Under a sky full of stars - Slavina

Il s'écarte de mes bras pour pouvoir se redresser et je fronce les sourcils en résistant à l'envie de le ramener contre moi. Sa réponse coule de source, à tel point que je m’en veux soudain d’avoir posé une question si ridicule. Pour le Red Manor il ne m’apprend rien pourtant, du temps de Tobias déjà je savais très bien qu’il était de mèche avec les politiques, la justice et tout le reste. Certains politiciens venaient au Red Manor, mais en plus de ça Tobias n’a jamais eu d’ennuis avec qui que ce soit, alors que ses affaires étaient loin d'être secrètes. Je hoche doucement la tête, embarrassée d’avoir remué le couteau dans la plaie. Oui c’est vrai, t’as raison c’est ridicule… La CIA ne nous doit rien, je ne sais pas pourquoi j’ai encore cette naïveté idiote de croire que les autorités prendraient notre défense. D'autant qu’ils sont parfaitement au courant des antécédents de Slavenko, ce n’est pas comme si on était prix Nobel de la paix l’un ou l’autre…

Je m’approche de lui, viens frotter mon visage contre son bras dans un geste câlin. Je suis désolée… C'est juste… effrayant de se dire qu’on va passer le reste de notre vie à devoir se cacher… Qu’on ne sera jamais tranquilles, qu’on ne pourra jamais quitter la ville sans se demander si quelqu'un nous a vus, si on risque quelque chose. Chaque soir quand il partira bosser j’aurais cette peur viscérale qu’il ne rentre pas… Tant que le risque d'être rattrapés par Logan pèsera sur nous, on ne pourra jamais se projeter, se reconstruire vraiment, se poser réellement quelque part. Et ça me donne envie de pleurer. Je ne sais pas si je peux vivre comme ça indéfiniment. Je tends la main pour la glisser sous son tee-shirt et la poser sur son flanc, levant les yeux vers lui. Ça va aller mon amour, tu verras.

A mesure que j’y pense, je crois qu’il est de plus en plus clair dans mon esprit qu’il n’y a qu’une seule solution pour arranger les choses, pour retrouver un semblant de vie normale… Et ça passe forcément par le fait de mettre Logan hors d’état de nuire. Et je crois que j’aurais les compétences pour le faire. Il a raison, Slavenko, le Red Manor est protégé, mais sur mon ancien PC j’avais des tas et des tas de dossiers concernant le manoir, son fonctionnement, les filles, les clients… J’avais récolté pas mal de documentation avant qu’on ne tue Tobias, il faudrait seulement la mettre à jour… On ne peut pas s’en prendre physiquement à Logan et ses hommes, on n’a pas les moyens pour ça, on n’a déjà pas été en mesure de les battre dans le Bronx. Mais on pourrait les faire tomber autrement. En envoyant les infos directement à la presse, ou à un organisme autre que la CIA, je ne sais pas, je ne connais pas assez bien le système parce que je ne m’y suis jamais suffisamment intéressée. Mais putain cette ville est pleine de gens qui fuient le système, ils doivent savoir comment ils fonctionnent et quelles sont les failles. Je crois que ça vaut le coup d’essayer, sans doute parce qu’on n’a plus rien à perdre. Mais je sais aussi que je ne peux pas en parler à Slavenko, parce qu’il refusera catégoriquement et que pour l’instant je n’ai pas de plan concret à lui proposer. D’abord, il faut que j’y réfléchisse sérieusement, que j’ai une stratégie béton, une contre laquelle il ne pourra rien dire… Et ensuite je lui en parlerais.

Comme il se rallonge, sur le dos cette fois, j’hésite un instant et je viens finalement m’installer sur lui. Comme je le faisais avant, je m’allonge sur son corps, m’en sert comme d’un coussin confortable sur lequel m’alanguir. Je pose ma joue sur son torse, mes mains sur ses épaules et je ferme les yeux. Je t’aime, Slavenko, excuse-moi je ne voulais pas te mettre de mauvaise humeur. J’ai le chic pour gâcher les moments sereins mais je ne désespère pas de lui faire oublier autrement ces sombres pensées. Les miennes le sont un peu moins, maintenant que l’idée d’une vengeance germe dans mon esprit. Tu voudrais pas enlever ton tee-shirt…? Je demande, juste parce que je suis allongée sur lui et que j’aimerais sentir sa peau chaude contre moi.

Je ne cherche pas à faire la conversation à tout prix, j’ai juste envie de voir de nouveau un sourire sur son visage. L’avoir vu joueur dans l’eau tout à l'heure m’a redonné espoir, j’ai envie de retrouver nos taquineries complices, nos jeux amoureux. Je ne veux pas renoncer, même si on doit fuir, même si on doit tout reconstruire et vivre dans la peur, à quoi bon si c’est pour ne plus avoir goût à rien ? Autant se tirer une balle tout de suite, le mode survie ne m’a jamais intéressée, autrement je n’aurais pas été si encline à me shooter à l'héroïne. J’ai besoin que la vie vaille la peine d'être vécue, d’avoir quelque chose à désirer, quelque chose qui me fait vibrer. Sinon je ne lutte pas. Or aujourd'hui, malgré tout ce qu’on a perdu, tout ce qu’on a traversé, Slavenko est encore tout ça, ce que je désire, ce qui me fait vibrer. Tant qu’on est ensemble je ne peux pas renoncer, et je ne veux pas non plus qu’il se contente de ce qu’on a aujourd'hui. On peut avoir mieux que ça, on mérite mieux que ça.

Comme il enlève son tee-shirt, j’ai un sourire de remerciement en revenant me blottir contre lui. Sa peau est chaude contre la mienne, mais on s’est baignés il n’y a pas longtemps et il n’est pas encore moite de sueur. Je tourne la tête pour poser mes lèvres sur sa peau, parcourant le haut de son torse de baisers légers pour me réconforter. Le simple fait de me sentir de nouveau autorisée à avoir ces gestes-là me fait du bien, me permet d’oublier un peu l’angoisse. Je pose mon menton sur son torse, relève les yeux vers lui pour le regarder, ma main droite se levant pour glisser sur sa nuque. Tu devrais essayer de redormir un peu…

Mon coeur loupe un battement quand il me dit qu’il n’a pas sommeil. Je me trompe peut-être, et j’ai d’ailleurs peur de me tromper, mais j’ai la sensation que sa voix est déjà plus rauque, son regard plus sombre aussi. J’ai encore le souvenir très précis de sa bouche sur ma peau tout à l'heure au canal, et je crois que je me damnerais pour retrouver cette sensation. À tel point que j’aurais accepter d'ôter ma robe même s’il n’avait pas fait cette précision qui pourtant me fait sourire et me rassérène. J’acquiesce silencieusement et je me redresse, m’installant à califourchon sur ses jambes pour retirer la robe. Elle est élastique, pas de fermeture éclair à ôter et je peux l'enlever d’un seul geste. Je n’ai pas mis de soutien-gorge, je savais qu’on resterait seuls tous les deux jusqu'à ce soir et avec lui je ressens déjà moins le besoin de me cacher, en tout cas depuis trois jours c’est le cas.

Je reviens m’allonger contre lui, mon corps épousant le sien dans une sensation de douceur délicieuse. Ses doigts démêlent lentement les mèches de mes cheveux, et chaque fois qu’il effleure ma nuque ou le haut de mon dos, un frisson me parcourt l'échine. Subitement moi non plus, je n’ai plus du tout sommeil, et je finis par me hisser un peu plus haut pour lier ma bouche à la sienne. J’encadre son visage de mes mains, me redresse légèrement tandis que ma langue part chercher la sienne pour un baiser sensuel qui déclenche des ondes de chaleur dans le creux de mon ventre. Pour la première fois, par-delà l'appréhension et l’angoisse, je me fais la réflexion que ses caresses me manquent. Sa façon de me toucher, de m’embrasser, de parcourir ma peau avec dévotion en me déclarant sienne, ses gestes possessifs et les élans qui le portent vers moi. Le désir rushe dans mes veines dans une bouffée douloureuse qui me coupe le souffle et je libère sa bouche dans un hoquet, m'écartant légèrement, le regard brillant.

Il ne me laisse pas le temps de reprendre mon souffle, encore moins de reprendre mes esprits. Déjà, son corps se tend de nouveau vers le mien et sa bouche trouve le chemin de la mienne, réclamant un nouveau baiser qui me fait gémir plaintivement. Ses mains glissent sur ma peau nue, déjà redevenue brûlante, et je me cambre quand il empaume mes fesses, m’offre sans même avoir le temps de réfléchir à mes gestes. Nos lèvres n’en finissent plus de se chercher avec avidité, et si nos baisers n’ont pas la fièvre des morsures auxquelles nous sommes habitués, ils n’en sont pas moins langoureux, fébriles, possessifs. Mes mains sont remontées dans ses cheveux, je voudrais caresser sa peau mais la position ne me le permet pas vraiment et je me contente de ce que je peux atteindre, tremblante parce que ce n’est pas suffisant. Je me redresse quand il plonge son visage entre mes seins pour l’inciter à s’asseoir, ses bras autour de moi, son corps pressé contre le mien, et mes mains glissent le long de son dos nu, s’accrochent à ses épaules tandis que je perds la raison sous son souffle bien trop chaud.

Malheureusement contrairement à lui, je ne peux pas dire qu’aucun de ses gestes ne me rappelle les mains de Logan sur ma peau, ce ne serait pas vrai. Et je sens bien qu’à mes frissons de désir se mêlent des frémissements d’angoisse, que je tente tant bien que mal de faire refluer. Aussi étrange que ça puisse paraître, le fait d’avoir le contrôle sur la position ne m’aide pas et je finis par m’arracher à lui pour basculer à ses côtés, m’allongeant sur le dos en l’appelant, mon regard noir cherchant le sien. S’il te plaît, viens sur moi, molim te… Je n’arriverais pas à prendre l’initiative de quoi que ce soit, je ne peux pas mener la danse, j’ai besoin que ce soit lui qui s’en charge et m’apprivoise à nouveau. Et surtout j’ai besoin de sentir que c’est lui qui me veut, lui qui me touche, pour effacer l’image de Logan qui cherche à s’imprimer sur ma rétine.

C’est étrange que cette redécouverte lente et amoureuse de nos corps, quand tout a toujours été torride et brutal entre nous. Mais je crois que je ne supporterais pas la moindre once de brutalité à cet instant précis, j’imagine que lui non plus, ou qu’il le sait, mais j’ai besoin de douceur pour ne pas m’affoler, ne pas laisser mes peurs prendre le dessus. Ses baisers langoureux me laissent le temps de me réhabituer à la sensation de son corps contre le mien, de sa bouche sur la mienne, et étrangement je respire un peu mieux une fois qu’il s’est allongé sur moi. Je suis soulagée de voir que cette sensation n’a pas disparu malgré ce qu’on a vécu : son corps sur le mien m’est toujours d’un immense secours, j’ai l’impression d’un rempart qui me protégerait du monde extérieur. Ce qui est ridicule, puisque j’étais blottie dans ses bras lorsqu’ils ont débarqué au Chalet, mais heureusement pour moi mon esprit est encore capable d’éluder cet aspect-là pour ne conserver que le reste. Dans ses bras je me sens à ma place, je me suis toujours sentie à ma place, à l’abri. Pas parce que je ne risque rien, mais parce que je m’y sens aimée, parce que je sais qu’il fera tout pour me protéger, comme il l’a toujours fait.

Le parcours de ses lèvres sur ma peau me fait d’abord frémir d’appréhension, et je sens mon corps se crisper en anticipation, parce que malgré toute ma bonne volonté il s’attend à ce que le contact physique soit forcément synonyme de douleur. Mais peu à peu, sous ses attouchements tendres, mes muscles se détendent, les tensions se dénouent et je me laisse aller, les vagues d’angoisse refluant pour ne plus m’étouffer, restant seulement quelque part, comme en sommeil, prêtes à se réveiller je le sais. J’ai plongé mes mains dans ses cheveux, autant pour l’encourager, le toucher, que pour pouvoir arrêter ses gestes si la peur prenait le dessus. Mais quand il presse sa bouche contre mon ventre, une drôle de sensation m’envahit, un désir brûlant qui fait battre mon coeur plus fort, me rend fébrile. Parce qu’on se doute bien que ce n’est pas du tout le genre de caresses que Logan aurait pu avoir pour moi, c’est quelque chose qui ne se rapporte qu’à Slavenko, à nos souvenirs d’avant, qui n’a aucune connotation douloureuse ou anxiogène à mes yeux. Je n’ai qu’à me concentrer pour me souvenir de la douceur de sa bouche entre mes cuisses, et instinctivement je tends le bassin, me porte vers lui. Mes mains tremblent légèrement, des relents de crainte sans doute, et pourtant je sais que je meurs d’envie de cette caresse la, maintenant.

Je retiens mon souffle, paralysée, le coeur prêt à s’échapper de ma poitrine et les mains moites. J’ai abandonné ses cheveux au profit des couvertures auxquelles je me suis accrochée dès qu’il a posé sa bouche par-dessus le sous-vêtement. Il me faut quelques instants pour réaliser qu’il attend un signe de ma part pour poursuivre, et quelques instants supplémentaires encore pour soulever le bassin et le laisser m’enlever la culotte. Je ne crois pas m’être déjà sentie si profondément vulnérable qu’en cet instant, et si d’ordinaire je ferme les yeux pour laisser les sensations m’envahir, cette fois j’ai besoin de le regarder. Déjà parce que tant que j’ai les yeux ouverts, aucune image douloureuse ne s’impose à mon esprit, ensuite parce que ça me permet d’anticiper, ne serait-ce qu’un peu, ses gestes.

Mon corps est tendu à l’extrême, j’ai replié les jambes et je suis en appui sur mes pointes de pied, la respiration sifflante. C’est le contact de sa langue sur moi qui m’arrache un couinement douloureux dans lequel j’expire brusquement une grande partie de la tension qui me pétrifie. Une onde de chaleur surprenante se déploie dans mon ventre et je cligne des yeux, visiblement stupéfaite de me souvenir qu’il est possible d’éprouver du plaisir. Sans m’en rendre compte, j’ai reposé mes talons sur les couvertures, et mon corps se tend vers sa bouche dans une requête plus qu’explicite. Je voudrais parler, ou le toucher pour le guider mais je suis trop empêtrée dans les sensations renaissantes qui accaparent toute mon attention et me font perdre pied. Réapprivoiser le désir, le plaisir, s’avère à la fois exquis et compliqué malgré tout.

J’ai la sensation qu’il me faut une éternité pour me laisser enfin aller à ses caresses, chaque vague de plaisir un peu trop intense est immédiatement suivie d’un frémissement d’inquiétude parce que ça ne me paraît plus naturel d’être seulement bien. Je m’accroche à ses doigts, sa main qui se tend vers moi, et je crois que ce qui me rassure le plus c’est de lire dans son regard qu’il comprend, qu’on partage sans doute les mêmes tourments. Je ne supporterais pas le jugement dans ses yeux, et je ne supporterais pas non plus qu’il s’éloigne et s’arrête à la moindre crispation de ma part. Il redouble au contraire de patience, de douceur pour que je me laisse aller et j’exprime mon plaisir en soupirs marqués et gémissements bas, je ne m’autorise clairement pas à être aussi expressive que je l’étais auparavant.

Un tremblement me secoue quand il pose ses doigts sur mon sexe, et de nouveau je me tétanise, parce que je ne suis pas du tout sûre d’être prête pour ça. Je ne le repousse pas pourtant, je serre sa main plus fort dans la mienne, comme pour le supplier silencieusement de ne pas me blesser, mais ses doigts se contentent de me caresser, de m’effleurer sans pénétrer et je finis par me détendre à nouveau. Toute son exploration n’est faite que de ça, de mon corps qui se crispe avant de se détendre, pour se crisper encore, et s’apaiser une nouvelle fois. Et je ne sais pas où il trouve la patience de poursuivre malgré tout, l’envie de me mener au bout. Il n’empêche que son doux entêtement paye, parce que je finis par sentir les prémices familiers de l’orgasme. Les frissons de mon corps qui s’intensifient, les palpitations de mon sexe, la chaleur qui augmente dans mon ventre, dans mes reins, mes muscles qui se crispent pour lutter encore avant de lâcher prise brusquement. Je viens dans un feulement plaintif, étouffé, avec cette sensation d’imploser quand la vague contractile me submerge. J’appelle Slavenko d’une voix tremblante pour qu’il remonte à mes côtés et je m’enfouis contre lui, les yeux clos, pour me raccrocher au secours de ses bras pendant que les tremblements me secouent.

Il me serre contre lui, me prend dans ses bras et honnêtement les émotions qui m’agitent sont si fortes que je suis à deux doigts de me mettre à pleurer. Heureusement les endorphines prennent le relais, me faisant suffisamment planer pour que je n’en arrive pas à cette extrémité. Je m’accroche à sa peau, le souffle court, à la fois ébahie et perdue aussi parce que j’ai beaucoup de mal à assimiler ce que je ressens et l'état dans lequel je suis. Ses mots d’amour sont comme un baume sur mes plaies, autant que l’ont été ses caresses et je frotte mon nez à sa peau en répétant tout bas : Je t’aime, je t’aime, ja sam tvoj. C’est sans doute très égoïste de ma part, mais je ne crois pas que je serais capable de plus après ça. Que ce soit en faisant l’amour avec lui ou en le caressant à mon tour, je n’ai pas l'énergie de me concentrer ou d’apprivoiser quoi que ce soit d’autre. Je suis groggy, complètement déphasée, et pour moi aussi c’est déjà beaucoup trop d'émotions d’un coup. Ça a débloqué quelque chose, c’est certain, mais je crois qu’il nous faudra quand même du temps pour le reste et là j’ai seulement besoin de redescendre un peu, de me remettre de tout ça aussi.

Alors un sourire, à la fois reconnaissant et rassuré, étire mes lèvres quand il me dit qu’il peut dormir à présent. Je hoche la tête, la relève légèrement pour ne plus m'étouffer contre sa peau. Oui, moi aussi… Je viens malgré tout chercher un baiser sur sa bouche, tendre, amoureux, serein aussi pour la première fois depuis des semaines. Je voudrais le remercier je crois, mais les mots ont du mal à se former dans mon esprit et je me sens brusquement lessivée, libérée d’une tension qui m’oppressait depuis des jours. Déjà, le fait que je ne cherche pas à me rhabiller, et que j’accepte l’idée de rester complètement nue dans ses bras en dit quand même beaucoup sur mon état d’esprit. Je ferme les yeux, lovée contre lui, à me bercer de son odeur et des frissons de l’orgasme qui s’accrochent encore à ma peau. Et je crois que ça fait des semaines que je ne me suis pas endormie si rapidement.

Lovée entre ses bras, bercée des relents du plaisir, je ne fais pas de cauchemars. Quelques pensées angoissantes mais sans visages m’agitent parfois, mais chaque fois que je commence à émerger il me suffit de reprendre conscience du corps du slave contre le mien pour me calmer. Je crois qu’en plus d’être détendue, soulagée aussi, je suis particulièrement fatiguée. Je ne m’éveille tout à fait que lorsqu’il quitte les couvertures et je roule sur le dos en frottant mes yeux, m’étirant pour émerger. Je suis encore allongée quand il revient près de moi, et mon visage s’éclaire au contact de ses doigts. C’est parfait. A présent qu’il a quitté notre lit improvisé, je me sens quand même un peu trop vulnérable d’être complètement nue, alors je profite qu’il soit en train de faire réchauffer les restes pour me rhabiller. Je remets ma robe et directement le bas de mon maillot de bain avant de le rejoindre.

Je m’agenouille dans son dos, enroule mes bras autour de sa taille pour poser ma joue sur son omoplate dans un geste câlin. Tu bosses pendant que je fais la vaisselle ? Tu crois qu’il me faut trois heures pour laver un tupperware ou quoi ? Je roule des yeux, amusée, presse doucement mes paumes contre son ventre en soupirant d’aise. Il a seulement enfilé un pantalon et il est encore torse-nu, sans doute parce qu’on n’a pas quitté le campement, et je profite encore un peu de la chaleur de sa peau sous ma joue, sous mes doigts. Les yeux clos, je le câline un long moment avant d’embrasser sa peau pour m’écarter et lui laisser un peu d’air, je crains d’être ultra-collante aujourd’hui. J’ai la sensation de planer encore un peu des sensations retrouvées entre ses bras, du plaisir réapprivoisé, et je suis assez émerveillée d’être parvenue à me laisser aller sans passer par la crise de panique. Je m’installe en tailleur à côté de lui et je propose en fronçant le nez : Tu m’aideras à choisir ma tenue pour ce soir ? Je suis sûre que tu trouveras ton bonheur parmi toutes les fringues à fleurs…

C’est sans doute très ridicule mais le fait qu’on fasse des projets ensemble, ne serait-ce que pour dans quelques heures, me fait déjà un bien fou. Parce que pendant deux semaines on s’est à peine adressé la parole et que notre vie se résumait à nos boulots respectifs et à nos baignades en fin de journée. Enfin, mes baignades, et lui qui jouait les vigiles. Je pense sincèrement que d'avoir trouvé ce van était ce qu’il nous manquait pour enfin rebondir, essayer de sortir la tête de l’eau. C'était tout bonne impossible dans la tente, même si elle nous a été bien utile les premiers jours. Je vois, j’ai le choix entre la vaisselle et le ménage… Dis-moi quand est-ce que t’es redevenu macho comme ça ? Je gronde dans un rire en mordillant sa peau en représailles avant de m'écarter de lui. En réalité je ne suis pas dupe et je vois très bien qu’il tente de me tenir à l'écart des palissades ! Mais je le laisse faire, je suis trop heureuse de voir son visage autrement que grave et fermé pour le contrarier.

Comme toujours, il mange avec un lance-pierre, à tel point que je n’en suis qu'à la moitié de mon assiette quand il a terminé la sienne. Je vais pas faire de malaise Slavo, promis. Je sais que j’ai pu lui faire peur quelques fois mais je ne suis pas encore tombée dans les pommes depuis notre arrivée. Je lui souris pour le rassurer, et je termine mon assiette quand il se lève. Une fois que j’ai mangé, je nettoie la vaisselle comme je peux avec les réserves d’eau qu’on a, et qu’on va devoir aller remplir bientôt je pense, et je retourne dans le van. Bien évidemment il n’y a rien à ranger, ce n'est pas comme si on possédait assez de choses pour foutre le bordel. Alors je m’occupe en essayant de remettre les couvertures correctement, et je plie seulement les fringues qui traînent avant d’arriver à bout d’occupations. Finalement, je rejoins mon mari à l'extérieur, et je me glisse à côté de lui en papillonnant des cils. T’es sûr de pas avoir besoin de deux mains supplémentaires pour tes palissades…?

Je fronce les sourcils. Tu vois, même toi tu flippes, t’oses pas appeler ces bestioles par leur nom. Il doit avoir peur que prononcer le mot ne les fasse sortir de leur trou, je suis sûre ! Je plisse le nez, m’approche un peu malgré tout. Dis… Quand tu dis déloger… Tu les élimines ou tu les chasses…? Parce que j’voudrais pas qu’elles reviennent… Je suis un chouilla paranoïaque sur le sujet, mais en même temps exterminer les petites araignées du Bronx et sauter à pieds joints sur une tarentule en espérant que ça suffira à la buter, ce sont deux choses bien différentes ! Quoiqu’il en soit, il me renvoie avant que j’ai le temps d’argumenter et je soupire en récupérant le flingue. D’accord, à plus tard. Je repasse par le van pour mettre l’arme dans ma besace, je n’ai pas de ceinture dans laquelle la glisser, contrairement à lui. Avoir un deuxième flingue ce serait franchement pas du luxe… Avoir d’autres balles aussi.

Je prends du coup la direction du campement pour aller vers l’endroit où je sais que la nana tatouée vend ses chapeaux et autres accessoires. J’ai emporté du fric avec moi, j’espère qu’elle ne les vend pas trop cher malgré tout. Je réfléchis déjà à trouver un autre boulot que celui chez Queenie, quelque chose qui payerait mieux que ça… Quel dommage qu’il ne veuille pas me laisser aller à Niland pour des cambriolages ! La fille est en train de boire un café sur sa terrasse quand je me pointe, et je discute un peu avec elle. J’apprends au passage qu’elle s’appelle Aislin, et qu’elle est à Slab City depuis un moment. J’essaie plusieurs chapeaux avant d’en trouver un qui m’aille, aux bords suffisamment grands pour me protéger du soleil. C’est un chapeau tressé en paille, dont les bords sont légèrement orangés. Je ne trouverais donc jamais rien qui ne soit pas coloré dans le coin ! En discutant avec elle, je finis aussi par acheter autre chose… Après une longue hésitation, elle me prépare même une boîte en carton, customisée avec des dessins, pour faire office de papier cadeau. Le tout me prend une petite heure et je regagne le van avec mes trouvailles, l’une posée sur ma tête, l’autre coincée sous mon bras.

J’ai un sourire en voyant, de loin, à quel point il a bien avancé. La “clôture” commence à prendre forme et à ce rythme-là j’ai bon espoir qu’il ait terminé rapidement. Même si je n’aime pas qu’il aille bosser à la frontière, parce que je m’inquiète terriblement pour lui, il va quand même falloir qu’il y retourne parce que mon seul salaire fait un peu juste… Je m’approche de lui en souriant et j’acquiesce à sa réflexion. Je l’ai plus choisi en fonction de la taille que de la couleur, mais c’est vrai qu’il va bien avec. Je cherchais un chapeau aux bords aussi larges que possible pour que l’ombre couvre mes épaules et ma poitrine, j’essaie vraiment d’éviter de brûler au soleil… Disons que l’esthétisme passe, malheureusement, en second plan. Je tourne sur moi-même avant de demander : Il te plaît, alors ? J’ai quand même malgré tout essayé d’en choisir un qui m’aille bien, qui soit plutôt joli et qui ne me donne pas un air complètement ridicule. Je n’ai pas acheté un sombrero !

Quand il pointe la boîte, je sens l’anxiété monter et je souffle : On peut aller l’ouvrir à l’intérieur, si tu veux bien….? J’attends qu’il acquiesce pour l’entraîner vers la caravane, où j’ôte mes chaussures dans l’entrée avant d’aller m’installer en tailleur sur les couvertures, posant la boîte devant moi. Quand il me rejoint, je fronce le nez en cherchant mes mots. C’est… Un genre de cadeau pour nous deux… J’ai beaucoup hésité à l’acheter, et j’ai vraiment très peur de sa réaction. Je pousse la boîte vers lui, me mordant déjà la lèvre d’appréhension. A l’intérieur se trouve un attrape-rêves plié en deux, plutôt grand, avec des tas de plumes et de perles en bois, le tout dans les tons marrons, pas hyper coloré en somme pour une fois. J’ai peur parce qu’on avait parlé d’accrocher un attrape-rêves au-dessus du lit, au Chalet, et je crains que la mélancolie ou l’envie d’oublier notre ancienne vie ne l’emporte et qu’il rejette complètement mon idée. Mais le symbole est toujours très fort pour moi, encore plus aujourd’hui parce qu’on dort tous les deux très mal, nos nuits sont ponctuées de cauchemars et d’angoisses… C’est peut-être aussi une façon de lui dire que tous les projets qu’on avait ne sont pas bons à jeter, et que certains sont encore possibles. Accrocher un attrape-rêves au-dessus du lit, par exemple. Ca n’a l’air de rien comme ça, mais ça représente énormément à mes yeux. Et je crains qu’il ne comprenne pas, qu’il m’en veuille ou qu’il trouve simplement ça ridicule.