Under a sky full of stars - Slavina

J’ai un vertige à ses paroles qui me tétanisent, me projettent à il y a treize jours au fond de cette pièce sans fenêtre où j’étais enfermé. La cave du Red Manor, j’ai pu le constater quand je suis sorti de là. Mon sang bat mes tempes douloureusement et je me fige pour enrayer la montée d’émotions délétères comme l’angoisse la peur, la honte, l’humiliation, toutes les frustrations de n’avoir su rien faire, d’avoir subi, d’avoir cédé, plié. Je ne crois pas que je me pardonnerais un jour et je comprends ce qu’elle ressent mais ses mots sont bien trop douloureux. Je ne peux même pas lui demander d’arrêter de parler ou de pleurer. Je suis pétri d’effroi. J’ai bien trop honte pour lui dire la vérité, que je n’ai jamais voulu non plus être à quelqu’un d’autre, que j’ai subi des choses équivalentes à elle, et que - si je me refuse à le penser aussi clairement, à l’admettre aussi clairement, à en parler ou même à l’évoquer - j’ai été violé (même le mot me fait peur)

Je n’ose même plus la toucher ou bouger, la gorge nouée, le visage empli de confusion et de honte. Je me sens brusquement trop nu, trop vulnérable, trop proche et l’envie de mourir monte dans le même temps. Je ferme les yeux brusquement, et convulsivement je serre Nina contre moi pour me raccrocher à elle, à la vie, espérant que ça passe, qu’on passe le cap, que la possibilité de se reconstruire ensemble - même si différemment - puisse réellement exister. Je ne veux pas que d’autres puissent décider ainsi de notre Destin, de notre devenir. Je parviens à répéter ce qu’elle dit dans un souffle “Je suis désolé”

Nina pleure toutes les larmes de son corps sans que je puisse faire autre chose que la serrer dans mes bras. Elle s’endort tandis que je me paye une crise d’angoisse monumentale, mais heureusement silencieuse. Je commence à avoir l’habitude et je parviens plus ou moins à maîtriser la panique, au moins pour respirer ! ça dure une bonne demi-heure, mais je finis par m’endormir, trempé de sueur, de ses larmes. J’ai chaud, je me sens aussi mal qu’elle mais la chaleur et la fatigue m’abrutissent suffisamment pour que je sombre. Mes muscles tressaillent dans mon sommeil, au rythme de souvenirs qui font office de cauchemars. Des soupirs m’agitent, des spasmes, parfois des sanglots muets, Je ne me réveille pas quand Nina se lève, je suis déjà seul dans mes rêves - ou non pas seul des monstres hantent mes pensées mais je suis sans Nina. Je roule sur le dos, un bras replié en geste pitoyable de protection, tandis que mon souffle est lourd, englué de cauchemars. Je me réveille un peu plus tard, peut-être est-ce un son, ou à l’inverse le silence qui m’affole mais je me redresse brusquement avec le coeur battant la chamade. Je vois tout de suite la silhouette de Nina devant moi, qui se découpe sur la lumière de l’aube. Je m’assieds et frotte ma tête aux cheveux trempés de sueur. Je grogne, ayant du mal à émerger et j’enfile mes godasses

Je me lève et avance vers la porte, avant de poser une main sur l’épaule de Nina. Je grogne d’yn ton endormi et vaguement grognon “excuse-moi, faut que j’aille pisser.” Je descend et m’éloigne.L’air frais sur ma peau me fait du bien. C’est l’heure que je préfère ici. Normalement, c’est l’heure à laquelle je rentre et que je vais me laver, c’est hyper calme. Les fêtard de la nuit dorment, les gens “de la journée” sont encore couchés. C’est mon heure à moi. En revenant, je prends l’eau pour boire avant de tendre la bouteille à Nina “Tu en veux ?” J’esquisse un sourire piteux à ses yeux rouges et sa mine chiffonnée “t’as pas dormi beaucoup” Je me sais d’un piètre secours malheureusement, comment l’aider ?

“oh oui, ça c’est une bonne idée. J’y vais toujours en rentrant…” En rentrant de mon drôle de boulot, parce que j’ai besoin de nettoyer la sueur, la poussière, la sensation de dégoût qui me colle à la peau avant de revenir près de Nina - juste une heure parce qu’elle partait ensuite au Queenie quand elle bossait de jour. Maintenant ça va être différent. On ira peut-être se laver ensemble avant de dormir, je ne sais pas, ça dépendra si elle dort ou pas quand je rentre. Je me penche maladroitement, avec une hésitation trop marquée avant de l’embrasser rapidement, comme si j’étais coupable de quelque chose. Je m’écarte pour prendre un tee-shirt que j’enfile et une serviette, et bien sur le glock. Je ne m’en sépare que lorsque je ne suis pas avec Nina, parce qu’alors, je lui laisse. J’emporte aussi la bouteille d’eau et nous nous dirigeons naturellement vers le canal tout proche. “j’aime bien à cette heure ci, c’est vraiment calme. Parfois, je vois même des bestioles qui viennent boire, mais elles s’enfuient toujours quand j’arrive.” La plupart du temps ce sont des chiens errants,ou des renards des sables mais une fois j’ai vu un coyote tout seul.

Je vérifie qu’il n’y a pas de bestioles, notamment des huit-pattes qui aiment aussi venir boire - et je me pose sur le béton comme à chaque fois. J’enlève mes chaussures. Je retire aussi mon tee-shirt, avec moins d’hésitation de la veille maintenant que Nina a vu, touché, ressenti, je n’ai plus grand chose à cacher de mes visibles stigmates. Le glock se retrouve à sa place, enroulé du tissu. Je me jette à l’eau avec la grâce d’un hippopotame nain, éclaboussant autour de moi. C’est frais et ça fait du bien, un sourire spontané de bien-être naît sur mon visage en me tournant vers Nina.”Ha, oui ! elle est drôlement bonne ! tu viens ou c’est déjà trop froid pour toi ?” Je la taquine, faisant mine de l’arroser sans que mes éclaboussures l’atteignent, trop courtes.

J’ai un sourire narquois en répondant “des araignées géantes à quatre pattes qu’on appelle généralement chiens, renards ou coyote… T’en fait pas, ils s’enfuient au bruit.” Je ne lui parle pas des araignées que j’ai pu voir, mais je la devance, pour vérifier. On est sauf aujourd’hui. Le point d’eau est pour les animaux comme pour les hommes très important et les attirent aux heures calmes de la nuit.

Je plonge la tête sous l’eau et la remonte, avant d'acquiescer “bien sur !” Je m’approche pour l’attraper, heureux de d’effacer les cauchemars de la nuit par un jeu amoureux et tendre, par la complicité qui renaît ces derniers jours : elle n’a pas été brisée, nous avions juste besoin de soigner un peu nos blessures. Je tends les bras vers elle et je l’attrape, la soulevant d’abord hors de l’eau avant de l’y plonger avec douceur en amortissant la chute de son corps. J’ai un rire amusé à son frisson contre moi. J’avais déjà toujours trop à NY, alors ici, je souffre perpétuellement de la chaleur et la baignade du matin est sans doute le seul moment de la journée où la température est correcte pour moi !

Cette fois c’est très naturellement que ma bouche trouve la sienne, mon corps pressé au sien, ma langue cherchant d’instinct sa langue pour un baiser voluptueux et doux. Je bécote sa bouche encore un peu dans un soupir avec de la faire tourner dans mes bras, avançant vers le milieu du canal jusqu’à être sur le bout des pieds, de l’eau jusqu’au cou et Nina accrochée à moi comme à une bouée. Je gronde, le regard rieur avec cette envie de légèreté pour chasser les idées noires de la nuit “je pourrais te couler”

Mes gestes sont plus francs dans ces instants de confiance et de jeux presque enfantins. Elle a raison, c’est reposant, apaisant de pouvoir se toucher et s’approcher sans se crisper d’anticipation ou d’appréhension. C’est la crainte anticipée qui est le pire, la peur de la douleur, de la blessure, qui vous paralyse et vous empêche d’avancer. Mais ce matin, dans l’intimité tranquille de l’aube, les ombres de la nuit sont chassées par le sourire de Nina, par ses moues enfantines, ses gestes amoureux. Je souris volontiers, acceptant de relâcher ma parano constante.

“Oui tu es une princeza mais moi je suis un Viking, et les viking coulent tout le monde…” J’ai un regard espiègle, mais elle s’échappe pour plonger sa tête dans l’eau et je la tiens d’instinct aux cuisses pour maintenir sa prise autour de moi et l’aider à se raccrocher à moi. “Hé tu triches, tu te coules toute seule !” Elle n’entend même pas ma phrase puisqu’elle est sous l’eau ! Je secoue la tête avec une moue de pure injustice avant qu’elle n’émerge, adorable avec l’eau qui ruisselle sur sa peau trop hâlée à laquelle je commence tout juste à m’habituer.

Je la fais tourbillonner, encore, avant de venir l’embrasser, juste histoire de ne pas céder sans la seconde réglementaire nécessaire à sauver l’honneur ! Elle me mène toujours autant par le bout du nez ! Je la sens qui teste ses limites, ses facultés à me séduire, et elles sont intactes, je peux bien lui assurer ! C’est un nouveau baiser que je viens cueillir sur sa bouche rosée et mouillée. Je me recule et je fronce les sourcils. “En fait c'est plutôt à toi de m’embrasser pour me soudoyer, pas l’inverse !”

J’acquiesce lentement de la tête, déjà troublé par ce jeu qui autrefois était le prémisse à d’autres voluptés qui aujourd’hui me font peur et m’attirent tout à la fois. “Oui c’est certain ! Les viking sont des pilleurs, c’est eux qui prennent les rançons des princeza.” Comme elle l’a si bien noté, je reste où j’ai pied, parce que sinon, elle me coulerait aisément, elle est bien meilleure nageuse que moi ! Mais je le sais, et je suis prudent parce que je la sais fourbe, opportuniste quand on jour ! Oh non, je ne lui fais pas du tout confiance pour ne pas me couler ! J’ai un hoquet silencieux de surprise quand elle pose sa bouche dans mon cou. Mon coeur fait un bond brusque à la si légère morsure trop érotique dans mon esprit. Un gémissement meurt sur ses lèvres alors que nos langues se cherchent sensuellement.

Mes mains se sont crispées sur ses cuisses, mon bassin encastré au sien prouve bien que je ne suis pas insensible, ni si détaché que je le voudrais sans doute. Depuis hier, elle fait renaître sans cesse le désir qui me tourmente doublement. Ses seins sont hérissés contre mon torse et j’apprécie furieusement le contact de sa chair contre moi, je geins, trop surpris encore par la brusque montée du désir, que je voudrais réfréner. Je m’écarte pour reprendre mon souffle, mes esprits aussi. Je déglutis et soupire avant d’enlacer Nina et de poser ma tête contre la sienne, mon menton sur son épaule. “Tu es ma princeza…”

J’ai ce besoin qui revient de la revendiquer, tâtonnant pour parvenir à renouer ce lien dans sa totalité. J’aspire à sa peau, à ses caresses, mais ici dehors nous sommes bien trop vulnérables. Sous l’eau, ma main glisse de sa cuisse à ses fesses que je viens caresser possessivement. Je bouge d’un pas pour faire émerger ses seins, pencher ma tête et embrasser le renflement mouillé et doux. Je ne peux pas m’empêcher de surveiller les alentours, à l’affut comme un loup qui a peur des chasseurs. ma bouche titille la pointe rosée et durcie. Je me surprends à souffler “On devrait rentrer si tu veux...est-ce que tu veux ?”

Je couine de joie quand elle accepte et le liquide froid de la peur se mêle à celui brûlant du désir dans mes veines. Heureusement, sur un dernier baiser, elle s’écarte et je reste quelques secondes dans l’eau, plongeant ma tête sous la surface; avant d’oser sortir et émerger. Je remets mon tee-shirt et enfile rapidement mes chaussures avant de saisir le glock et ma serviette. Je dégouline de flotte en marchant, mais ce n’est pas important, je me sècherais au camp. D’ailleurs quand on y arrive, je suis à moitié sec en fait, le soleil s’est levé, et si la chaleur est encore raisonnable, il doit déjà faire 28 degrés au moins. Je ne reviens pas vers Nina quand on arrive, j’ai besoin de souffler deux minutes, et je me frictionne la tête en la laissant occuper le van. On a la journée pour nous et je sais déjà qu’elle sera ponctuée de contact, de sieste, de tentatives hésitantes, et émotionnellement fortes. “Je vais essayer de faire du café avec ce foutu réchaud, qu’est-ce que tu en dis ?”

Je ne la fuis pas du tout, n’évite pas son contact, et même je souris, mais c’est clair que j’ai juste besoin de reprendre un peu de contrôle. Je m’affaire à tenter de préparer un petit déjeuner. Faire du café n’est pas si simple. D'abord faire chauffer de l’eau sur le réchaud, et puis élaborer un système de filtre avec une bouteille en plastique coupée en deux et un morceau de tissu. Assis en tailleur devant le réchaud, sur un plaid, je m’applique pour qu’il n’y ai pas de grains qui s’échappent dans l’eau. Je réussis plutôt bien. “Est-ce qu’il reste des céréales ?” Je n’ai pas très faim en fait, parce qu’on a mangé à quatre heures du mat’ et qu’il est quoi...huit heures ? Je peux largement tenir mais Nina mange beaucoup moins de moi, et plus souvent en petites quantités, c’est pourquoi je lui propose.

Je ne sens pas sa déception, sans doute parce que j’ai besoin viscéralement de cette pause, et que je me concentre donc sur le petit déjeuner. Je suis toujours bizarrement habillé, caleçon mouillé, tee-shirt enfilé à la hâte et ranger dénouée. Je penche la tête vers Nina quand elle s’installe près de moi. “ça va je crois. J’ai peur que ce soit un “debout-les-morts” ou au contraire qu’il soit juste de la flotte, mais on verra bien. J’ai mis trois cuillères de café pour la demi-bouteille d’eau. Tu crois que c’est trop ?” Je souris à Nina et j’attends que l’eau soit finie d’être passée pour retirer prudemment le filtre et le poser sur le coté. Je verse du café chaud dans les bols. Il a l’air bien, pas trop clair en tout cas.

Je prends le temps de détailler Nina. Elle a une robe orange, je crois que c’est la première fois que je lui vois cette couleur. “Elle avait une garde-robe drôlement colorée la mexicaine. J’aime bien, ça te va bien aussi cette robe là.” Pour ma part, j’ai pris des polos et des tee-shirts, mais j’ai choisi parmi les plus sobres. J’ai dédaigné les chemisettes et les chemises ainsi que les débardeurs sans manches. J’ai ajouté deux pantalons et deux shorts que je n’ai pas encore mis. J’aime mieux mon vieux treillis et en général, je le lave pour le faire sécher et le remettre. Je me penche vers Nina pour quémander ou voler un baiser furtif avant de m’emparer de ma tasse de café. “Je te préviens que j’ai pas l’intention de bosser avant ce soir !” Je suis trop crevé. j’ai du dormir une heure et demi d’un sommeil agité, c’est définitivement trop peu. Et puis j’ai l’intention aussi qu’on reprenne nos câlins, mais dans la caravane. Je me dandine un peu avant de demander. “Qu’est-ce que tu veux faire ensuite ? On va … dans la caravane ?” Ce n’est pas très subtil mais je ne cherche pas non plus à l’être, je ne peux pas non plus être plus explicite étant donné que je ne sais pas bien où on va. Mais on peut surement essayer et progresser. Enfin moi en tout cas, ma marge de progression est encore large.

Mon visage anxieux s’éclaire à son acceptation, fusse sous le prétexte que le soleil va taper trop fort. Avec le voile d’ombrage, on pourrait s’affaler sur les chaises dehors, ou on pourrait même aller aux réservoirs chercher l’ombre et la fraîcheur des bassins. Il y a plus d’arbres là bas qu’au canal, c’est une évidence. Du coup qu’elle préfère rester ici avec moi, c’est plutôt bon signe pour moi. et si je tergiverse, c’est justement parce qu’on est au bord de sauter le pas. “Ah, je mettrais deux cuillère et demi la prochaine fois, faut que je retienne ça.” Je ne veux pas non plus manger et je laisse le paquet de céréales de côté moi aussi. Je sirote mon café lentement, comme elle, parce que c’est très chaud en fait !

“Moi j’aime bien que tu mettes des trucs colorés. Ca va bien avec l’endroit. Tiens tu es passée vers Salvation Mountain ? Je te jure que j’ai regretté de ne pas avoir de lunettes de soleil ! J’ai failli rester aveugle. Tu savais que le mec qui a fait ça est mort ici après 25 ans d’avoir faut ça ? Putain 25 ans ! A faire de la peinture …” Je secoue la tête, on est vraiment chez un ramassis de timbrés, ce qui en dit long sur notre dégringolade. Je chasse la pensée importune et je termine mon café d’une traite. Je rince mon bol, range les céréales et le réchaud, pendant que Nina termine de boire son café. Je rentre dans la caravane et j’en fait le tour pour tuer les insectes qui ont osé s’aventurer dedans. Il faut toujours faire attention, il y a des saloperies de sauterelles qui bouffent les fringues ! Sans parler des araignées, mais je n’en trouve pas, dieu merci. De toute façon, si j’en trouvais je ne le dirais pas Nina, je me contenterais d’évacuer discrètement le cadavre de la coupable. Je profite d’être dans le van pour ranger le glock sous les coussins, puis j’enlève mes rangers et je change de sous-vêtement. J’hésite à changer de tee-shirt ou rester torse nu. Je dois dire que je ressens une fébrilité étrange, que je ne peux même pas qualifier d’adolescente parce que mon anxiété ne vient pas d’une peur de mal faire. Je décide de garder mon tee-shirt et je vais m’allonger dans les couettes qui nous servent de lit. Je me sens complètement ridicule.

“On ira si tu veux mais faut pas trop s’approcher à moins de risquer de se faire alpaguer par des prêcheurs.” La seule fois où j’y suis allé, c’est hier soir pour la guirlande, parce que le Mormon est là-bas comme la plupart des communautés religieuses, ou des ermites qui se croient appelés par Dieu. “Oui, avec tes lunettes, j’ai été aveuglé deux heures au moins après !” Je plaisante, parce que déjà j’y suis allé de nuit, alors… “C’est le vieux aux mégots qui m’a emmené là-bas, ça m’étonne pas qu’ils te racontent tous l’histoire.”

Je frémis d’avance quand elle s’assied, mon coeur battant la chamade. Tout à mon angoisse, je suis loin de penser que je m’emballe tout seul ! Je roule sur le côté, me cale avec mon coude pour la regarder, le visage levé vers elle. “Oui, mais on trouvera quand même un matelas. On a la place et je vais me dépêcher de finir la clôture pour retourner bosser. Avec la bouffe du Queenie et ton salaire, on va vite pouvoir en acheter un. T’en fais pas.” Je me risque à avancer pour venir poser ma tête sur ses genoux, et je roule à nouveau sur le dos cette fois, pour pouvoir chercher son regard. Un soupir entre bien-être et tension soulève mon torse. J’esquisse un sourire confiant et timide à la fois. “Est-ce que ça te plait le van ?” C’est mieux que la tente, mais … Les mains croisées sur le ventre, je repense à ce qu’elle m’a dit . “Tu préfèrerais vraiment être en ville ?” Je ne sais pas si financièrement ce serait possible. Est-ce qu’il faudrait forcément des papiers ? Il doit bien y avoir des locations au black avec des proprio pas regardant. Mais est-ce que je préfèrerais être en ville ? Maintenant qu’on a le van, je ne suis pas sur. J’aime être à l’écart, isolé. Je me sens bizarrement plus en sécurité comme ça. Oui c’est une vie plus dure, sans aucun doute mais j’estime plus sûre. Ce n’est pas la notion de liberté qui m’importe - contrairement à beaucoup des personnes habitants ici - mais la notion d’anonymat et de sécurité qu’elle procure.

Je ne suis pas sûr d’être satisfait par sa réponse. Je ne veux pas qu’elle se contente juste de … , encore moins pour moi. Je ne m’en estime pas digne d’une part, d’autre part, j’aimerais quand même qu’on s’en sorte. J’ai réfléchis à ce qu’elle m’a dit avant hier - je crois que c’était avant hier - et au fait qu’elle veut avoir une nouvelle perspective d’avenir, à défaut de nouveaux rêves. Moi, j’avais fait le deuil de tout, avec cette facilité déconcertante ancrée dans ma personnalité d’enfant de la guerre, je le sais bien. Mais Nina a cette faculté à ranimer le désir, l’envie, elle a toujours été le moteur de notre couple, c’est une évidence - quand bien même ce doit être pesant pour elle, j’en ai conscience. Mais j’ai à coeur que ce ne soit pas vain.

“Tu crois ? Si vraiment, ça ne doit pas être si impayable que ça. Tu as un boulot fixe, et je pourrais en trouver un aussi au besoin, je sais pas où mais…” Je me mords la lèvre inférieure. Qu’est-ce que je pourrais bien faire comme boulot ? Je pourrais cumuler les quelques missions de Machete avec être ferrailleur ou déménageur, je crains que mes compétences n’aillent pas plus loin. “Je pourrais surement trouver.” J’ai une moue dubitative “Je dis pas tout de suite, mais dans quelques temps, si tu veux toujours quitter le campement…J’aime assez bien ici, mais ça va être difficile pour l’eau courante et les panneaux solaires vont aussi coûter cher, c’est le seul moyen d’avoir de l’électricité. Ca ou un vélo où je pédalerais pensant que tu te sers de l’électricité, ha ha…” J’ai un sourire d’auto-dérision à cette hypothèse mais après tout ce serait une solution !

Plus sérieusement, tendant ma joue à ses caresses, frottant ma peau à la sienne j’explique mon ressenti “mais j’avoue que je préfère le van, au moins c’est...c’est pas une location, tu vois ce que je veux dire ? Ok, c’est miteux, et ça n’a rien à voir avec…” j’interromps ma phrase avant de dire le chalet, et je la reprends plus loin “mais c’est quand même un coin plus...à nous. Surtout quand j’aurais mis les palissades et les chiottes.”

“Bah si il faut…” L’argent ne tombe pas du ciel, et s’il en faut plus pour s’installer en ville pour qu’elle se sente mieux, je trouverais. L’oisiveté m’est beaucoup plus pénible que bosser sans cesse. Ici la chaleur m’accable, et j’ai quand même un peu d’occupation la journée, mais c’est tellement différent du Bronx ! Le rythme de vie mexicain comme dit Nina, indispensable à cause de la chaleur, mais souvent ça me rend fou parce que ça me laisse beaucoup trop de temps à cogiter. (on sait tous que je ne suis pas fait pour ça, et qu’en général de mes longues réflexions ne ressort que de la merde !)

Je soupire entre contrariété et bien-être. Contrariété de devoir nous terrer ici : pour combien de temps ? Dans combien de temps nous croira-t-il mort ou sera-t-il passé à une autre victime ? Dans combien de temps pourrons-nous risquer de sortir sans avoir peur de croiser un de ses sbires ? Le saura-t-on jamais ? La peur est le plus puissant frein à notre reconstruction, j’en suis conscient sans pouvoir pour le moment être capable de lutter d’autant que j’ai bien compris qu’il était tenace, rancunier, déterminé et qu’il avait les moyens de ses ambitions. Bien-être de sentir sa main dans mes cheveux, sa paume contre ma joue rasée de la veille.

En levant les yeux, je lis la tristesse sur son visage. Sans doute pense-t-elle comme moi à ce qu’on a perdu. On a payé le prix fort pour se construire une vie dans le Bronx, et à NY, avec le chalet et on a payé le prix fort un instant de folie de ma part quand j’ai dérouillé Logan. Qu’est-ce qui m’a pris ce jour là ? Je m’en voudrais toute ma vie parce que ce geste d’arrogance a éteint la lumière dans les yeux de Nina. Ce que je n’ose pas dire mais à quoi je pense beaucoup, c’est ce rêve de bébé qui s’est envolé. Est-ce qu’on peut vraiment élever un bébé dans ces conditions ? Et surtout, j’ai peur d’une grossesse qui se passerait mal dans ces lieux où l’hygiène laisse clairement à désirer. Il m’a fallu des années pour être prêt, et quand je l’étais, le rêve c’est éteint. Quelle ironie !

Je me décale pour obéir à Nina et je la prends dans mes bra,s ou plutôt elle s’y glisse. Mon regard se pose sur elle, aussi triste que le sien je crois et j’esquisse un sourire qui n’a rien d’heureux, mais plutôt mélancolique. “Non, c’est pas si mal. Tu es là.” C’est tout ce qui compte. La nuit je me réveille encore en nage en ressentant ce pur moment de rage et de terreur quand nous avons été séparés et jetés dans des fourgonnettes différentes. C’est ma peur viscérale, ne pas la retrouver après le travail, ne pas savoir où elle est. Je pose ma tête contre son giron, dans un geste de réconfort.

“humm c’est sur qu’on a une marge de progression pour améliorer ça.” L’électricité, on en aura un jour, si on reste assez longtemps, si on travaille assez dur. Est-ce que ça se vole des panneaux solaires ? Je regrette d’être aussi clinche en bricolage. Je me rends bien compte que mes compétences limitées sont assez nulles dans le coin, il va bien falloir que j’apprenne. Commençons par le commencement, ce sera déjà bien. Déjà la possession du van et des quelques objets volés est un bon dans notre installation, avoir un réchaud, de quoi cuisiner, une voiture aussi… C’était inimaginable il y a une semaine. Aujourd’hui je n’ai plus que 500m à faire pour aller remplir les jerricans d’eau, c’est à la limite du luxe !

Aux caresses de Nina, je regrette d’avoir gardé mon tee-shirt dans cet accès de pudeur excessive. D’abord parce que j’ai trop chaud même dans le van, ensuite parce que j’aurais voulu sentir le contact de sa peau contre mes épaules. Je suis en train de me demander si je vais oser l’enlever, quand elle me pose cette drôle de question qui me laisse muet un instant. Oh, ce n’est pas que je n’y ai pas pensé seulement…

Alors que j’étais détendu, la tension revient brusquement avec l’inquiétude, et ce sentiment de culpabilité mêlée d’angoisse qui fait mon quotidien. Je me dégage des bras de Nina pour me redresser sur un coude et la regarder. “Pourquoi ils nous aideraient, j’ai fait une mission pour eux, un deal. J’ai été payé pour ça, et après leur psy m’a déclaré inapte. Je suis pas dans leur équipe… Et puis, pose toi la question comment le Red Manor, une maison close hardcore en pleine grande ville peut exister ? Parce qu’elle est fréquentée par des politiques et des flics… des gros pontes. Tu crois qu’ils prendraient un risque pour moi ? Au mieux ils se débarrasseront d’un problème gênant si on fait trop de bruit.” Je ne sais pas si mon analyse est juste, en tout cas je ne connais Camenko que depuis deux mois, et je n’ai pas assez confiance en lui pour nous exposer. Je n’oublie pas qu’il a participé lui aussi à l’exécution de mon oncle (qui l’a élevé) et à l’arrestation de notre père. Aucun Drazavic n’est digne de confiance !