Under a sky full of stars - Slavina

À sa réaction lorsqu'il ouvre la boîte, je comprends immédiatement qu’il ne se souvient pas. J’en suis d’une certaine façon soulagée, parce que je craignais de raviver de douloureux souvenirs, mais malgré tout déçue parce que mon achat perd ainsi beaucoup de sa symbolique. Oui, c’est ça, un piège à rêves, un attrape-rêves, … L’objet possède sans doute encore bien d’autres noms que j’ignore, mais globalement on comprend malgré tout à quoi ça sert. Moi non plus, je ne suis pas convaincue qu’un objet décoratif suffise à chasser nos mauvais rêves, bien au contraire… Mais encore une fois c’est le symbole, le geste qui m’importe, l’intention aussi. En tout cas il a l’air de lui plaire alors j’imagine que c’est toujours mieux que rien, même si je suis un peu déçue de ne pas avoir suscité la réaction escomptée. Je suis décidément toujours trop naïve, quand on sait ce que j’ai vécu c’est quand même un comble que la naïveté persiste chez moi !

J’aimerais bien qu’on l’accroche oui, enfin si tu veux bien… Dans tous les cas, c’est une façon comme une autre de décorer et de personnaliser le Chalet. Il paraît que ça chasse les cauchemars, mais aussi que ça retient les rêves pour… Pour qu’on s’en souvienne en se réveillant. J’ai eu droit, bien-sûr, à toutes les explications folkloriques de cet ouvrage prétendument magique. Il faut dire qu’elle le vendait un peu cher, il fallait bien qu'elle le justifie… Et y a une légende indienne qui explique son invention autour d’une histoire d’araignées, figure-toi. Je me souviens plus très bien de l’histoire en question mais en gros les cordes au centre représentent une toile d’araignée. J’ai trouvé ça assez… ironique. Dans l’histoire, l’araignée protège un petit garçon je crois, bref elle a le beau rôle… C’est complètement à l’opposé des rôles que je peux prêter à ces bestioles !

Je fronce le nez en rougissant presque lorsqu’il parle des rêves dont il voudrait se souvenir. Je sais très bien que ses nuits sont loin d’être peuplées d’images érotiques, je ne suis pas complètement dupe, et surtout je sais aussi que nos câlineries de tout à l’heure ne sont pas le signe que nous sommes guéris, l’un comme l’autre. Je ne sais pas si on retrouvera, un jour, ce lien qui nous unissait pourtant depuis les premiers instants, mais je l’espère en tout cas… J’essaie de me convaincre qu’on a surmonté trop d’épreuves pour ne pas se remettre de celle-ci, même si elle est sans aucun doute la plus douloureuse que nous ayons eu à traverser ensemble. Je le suis du regard tandis qu’il accroche l’attrape-rêves, et j’ai cet espoir ridicule et finalement très enfantin que ça nous aidera, peut-être, à mieux dormir. Tu sais que je crois que les araignées d’ici sont trop lourdes pour tenir sur un attrape-rêves… Elles doivent peser quoi… Dix kilos au moins ! Mais non, j’exagère pas. Pas du tout. Je souris en hochant la tête, moi aussi je trouve que ça rend bien, c’est joli et soudain notre coin “lit” est plus chaleureux. C’est moins confortable qu’un matelas mais les couvertures et les oreillers donnent un côté nid qui me fait sourire et me rassure. J’ai envie d’aménager cet endroit, le van n’est pas très grand, ça ne devrait pas être long… Mais j’ai vraiment envie d’en faire quelque chose qui nous ressemble, un lieu dans lequel on se sente bien.

Je serre brièvement ses mains dans les miennes avant de hocher la tête en me levant. Allons-y, t’es plein de poussière en plus. J’ai déjà le bas de mon maillot de bain sous la robe, et je n’ai qu’à emporter ma serviette de bain et remettre mes chaussures pour être prête. Je n’ai même pas ôté mon chapeau ! On se dirige ensemble vers le canal, mais à cette heure le coin le plus proche du van est déjà pris d’assaut par un couple et on doit s’éloigner un peu pour trouver un endroit tranquille où se baigner tous les deux. Je laisse Slavenko poser nos affaires, dissimuler le flingue comme il le fait à chaque fois, et j’enlève mes sandales pendant ce temps, ainsi que ma robe, tout en fronçant les sourcils. Le soleil cogne encore fort à cette heure, j’espère que je ne vais pas cramer complètement… Je me tourne vers Slavenko. J’devrais garder le chapeau pour me baigner, non ?

C’est étrange mais moi aussi j’ai un drôle de sentiment, entre tristesse et mélancolie, quand il parle d’adopter une araignée. Je pense à cette famille qu’on était en train de se construire doucement, à Tigar et à Buba qui me manquent douloureusement parce que personnellement j’ai toujours été bien plus proche des animaux que des êtres-humains, et à ce bébé qu’on aurait fini par avoir ensemble… Il avait l’air prêt cette fois, vraiment prêt. Je n’étais pas pressée, j’attendais seulement qu’il se réveille un matin en me disant que c’était le moment, qu’on pouvait essayer. Dans mes fantasmes les plus ridicules j’imaginais presque ça comme une demande en mariage, il m’aurait offert des fleurs, préparé un petit-déjeuner au lit, acheté un bijou ou que sais-je encore et il m’aurait dit qu’il voulait ce bébé maintenant. Aujourd’hui la seule chose qu’on peut espérer avoir dans nos vies, c’est une “toute petite mini araignée”. J’ai l’impression d’être un monstre d’égoïsme mais je pleure autant nos amis disparus que les rêves qu’on avait.

Une fois en bas de maillot, je peux me laisser glisser dans l’eau. Je n’ai même pas besoin de prendre mon temps, à cette heure l’eau est chaude, rafraîchissante par rapport à l’extérieur mais trop chaude malgré tout, et je m’immerge d’un seul coup, jusqu’aux épaules. J’ai pas besoin de stratagèmes, tu me coules jamais. Je fais remarquer dans un sourire en me tournant vers lui pour l’observer. Comme il fume, j’approche du bord, mouille le béton brûlant avant d’y poser mes avant-bras, mon menton sur mes mains, le nez levé vers lui. J’ai laissé mes lunettes de soleil dans le van, et je laisse mon regard courir sur lui, effleurer chaque cicatrice qui marbre encore sa peau. Dieu que j’aimerais pouvoir les faire disparaître. Je tends la main pour caresser sa cheville qui trempe dans l’eau, en quête de câlins à présent que le contact entre nous est rétabli. T’es beau… Ca te va bien d’être bronzé, tu sais ? Le soleil lui donne bonne mine, il éclaircit ses cheveux, hâle son visage que je prends plaisir à redécouvrir maintenant que j’ai à nouveau le droit de le regarder. J’ai le coeur qui s’emballe rien qu’à poser les yeux sur lui et finalement je me décale pour me glisser entre ses jambes, l’incitant à les écarter pour me faire de la place, et je pose ma joue contre son pantalon.

Je fronce les sourcils, sans insister mais sans intention d’arrêter malgré tout. Je ne vois pas pourquoi il m’interdirait de le complimenter. Je le trouve beau, je l’ai toujours trouvé beau, sexy, attirant et tant d’adjectifs encore qu’il ne m’autorise jamais à prononcer. Les marques sur sa peau me peinent, mais elles ne le rendent pas moins beau pour autant. Il n’a pas cessé de me dire que j’étais belle, même lorsqu’il m’a récupérer après mon premier kidnapping, couverte de bleus de la tête aux pieds, le ventre barré d’un pansement qui dissimulait la cicatrice de l’opération. J’étais blessée, pâle, amaigrie, marbrée d’ecchymoses violacées à faire peur et pourtant il voulait toujours de moi malgré tout. Il m’a toujours plu, objectivement et sincèrement, mais je crois que c’est bien pire depuis que je suis amoureuse de lui, parce que les sentiments me rendent à présent bien moins objective et je suis incapable de poser les yeux sur lui sans être prise d’une bouffée d’émotion trop intense pour mon bien.

Mon regard s’illumine en croisant le sien et je réponds à son baiser avec langueur, mon rythme cardiaque s’emballant. Je suis encore émerveillée de ressentir des émotions positives, d’être de nouveau capable d’être bien, pas tout à fait sereine mais apaisée malgré tout, heureuse d’être avec lui. S’il n’était pas à mes côtés, je serais sans doute à deux doigts de clamser d’une overdose, et encore ça fait deux semaines… Non à mon avis j’aurais déjà clamsé depuis un moment. Il ne se rend pas compte je crois comme sa simple présence m’est nécessaire, vitale. Je ne remarque pas son trouble et je souris quand il s’écarte de moi. Tu me rejoins ? Que j’essaie encore de te convaincre de ne pas me couler… J’ai envie de sa peau contre la mienne, et de profiter un peu de nos derniers instants d’intimité avant qu’on n’aille s’aventurer du côté du Boyuyu. Je suis un peu anxieuse à l’idée de me mêler au monde, même avec lui à mes côtés.

Un sourire se dessine sur mes lèvres parce qu’il veut bien me rejoindre dans l’eau et que j’ai hâte d’avoir de nouveau droit à ses bras. Le fait de m'être laissée aller tout à l'heure m’a fait beaucoup de bien, parce que c’est comme la confirmation que je ne risque rien avec lui, qu’il ne me veut pas de mal. Je ne peux pas dire que j’en doutais réellement, j'ai toujours eu confiance en lui, mais mes croyances même les plus profondes étaient mises à mal par les angoisses et les blessures trop tenaces. Je culpabilise beaucoup à ce sujet pourtant je sais que ce n’est pas réellement de lui que j’avais peur, ou que j’ai encore peur parfois. J’ai peur de moi, je crois, des réactions de mon corps, de ressentir la douleur à nouveau.

Il se laisse glisser dans l’eau et je le rejoins en souriant, enroulant mes bras autour de son cou, un soupir passant mes lèvres quand mon corps s'écrase contre le sien. Ses bras qui se referment autour de moi me font frémir toute entière et personnellement, je perçois très clairement un double sens dans sa phrase ! Mes mains remontent dans ses cheveux et je viens mordiller doucement sa bouche, suçoter sa lèvre inférieure sans l’embrasser réellement. Te convaincre ? Tu voudrais vraiment me couler, moja dusa…? Mon regard pétille d’une lueur mutine et, comme la dernière fois, je me hisse pour nouer mes jambes autour de sa taille. Non, tu ferais pas ça… je sais que tu le ferais pas… Je ne cherche même pas à me prouver quoi que ce soit, j’en suis convaincue, il ne fait jamais rien que je ne veux pas qu’il fasse. Je frotte doucement mon nez au sien dans un geste plus tendre que joueur avant de proposer : Tu m’emmènes un peu plus loin ?

Avoir retrouvé le chemin de sa peau me rend fébrile, je m'en rends compte lorsque ses mains glissent dans le bas de mon dos où elles se posent, possessives comme j’ai rêvé mille fois qu’elles le soient. L'espace d’un instant, j’ai la sensation étrange de retrouver nos moments tendres d’avant, quand on se baignait ensemble et que, ses doigts crochetés à mes hanches, il me promettait de la même façon qu’il m’emmènerait où je veux. Aujourd'hui pourtant je sais bien que ce n’est plus possible, nous n’irons jamais en Espagne, nous ne retournerons jamais à Hawaii ou en Floride… Nos escapades me manquent déjà et pourtant je sais que la seule chose qui compte réellement, c’est qu’on soit encore ensemble.

Mes doigts cherchent doucement à entortiller ses cheveux qui ont à peine commencé à repousser et je me penche pour frotter mon nez au sien en secouant la tête. Non mon amour, je ne vais pas te couler. Je ne sais pas ce qu’il a subi, mais je sais qu’il n’a jamais été très à l'aise dans l’eau et que les taquineries que je m’autorisais ne seront plus perçues de la même façon, il est trop vulnérable pour ça et moi aussi. Ses lèvres retrouvent doucement les miennes et je fonds contre sa bouche, me laissant envahir un peu plus sereinement par la bouffée de chaleur familière qui me monte dans les reins, dans le ventre. Ma poitrine s'écrase contre son torse, je le surplombe un peu à cause de la position et je presse plus fort mes jambes autour de sa taille. I ja volim te… C’est toi qui fais ça, tu sais ? C’est parce que tu me regardes comme ça… Je ne me suis jamais sentie plus désirable que dans ses yeux, et pas dans le sens sexuel du terme. Et après tout ce temps à s'éviter, à ne pas oser se parler, revoir enfin ce regard-là posé sur moi me fait un bien fou. Je passe mes pouces sur ses tempes, mes yeux cherchant les siens, mes lèvres cherchant des mots qui ne me viennent pas pour exprimer ce que je ressens. Finalement, à défaut de parler, je me penche pour l’embrasser, ma bouche fondant contre la sienne avec une langueur à me damner.

Je suis comme lui, constamment étreinte par des bouffées d’angoisse qui me prennent à la gorge et me coupent la respiration. J’ai souvent eu peur de le perdre, avec la vie qu’on mène, celle qu’on menait en tout cas, les occasions de m’inquiéter pour lui n’ont jamais manqué. Mais cette fois j’ai cru l’avoir réellement perdu, j’étais convaincue de ne jamais le revoir, et je sais pertinemment que je n’attendais que l’occasion de mettre fin à mes jours pour n’avoir pas à souffrir d’une vie sans lui. Y repenser me noue toujours douloureusement la gorge et c’est un sentiment qui ne me quitte jamais. Chaque fois que je mes yeux se posent sur lui, qu’on se touche, qu’on s’embrasse, j’ai cette petite voix dans ma tête qui me souffle que j’aurais pu ne jamais plus le regarder, sentir son odeur, goûter à sa peau, avoir droit à la chaleur de ses bras autour de moi. Je suis constamment partagée entre le bonheur intense de l’avoir retrouvé et d’être près de lui, et une douloureuse envie de pleurer en repensant à ce qu’on a traversé, et au fait qu’on n’a jamais été si près de se perdre.

Ses mains qui pressent plus fermement ma peau, se font peu à peu plus possessives, reprennent leurs droits sur moi, me font frissonner toute entière et je soupire contre sa bouche, des vagues de désir serpentant le long de mon échine. Le fait d’être dans l’eau m’arrange bien cette fois parce que je sais que je suis déjà brûlante contre lui, et que sans le secours de l’eau il sentirait mon désir contre son ventre. Je dois cligner des yeux pour reprendre contact avec la réalité lorsqu’il s’écarte de moi, et je crois que le désarroi se lit dans mon regard. Je sens toutes les fibres de mon être le réclamer, mon corps demander le sien. C’est le même besoin viscéral que depuis notre rencontre, cette nécessité animale qui me dépasse et qui me donne l’impression de ne pas pouvoir respirer loin de sa peau. Le problème c’est plutôt mon esprit, dont je ne suis pas sûre qu’il suivra quand on sait comme ses caresses pourtant douces m’ont fait angoisser. Mon regard dans le sien, je passe mes doigts sur ses joues et je souffle à voix basse, tremblante d’hésitation. J’ai envie de te retrouver… De te retrouver vraiment… Je ne suis pas prête, et lui non plus je le sais, mais le dire me permet d’exorciser un peu cette frustration, et peut-être de lui faire savoir que je souffre autant que lui de la situation.

Il n’a pas besoin de terminer sa phrase pour que j’en devine le sens, qui ne me surprend pas puisque nous sommes sensiblement dans le même état. Pourtant plutôt que de me focaliser sur la crainte qui nous retient tous les deux, c’est sur le fait que mon désir soit réciproque que je m’attarde. Qu’on en ait envie tous les deux, bien qu’on ne soit pas prêts à franchir le pas, représente déjà une étape importante. Parce que quand nous sommes arrivés ici, je n’en avais pas envie du tout et pour tout dire je croyais le désir mort pour de bon, à jamais. Je secoue doucement la tête, mon nez se frottant toujours au sien. Je sais… Moi aussi. Moi aussi je suis terrifiée, et moi aussi j’ai peur de ne pas être capable d’aller au bout si on commence à tenter quelque chose. Et pourtant j’ai envie de lui, j’ai envie de le retrouver, de nous sentir liés de nouveau. J’ai envie que son odeur sur ma peau efface les souvenirs douloureux qui hantent mes cauchemars. J'ai besoin qu’on s’appartienne, de sentir que c’est à lui que je suis et qu’il est encore à moi. C’est tout ça que j’aimerais lui dire, sans y parvenir pourtant.

Je sens son corps réagir autant que le mien et je secoue la tête doucement. J’ai envie de rentrer… Mais je veux pas qu’on s'éloigne… Je ne dis pas que je veux forcément passer à l’acte, c’est assez étrange de prévoir ces choses-là, mais je ne veux pas qu’on s'éloigne, du tout. Ma bouche effleure la sienne, je caresse doucement ses lèvres de ma langue avant de murmurer tout bas : Je veux rentrer et rester nue dans tes bras… Je veux ta peau contre la mienne encore… C’est tout ce que je demande, je ne cherche pas à le forcer à quoi que ce soit, à le pousser dans ses retranchements ou à tester nos limites. Je sais seulement qu’ici nous sommes à découvert, trop vulnérables, et que j’ai besoin d'intimité avec lui. Je reviens bécoter ses lèvres tout doucement. Molim te, moja dusa, j’ai besoin de toi… Si nous n’avions pas dû tant nous éloigner, je crois bien que je lui demanderais même de me porter jusqu’au van mais soyons sérieux, vu notre état de paranoïa à tous les deux, j’ai peur de ne plus jamais avoir le droit d'être portée comme une princesse jusque chez nous…

Je suis vraiment soulagée qu’il accepte, j’ai crains qu’il ne me dise que c'était trop tôt, même pour seulement rester l’un contre l’autre. La dernière fois qu’on s’est collés ainsi dans l'eau et qu’il a voulu rentrer au van, il s’est écarté de moi aussitôt et je ne veux pas reproduire le même schéma. Je ne suis pas surprise que ce soit au canal que les rapprochements se fassent le plus facilement, l’eau a toujours été un élément particulier entre nous, c’est sous la douche qu’on était le plus proches, pas seulement au sens physique du terme. Je savoure le plaisir de le retrouver peu à peu, d’entendre à nouveau ces surnoms en serbe dans sa bouche, de sentir enfin ses mains se poser sur moi, d'avoir enfin le droit de l’embrasser et de réclamer ses bras. Ça fait deux semaines qu’il me manque douloureusement, au point que je passais mes nuits à pleurer en attendant qu’il rentre de mission. Deux semaines qu’on est ensemble sans l'être réellement, et depuis quelques jours on se retrouve enfin. J’en suis si ébahie que j’ai du mal à gérer les émotions qui m’assaillent. Quand il fait allusion à ce matin, j’oscille entre désir renaissant qui me fait frémir, bouffée d'amour si puissante que j'en ai presque envie de pleurer, et angoisse qu’on ne parvienne pas à dépasser ce stade.

Je le laisse s'écarter de moi et je me sèche rapidement pour seulement enfiler ma robe et le suivre jusqu’au campement. Chaque fois que je vois la caravane, je suis rassurée d’avoir encore un endroit où dormir, et je monte la première avant qu’il ne me rejoigne, refermant la porte derrière lui. Avec l’arbre qui nous fait de l’ombre et les draps aux fenêtres, la différence de température avec l'extérieur est vraiment appréciable.

Je ne nous laisse pas vraiment le temps de tergiverser cette fois, dès que nous sommes “à l’abri” (enfin dès qu’on a l'illusion de l'être), je me tourne vers lui pour retrouver ses bras. Les miens s’enroulent autour de sa taille et je me hisse sur la pointe des pieds pour chercher sur sa bouche un baiser langoureux. Mon cœur s’emballe à ce simple geste et je me tends vers lui, mon corps réclamant de nouveau le contact du sien. Déjà, mes mains glissent dans son dos sous le tee-shirt, en quête de chaleur.

Mes gestes, mes intentions ne sont pas aussi naturelles qu’elles l’ont toujours été, je ne suis pas non plus dans le calcul mais l’appréhension guide quand même mes mouvements. En l’occurrence, ce n’est pas la peur de la suite qui me pousse à agir, c’est la crainte d’avoir une nouvelle fois brisé un moment de complicité intense, et je sais que c’est ce qui se passera si je laisse la gêne et la distance s’installer. On ne peut pas réellement se laisser aller au canal, nous y sommes à découvert et j’ai toujours moi aussi cette crainte d’être surprise. C’est fou quand on y pense parce qu’avant on était plutôt du genre exhibitionnistes, pas parce qu’on cherchait particulièrement à l’être mais plutôt parce qu’on se foutait éperdument des autres et que notre besoin de l’autre était trop puissant pour attendre. Aujourd’hui il y a malheureusement cette angoisse profonde qui ne partira pas de si tôt -voire jamais- parce que c’est dans un moment d’intimité que nous avons été attaqués. C’est dans un moment de vulnérabilité que nous avons tout perdu. Chaque fois qu’on se laisse un peu trop aller l’un avec l’autre, on baisse un peu notre garde, et la sensation d’insécurité revient en force. C’est un sentiment qu’on va devoir apprivoiser pourtant, parce qu’on n’a pas le choix, et qu’on va devenir dingues si on doit vivre chaque seconde en surveillant derrière nous. Et surtout on ne se retrouvera jamais vraiment si on ne parvient pas à se laisser aller ensemble.

Je le sais encore plus sur ses gardes que moi aussi je suis surprise qu’il accepte de retirer son tee-shirt dès que mes mains commencent à chercher sa peau, je craignais de devoir l’amadouer de nouveau. On est encore humides tous les deux, s’étant séchés à la va-vite pour pouvoir rentrer plus rapidement, et la sensation de sa peau qui soudain colle à la mienne me fait soupirer contre sa bouche. Je laisse mes mains parcourir son dos, redécouvrir sa peau à présent que je sais que mes gestes ne provoquent pas de douleur chez lui, une certaine appréhension peut-être mais j’ai envie de l’apprivoiser de nouveau pour qu’aucune crainte ne vienne troubler son regard sous la caresse de mes mains. Je m’immobilise sur ses flancs et je relâche sa bouche, le souffle court, le regard brillant d’une lueur mutine qui m’a désertée trop souvent. Tu me portes jusqu’au lit ? Maintenant que nous sommes à l’abri, je peux me risquer à le demander, et puis les couvertures sont tout près, ce n’est pas comme si le van était très grand. J’ai juste envie de sentir ses bras autour de moi, de m’accrocher à lui encore, de retrouver ces gestes qui étaient autrefois familiers, naturels et qui sont aujourd’hui devenus tabous au point que je doive demander pour y avoir droit.

Il me soulève dans ses bras et les battements de mon cœur s’affolent aussitôt, parce que c’est typiquement un geste d’avant, qui me donne le vertige. Il me portait constamment, pour m’amener de la douche au lit, parfois de la voiture jusqu'à chez nous, du salon à la chambre… J'étais constamment dans ses bras et sincèrement heureuse de l'être parce que c’est un geste qui m’a toujours donné un sentiment particulier, celui d'être traitée comme quelque chose de précieux, comme une princesse ouais, je peux le dire sans honte. Et au milieu de la brutalité, de la violence constante dont est constituée ma vie depuis toujours, j’avais désespérément besoin qu'il soit comme ça avec moi. Possessif, tendre, protecteur. Slavenko m'a toujours donné cette impression dingue, dérangeantes et délicieuse à la fois, celle d'être le centre du monde pour quelqu’un. C’est cette même sensation qui me poussait à cracher au visage d’Ivo, du gang ou de Logan que mon mari viendrait me chercher, parce qu'il ne pouvait pas en être autrement. J’en étais certaine, jusqu'à ce qu’on me fasse croire à sa mort.

Les couvertures chaudes et moelleuses accueillent nos corps enlacés et j’ai enroulé un bras autour de son cou, repliant une jambe pour presser ma cuisse contre sa hanche. Nos baisers me font perdre le souffle et je ne suis plus habituée à tant de langueur, encore moins à ce que le contact fasse flamber le désir dans mes veines. Mes doigts accrochent ses cheveux quand sa main glisse entre mes jambes et je m’immobilise brusquement dans un couinement de surpris. J’ai le palpitant qui s’emballe et la respiration sifflante brusquement alors que des dizaines d'alarmes retentissent dans mon crâne. Ma main libre s’est déplacée machinalement, se crispant autour de son poignet sans que je m'en rende compte pour arrêter son geste. Forcément, il s'écarte, et je geins de frustration en secouant la tête. Après quelques secondes à tenter de calmer les palpitations de mon cœur, je souffle d’une voix rendue rauque autant par le désir que par la peur : Doucement, doucement, molim te… Et mes doigts, lentement, desserrent leur emprise sur son poignet.

Je lis le désarroi dans son regard, l’angoisse aussi et une boule de culpabilité me noue brusquement la gorge, me donnant envie de pleurer. Je m’en veux furieusement parce que c’est moi qui ai voulu rentrer, qu’on s’allonge ensemble, qu’on se déshabille, c’est moi qui ne cesse de le réclamer et pourtant je n’ai pas pu m’en empêcher. La crainte se mêle toujours au désir, quoi que je fasse, et je n'ai pas l’habitude d'être autant dans le contrôle, pas avec lui en tout cas. Normalement entre nous tout coule de source, naturellement, et je ne sais pas comment faire lorsque ce n’est pas le cas. Je marmonne d’une voix tremblante : Je suis désolée… Je… je m’y attendais pas… J’ai été surprise, je ne pensais pas qu’il irait si vite, autrement j’aurais pu tenter de me préparer psychologiquement pour ne pas le repousser. La seule chose qui m'empêche de me mettre à pleurer, c’est qu’il vient se nicher contre moi, tendre et câlin, quand j’ai eu peur qu’il ne s'éloigne brusquement voire qu’il s’en aille en quittant le van.

J'écarquille les yeux quand il se déshabille à son tour, complètement, pour la première fois depuis que nous sommes arrivés ici. De nouveau il me ramène contre lui et je sens un profond sentiment de soulagement m’envahir, je suis terrifiée à l'idée qu’il me repousse ou m'en veuille. Sa requête me liquéfie mais il a au moins le mérite de me prévenir cette fois et je sais à quoi m'attendre. Moi aussi, mon désir s’est gentiment fait la malle mais à la sensation de son corps chaud contre le mien, je sais qu’il ne faudrait pas grand chose pour le raviver. J’acquiesce doucement. D’accord… Avant de m'exécuter, je viens chercher ses lèvres pour un baiser tendre, sensuel plus que langoureux, amoureux surtout. Ja volim te. Je lui suis reconnaissante de sa patience et des précautions qu’il prend, et je finis par me tourner pour m’allonger sur le ventre en retenant mon souffle, le visage tourné vers lui.