nous plaît mais je me ravise pour reformuler : Quelque chose qui nous corresponde vraiment, tu vois ? Faut partir du principe qu'on peut tout aménager... Ok on n'a pas beaucoup de pognon mais on peut faire pas mal de choses avec de la récup', et puis on va bien finir par réussir à ramener plus d'argent. Je veux y croire en tout cas... J'ai dit que l'espoir, chez moi, était bien trop tenace ? Le jour où je vais réaliser que rien de tout ça n'arrivera, que notre vie c'est seulement ce qu'on a maintenant et rien de plus, ça va me faire tout drôle. Depuis le temps que les choses me pètent à la gueule je devrais avoir compris mais il semblerait que non finalement. Je m'entête, je dois aimer tomber de haut.

J'acquiesce dans un sourire quand il s'éclipse pour aller aux toilettes, je fais la même chose, généralement j'attends de bosser pour profiter d'avoir de vrais chiottes ! D'ailleurs je voudrais en profiter pour aller pisser moi aussi mais la place de Slavenko est soudainement prise par le type de tout à l'heure, et je cligne des yeux, incrédule face à son audace. Je suis incapable de l'envoyer chier sans paniquer alors je tente autrement. Excuse-moi mais... Enfin je suis pas toute seule. Il lève les mains, secoue la tête dans un large sourire. Je sais, je sais. Ecoute, j'voudrais juste ton numéro.

—Je dirais que c'est pareil, un Bunker se voit aussi, faut bien rentrer dedans et l'épaisseur des murs, c'est kif kif. Je hausse les épaules sans trop m'emballer, je ne sais pas si ces installations sont libres, et si elles le sont, n'est-ce pas parce qu'elles seraient difficiles à aménager ? Enfin, si on exclut le problème de l'eau courante, c'est pas plus compliqué qu'un van. —Si on trouve autre chose, on pourra vendre notre emplacement. Le van, la palissade...tu crois pas ?  Même si on en tire 100$, moi je prends, parce que c'est deux nuits à bosser pour Machete.

Quand je reviens des toilettes, de loin j'aperçois l'étudiant assis à ma place face à Nina. Il est penché vers elle par dessus le plateau de la table et semble la presser de quelque chose, regard brillant, sourire aux lèvres. J'avoue que je bloque quelques secondes avant d'avancer vers eux.  Je m'arrête et pose le bout des doigts sur le dessus de la table. J'ai une voix très posée en regardant seulement Nina, évitant de regarder où le gamin est assis. —on y va ? Si tu as fini ton café... ? Non, mais je vous jure que j'ai appris à réfléchir avant de m'emballer et de casser la gueule à quelqu'un, ça nous a coûté assez cher et en plus, ici c'est le taf de Nina. Jusque mercredi. J'aimerais bien éviter de me foutre à dos les lieux importants de la ville et Queenie est une institution.

Je hausse les épaules, il a probablement raison, il s'y connaît mieux que moi après tout. De toute façon ça n'a pas l'air de réellement l'emballer, sans que je sache dire pourquoi. Ou plutôt si, je sais pourquoi, parce qu'il n'a plus goût à rien, pas même à moi ou si peu, si rarement en tout cas. Oui, je pense qu'on pourrait vendre le tout... Enfin si t'en as envie. Il faut qu'il ait envie de trouver autre chose, de prendre le temps d'aménager autre chose... Moi j'aspire à plus que des murs autour de nous et un toit au-dessus de notre tête mais j'ai bien compris qu'il ne voyait pas l'intérêt d'avoir autre chose. Je ne sais pas si ça peut fonctionner s'il n'en a pas envie, je ne suis pas sûre d'avoir longtemps la motivation de construire quelque chose toute seule.

La conversation meurt de toute façon quand il part aux toilettes et que je me retrouve face à un type auquel je n'ai aucune envie de parler. Heureusement, Slavenko revient pour me sauver la mise et je lève le nez vers lui, entre soulagement et... Déception, ouais. Non, je n'ai pas envie qu'il fracasse ce type, mais je ne lis pas la moindre once de jalousie dans ses yeux. Il est juste... Las de tout, il faut croire. Et ça me fait de la peine, parce que si je ne suscite plus ces sentiments si forts chez lui, c'est que quelque chose est brisé, même entre nous. Je hoche la tête, ravale ma déception. On y va. J'ai un regard d'excuse pour le mec en face de moi qui a l'air dégoûté d'avoir encore une fois raté son coup, et j'abandonne mon café à moitié plein pour me lever et sortir avec le slave. Je ne cherche même pas à me justifier, il se comporte comme s'il ne se passait rien alors je décide de faire pareil.

Je ne lui demande pas de se justifier, je n'en ai pas besoin. Elle est avec moi et ça me suffit. Franchement, elle reste avec moi dans les conditions où nous sommes, c'est déjà un miracle non ? Et il ne se passe rien en fait. J'oublie l'étudiant dès qu'on sort du Queenie et qu'on regagne la voiture que je galère à redémarrer. Je tire une clope de mon paquet et je l'allume sur le chemin pour aller à Salvation Mountain. Je tends le paquet à Nina au cas où elle aurait aussi envie d'une clope. Mon regard se plisse de satisfaction, j'ai toujours aimé fumer en conduisant. J'ai laissé le carreau ouvert pour faire du vent.

C'est facile, il suffit de prendre la route principale. Je ralentis quand on passe devant un carré de béton sur lequel est écrit Welcome to Slab City. —tu vois ça ça devait être un poste de garde. C'est tout petit, mais le principe est le même. Alors comment dire...Salvation, on le voit de loin ! C'est un mont coloré au milieu de nulle part et qui vous saute brusquement aux yeux ! Ça vous prend direct avec God is Love et un crucifix qui domine le tout. Je ne roule pas vite pour que Nina ait le temps de voir, et aussi pour économiser le carburant.

Je m'installe côté passager, le laisse galérer à démarrer la voiture parce que c'est plus son domaine que le mien même si je saurais me débrouiller. Je prends le paquet tendu pour en tirer une cigarette et l'allumer, la nicotine ne me manque pas autant qu'à lui mais je me laisse facilement tenter si on me propose une clope. Sans doute parce que j'ai surtout envie d'autre chose, de kétamine par exemple... Heureusement qu'on manque de thunes finalement parce que je crois qu'autrement j'aurais déjà craqué. Seulement je ne peux pas penser qu'à moi dans ces circonstances, c'est pas juste mon fric, et je ne peux pas non plusme permettre d'être stone, pas avec Slavenko.

On approche rapidement de Salvation mountain et je fronce les sourcils, plissant les yeux. Un poste de garde, tu crois ? J'aurais jamais parié la-dessus mais j'ai de sacrés lacunes sur le sujet, tout ce qui est du domaine militaire m'échappe, un comble quand on sait avec qui je suis mariée... Mais ça a longtemps été un sujet assez tabou entre nous. À cause de lui, à cause de moi aussi. J'écarquille les yeux à la vue de la... Montagne ? Putain c'est... Coloré ! Trop, c'en est écoeurant, sérieusement ça me fait mal aux yeux ! On croirait une montagne de sucreries. J'ai l'impression d'avoir été propulsée brusquement dans le conte de Hansel et Gretel, encore que je suis certaine que la maison en pain d'épices était plus sobre que ça. Et y a des gens qui vivent ici ?

J'ai un léger rire. —ouai hein, c'est pour ça que je te demandais si tu voulais peindre nos palissades ! Tu vois le style des environs, j'avais peur de devoir trouver des lunettes de soleil. (enfin dans l'absolu, ça serait vraiment cool si je pouvais m'en dégoter, j'ai les yeux défoncés par le soleil sur le sable clair) Je hoche la tête à la question de Nina. —pas sur le site même, mais juste à coté ouai, y a une - ou des ? - communauté. C'est là qu'habite le mec qui m'a vendu la guirlande, une de ses femmes les fait à partir de récup' . Oui, oui, une de ses femmes, il en a plusieurs, j'ai pas demandé combien ! —après y a aussi une église et je crois que le tas, la montagne est aussi considérée comme une Eglise. Je suis pas très sur... Mais ça se visite. On y va ? Je suis jamais rentré dedans ! Je suis curieux de voir à quoi ça ressemble. —parait que c'est fait avec de la paille et de la peinture ! Dingue hein ? Je gare la bagnole au milieu de nulle part et on sort. C'est marrant, ici il y a quelques touristes avec des appareils photos- Pas beaucoup parce qu'on est en plein après-midi et que ça cogne dur - mais y en a ! On pourrait passer pour des touristes nous aussi si j'étais pas habillé aussi minable.

Je secoue vivement la tête. Ouais alors non, rassure-toi, c'est pas du tout ce que j'avais en tête en parlant de décorer le van ! Ou même les palissades ! Ajouter un peu de couleur, pourquoi pas, mais certainement pas autant ! Une de ses femmes ? Je répète en fronçant les sourcils. J'en ai p't'être entendu parler au dinner, enfin je sais pas si c'est lui ou si y en a plusieurs dans le coin mais je sais qu'y a au moins un gourou dans les parages. Je sais pas quel genre de secte il dirige mais... J'crois que c'est le seul gars de la secte. C'est typiquement le genre de truc qui me file la gerbe mais je me passe de commentaires sur le sujet. Je ne comprends pas comment on peut se laisser entraîner dans un truc pareil, sincèrement. Ah, on peut rentrer dedans ? C'est fou mais de loin j'avais l'impression que c'était juste un... Tas de couleurs, je ne pensais pas que ça se visitait, vraiment pas !

On gare donc la voiture et on sort pour s'approcher. Je remets mon chapeau que j'avais balancé sur la banquette, et mes lunettes de soleil parce que ça commence à cogner sévèrement. Je désigne un coin de peinture bleue et blanche sur laquelle ils ont dessiné des fleurs. C'est ça qui manque dans le coin, des fleurs... Tu veux que j'en peigne sur la palissade, mh ? Je plisse le nez, amusée, parce que je suis une bille en peinture comme en dessin, et je suis sûre que je pourrais rater même des fleurs ! Je grimace légèrement. T'as pas l'impression que la peinture a... Dégouliné ? Ou dégueulé même, on dirait que quelqu'un a gerbé des pots de peinture !

—Euh ouai ses femmes, il en a plusieurs, mais non, j'crois pas qu'il soit gourou, y s'prend pour un genre de ... de mormon ? 'fin je sais pas, un truc version ancien testament... Enfin, je sais pas, mais j'ai pas eu l'impression qu'il soit un gourou. Il a pas tenté de me convertir en tout cas, ha ha... Je dois pas être son type ! Je montre une des entrées où on peut aller —A priori le mec s'était fait une sorte de "niche" mais finalement il y a jamais habité, mais on peut visiter, et y a comme une sorte de musée. Tiens regarde. Je montre l'endroit et tout près il y a des tables avec plein de pots de peinture. Les gens en font don pour l'association qui s'occupe des lieux depuis la mort de son créateur.

Je marche vers l'entrée, baisse la tête pour aller voir, poussé par la curiosité. Je tourne la tête vers Nina en répondant —je crois que je peux me passer de fleurs peintes et dégoulinantes ! Je lève les yeux vers le plafond pour regarder la fresque. Je crois que je deviendrais fou à vivre au milieu d'un endroit si coloré moi qui aime le blanc, le gris, le noir. Pour le coup, je deviendrais dépressif, sinon c'est sympa à visiter. Vingt-cinq de sa vie à bâtir ça, cette drôle d'Ode à Dieu, c'est fou !

Un mormon ? Putain, y a vraiment que des gens bizarres ici. Ça veut donc dire qu'ils sont au moins deux ici à collectionner les femmes parce que je suis certaine d'avoir entendu parler d'une secte. J'écarquille les yeux, secoue la tête. Pas son type ? Impossible. Non mais tu t'es vu ? T'es beaucoup trop sexy... Je n'ai pas le droit de dire qu'il est beau, alors je le complimente de façon détournée. J'ai envie de renouer le contact, il s'est éloigné depuis qu'on a quitté le van et il me manque déjà terriblement... Je n'aime pas cette sensation, la distance qu'il met entre nous à l'extérieur, quand bien même il prétend que c'est pour me protéger. Alors je tends la main pour attraper ses doigts auxquels je noue chastement les miens. Je ne vais pas jusqu'à me coller à lui, mais j'ai besoin de le toucher, ne serait-ce qu'un peu.

Je le laisse m'entraîner à "l'intérieur", si on peut dire ça comme ça, et j'écarquille les yeux en découvrant le reste. C'est quand même incroyable... Il a fait ça tout seul ? Je n'ai entendu que des bribes d'histoires, les vieux du dinner ne racontent pas trop l'histoire de Salvation mountain parce qu'elle est trop connue de tous ceux qui vivent ici, il n'y a plus rien de nouveau à en dire. Je sais seulement que ça a pris des années à être construit, mais pour le reste je ne sais pas grand chose, moins que Slavenko il semblerait. Je me demande où il a trouvé tout le matériel... T'imagines le fric que ça a du coûter, toute cette peinture ? Oui c'est très pragmatique comme question, mais je trouve ça fou comme investissement, une telle œuvre d'art. Je serre un peu plus fort sa main dans la mienne. Bon, c'est clairement trop... Trop. Mais c'est dingue.

J'ai un petit rire quand elle répond à ma blague pourtant bien naze. —C'est surtout que je crois pas que ce soit biblique la bisexualité tu vois... Je frémis quand elle saisit ma main, la laisse s'y accrocher sans me détourner. On est assez loin du centre ville après tout, y a que des touristes ici, pas vrai ? —la peinture encore, j'imagine qu'il a reçu des dons après avoir commencé - en tout c'est ce que fait l'asso qui a repris le truc - mais j'me demande... Bordel où est-ce qu'il a eu la paille ? Regarde, y a que de la poussière ici ! Faut vraiment être motivé... Il a fait ça pendant vingt-cinq ans quand même le gars ! Et sous ce soleil. Je me penche pour souffler plus bas, histoire de pas être entendu des touristes —moi j'pense que c'était lui qui était dingue !

Il y a des Jesus loves u un peu partout, des god neverfails, on sort de la maison et on passe sous un porche fait avec un tronc d'arbre peint. Il y a une boite qui ressemble à une urne où est marqué god is love. Bizarrement, alors que Nina tient plus fermement ma main, je me sens poussé à aller mettre quelques pièces qui traînent dans ma poche, et pourtant Dieu sait (ha ha ) que je ne suis pas riche. Je le fais en silence et en évitant le regard de Nina - parce que j'ai un peu honte de ce mouvement de superstition qui me pousse à rechercher un peu de chance ou de bienveillance divine. —T'as pas trop chaud ? On fait le tour à pied pour voir l'autre coté ?

Je hausse les épaules, la bisexualité c'est peut-être pas biblique, n'empêche je suis prête à parier qu'ils sont nombreux les religieux à se laisser tenter ! Je regarde autour de nous, hausse les épaules. Je sais pas, peut-être des dons aussi ? Tu crois qu'il a fait tous les allers-retours pour ramener la paille ? Pas étonnant que ça lui ait pris 25 ans finalement. Moi ce qui me surprend c'est qu'il n'ait pas abandonné entre temps. C'est une attente terriblement longue pour voir son projet aboutir... Est-ce que je serais capable d'attendre 25 ans pour que mes projets se réalisent ? Je ne suis même pas sûre de pouvoir parler de projets. Des rêves utopiques, des fantasmes peut-être...

J'arque un sourcil, surprise de le voir mettre des sous dans l'urne. Déjà parce qu'on en manque, mais ensuite parce que je pensais franchement qu'avec les récents événements la religion avait cessé de compter pour lui. Je sais bien qu'on s'est mariés à l'église, mais c'était une autre époque, une autre vie. Si un peu, mais j'ai l'habitude. Puis j'ai mon chapeau. J'ai vraiment bien fait d'en prendre un avec des bords aussi larges, ça me protège plutôt bien du soleil et ça m'évitera l'insolation ! Je l'entraîne par la main pour qu'on ressorte et qu'on puisse faire le tour comme il l'a proposé. C'est quand même fou qu'un truc pareil ça attire pas plus de touristes. Ne serait-ce que des religieux !