Home sweet home - Slavina

Un sourire amusé étire mes lèvres et je penche la tête sur le côté en plissant les yeux. Tu sais que j'étais pas née dans les années 70, pas vrai ? Ma culture cinématographique de la période est assez limitée je dois dire, déjà que je ne regardais pas énormément la télévision, même quand j’aurais eu l'âge de le faire. Alors ce qui passait avant ma naissance, ça m'échappe complètement ! N'empêche qu’on risque pas de me prendre au sérieux avec ce costume… Ça conforte juste les routiers dans le fantasme cliché de la serveuse midinette hyper accessible, j’ai la sensation de jouer un rôle. Je crois que la jupe courte les affole pour la plupart, je ne sais pas si les patins leur font de l’effet mais quoiqu'il en soit il ne s’est pas encore passé un seul jour sans qu'on me fasse des avances, plus ou moins discrètes, plus ou moins respectueuses aussi. Et comme je ne peux pas me permettre de m'énerver, je prends sur moi. En plus pour être tout à fait honnête, je ne suis pas sûre d’avoir encore cette rage à me défendre, j’ai peur d'être devenue trop anxieuse pour ça, j’ai tendance à me tétaniser de trouille dès qu'un type se montre un peu trop entreprenant… Je n'en ai encore jamais parlé au slave, il s'inquiéterait encore plus je crois.

Comme il ne semble pas décidé à toucher mes cheveux ici, tout de suite, je retourne sous l'eau. C’est assez fastidieux de les rincer du shampoing sans avoir de jet pour le faire, mais je commence à avoir la technique. Je traîne un peu pour sortir, j'appréhende le moment où l’eau ne me dissimulera plus. Mais je sais que c’est très probablement la même chose pour lui alors je finis par lancer : On y va ? Je trouve ma pudeur ridicule par rapport à la sienne, il a des marques à dissimuler alors que plus rien n’est visible sur ma peau, je ne sais pas pourquoi la nudité me fait si peur. J’inspire longuement et je me hisse la première hors de l’eau, mes cheveux dégoulinant dans mon dos, sur mes épaules et ma poitrine. Je me penche pour attraper la serviette dans laquelle je m’enroule aussitôt, sans m'être retournée vers lui.

Je hausse vaguement les épaules, embarrassée parce que je ne vois pas bien comment lui faire part de ce que je ressens sans l’inquiéter pour autant. Disons que l’uniforme, les patins, le bandeau dans les cheveux… Ca incite pas vraiment les clients à… Je fronce les sourcils, incapable de trouver des mots qui ne soient pas trop forts. Rester à leur place ? Je finis par souffler, d’une voix clairement hésitante. J’ai un peu peur qu’il s’imagine le pire alors que ce n’est pas le cas, pour l’instant je n’ai été agressée par personne, je n’ai pas été menacée non plus, j’ai tout au plus eu droit aux réflexions graveleuses et à quelques mains baladeuses qui m’ont empêchée de respirer pendant une heure, le temps que la crise d’angoisse passe, mais c’est tout. Et le pire c’est que je sais, de façon très objective, que ce genre de choses ce n’est pas grave. Au Stan’s ça m’arrivait constamment, je me contentais de les envoyer chier et généralement ça n’allait pas plus loin. Mais disons que justement, c’est plus facile d’être prise au sérieux avec une veste en cuir et un couteau dans la ceinture qu’en robe de pin-up des années 60.

On regagne le campement, je n’ai pas pris la peine de me rhabiller sachant que mes fringues vont finir trempées, et je souris à son interrogation. C’est très bien. Laisse-moi juste une minute, le temps de me rhabiller. Le fait que les vêtements soient désormais dans la caravane est une excuse parfaite, je sais très bien qu’il ne m’y suivra pas et ça me donne moins l’impression de me cacher de lui. Je vais donc dans le van pour me sécher complètement, et je m’habille enfin d’une robe à ma taille. J’inaugure ma nouvelle garde-robe avec une robe hyper bariolée, décidément c’est la mode mexicaine, dans les tons rouges-orangés-jaunes, qui m’arrive à mi-cuisse et qui a un col bateau, c’est à dire qu’elle tombe sur mes épaules, les laissant nues. Je ressors avec mes nouvelles sandales aux pieds et ma brosse à cheveux et je demande dans un sourire : On commence par ta barbe ou ma crinière ?

S’il savait à quel point il se trompe ! A aucun moment je ne me dis qu’il ne serait pas en mesure de me protéger, au contraire, c’est une chose dont je ne doute pas, jamais, je me sens toujours en sécurité avec lui. Moins maintenant que je sais qu’on peut être atteint à tout moment, mais en tout cas je suis toujours mieux quand il est là que lorsque je suis seule. En revanche, je ne lui en ai pas parlé parce que je savais que ça l’inquiéterait, et il ne peut malheureusement pas être toujours avec moi. La frontière est loin, je ne veux pas qu’il se fasse du souci pour moi quand il est en mission pour Machete et qu’il ne peut de toute façon pas me venir en aide. C’est pour le préserver que je ne lui ai rien dit… Et puis par peur, aussi. Après ce que Logan m’a fait subir, j’ai déjà constamment peur qu’il finisse par ne plus vouloir de moi, comme si je n’étais plus digne de lui. Je crois que j’ai peur de ne plus lire dans ces yeux cet instinct protecteur, propriétaire. J’ai peur aussi qu’il estime que ce n’est pas grave, qu’après avoir été abusée pendant trois jours quelques mains au cul ne me blesseront pas. Je n’en sais rien, en fait, j’ai juste la trouille de ce qu’il doit penser de moi.

Je baisse le nez sur la robe, un sourire timide aux lèvres, le même que lui je crois. C’est vrai…? Elle te plaît ? La question sous-entendue, celle que je ne me risque pas à poser c’est : et moi, je te plais ? C’est étrange parce que je sais que je ne suis pas prête pour qu’on soit plus… intimes ensemble, et paradoxalement le fait de ne plus lire le désir ou l’attirance dans ses yeux me peine. Je crois bien que ça me manque, cette façon qu’il avait de me regarder, fasciné comme si j’étais la huitième merveille du monde. Après avoir été réduite à l’état de pur objet, je ne me souviens même plus de ce que ça fait. J’ai l’impression que ce sont les souvenirs d’une autre qui me manquent et me rendent mélancolique.

Je récupère une sorte de petit saladier, qui fait partie de la vaisselle volée, et je le remplis d’eau avant de le poser sur la deuxième chaise. J’avise le savon en fronçant les sourcils. T’as pas trouvé de mousse à raser ? Je me débrouillerais très bien avec ça, mais j’ai peur de mal m’y prendre ou de lui faire mal… Disons qu’il est déjà blessé et que j’ai la hantise de l’érafler avec le rasoir, même une micro-coupure me tuerait de culpabilité, je crois !

Bon, c’est la robe qu’il complimente, pas moi, mais je m’en contente pour le moment, ce n’est pas vraiment comme si j’avais le choix de toute façon. J’ai toujours autant envie de lui plaire, pas de la même façon qu’avant, mais quand même… Je songe qu’il faut que je mange un peu plus, que j’ai perdu trop de formes et que finalement, il doit plus avoir envie de me plaindre que de m’enlacer quand il me voit. J’étais bien, après Savannah, j’avais repris les kilos qu’il me manquait, j’avais quelques couleurs sans que ce soit trop bronzé pour lui, j’avais des tas de nouveaux vêtements qui lui plaisaient, je prenais toujours le temps de me coiffer comme il aime… C’est un peu plus difficile ici mais je me promets de faire des efforts, seulement pour qu’il n’ait pas l’impression que je baisse les bras. Sa réflexion me tire un léger sourire et je secoue la tête. J’ai vu des robes à fleurs dans les affaires que j’ai prises, j’en mettrais une demain… Je ne garantis pas que tout m’aille bien ou lui plaise, mais c’est mieux que de n’avoir que deux tenues à faire tourner tous les jours. Tu vas être ravi, je crois que j’ai dû piquer un pantalon à tout casser… Et je ne suis même pas sûre de l’avoir emporté, je crois que j’ai longuement hésité, il faudra que je vérifie.

J’acquiesce et trempe le savon dans l’eau pour le faire mousser entre mes mains tandis qu’il lève le nez vers moi. Doucement, je glisse mes doigts sur ses joues, sa mâchoire pour recouvrir la zone de mousse, le nez plissé par la concentration extrême dans laquelle je suis plongée. Je trempe le rasoir dans l’eau et j’entreprends de le débarrasser de sa barbe, tout en faisant extrêmement attention à ne pas le couper, ce qui fait que je suis bien plus lente que d’ordinaire, encore que c’est la première fois que je le rase. Comme je le sens légèrement tendu lui aussi, je demande pour détendre l’atmosphère : Je rase tout ? Ou tu veux une coupe particulière ? Genre bouc de hipster…

Moui, peut-être que le soir en hiver j’aurais besoin d’un pantalon… Et puis c’est toujours mieux ça que des collants, non ? Je souris en me remémorant son aversion pour les collants, je sais qu’il préfère de loin les bas parce qu’ils lui permettent l’accès à ma peau. En tout cas, il les préférait, je ne suis plus certaine que ce soit encore le cas aujourd’hui. Si j’ai trop froid en hiver je resterais enfermée dans la caravane, sous les couvertures. Tu me tiendras compagnie. C’est une façon timide, détournée, de dire qu’il me tiendra chaud sans avoir à prononcer ces mots-là pour autant.

Ma main libre s’est posée à la base de son cou pour guider les inclinations de son visage, et de l’autre je passe le rasoir sur sa peau hâlée par le soleil. J’éclate de rire, me reculant un instant pour ne pas le couper, en secouant la tête. Un con ? Tu crois que je t’insulterais comme ça !? C’est mal me connaître. Non, un hipster c’est… Je sais pas trop comment expliquer ça, c’est un style, si on veut… Des mecs barbus avec un look particulier. Faudrait que je te montre une photo. Enfin sans téléphone ça va être compliqué, on n’a pas vraiment internet ici de toute façon. Mais je ne doute pas qu’on finira bien par en voir passer un ou deux ! Bon, dans tous les cas je rase tout, c’est noté.

Je reviens vers lui pour reprendre ma tâche là où je m’étais arrêtée, toujours aussi minutieuse dans mes gestes. Je suis plutôt fière de moi parce que je parviens à être suffisamment douce et précautionneuse pour ne pas le couper. Attends. Je m’écarte à nouveau pour aller récupérer une serviette et pouvoir l’essuyer, ce que je fais tout doucement lorsque je reviens vers lui. Moi aussi j’ai l’impression d’une caresse, et à dire vrai je crois que j’en profite un peu. J’essuie le savon sur ses joues, les poils coupés aussi, et je mouille légèrement la serviette ensuite pour le nettoyer tout à fait. J’esquisse un sourire tendre en observant le résultat, un sourire amoureux aussi. Je repose le rasoir dans le saladier, glisse tout doucement mes doigts sur l’angle de sa mâchoire. J’ai la sensation de le retrouver, je crois ne l’avoir jamais vu avec une barbe aussi longue que celle qu’il avait. T’es beau comme ça… Je souffle tout bas, la gorge nouée par l’émotion parce que j’ai furieusement envie de l’embrasser soudain. Pourtant je réalise que je dois probablement le mettre mal à l’aise et je m’écarte en toussotant. Je souris pour donner le change. Et voilà !

Mon coeur s'affole un peu quand il promet de rester avec moi, Dieu que l’espoir est douloureux quand il a été si souvent déçu. Mais je sens bien que depuis hier soir, je recommence à y croire, à y croire vraiment, et j’ai tant besoin de ça que j’ai un mal fou à ne pas m’emballer pour me protéger. C'était plus facile de rester silencieuse, de ne pas faire de vagues, au moins à ne rien ressentir, je me protégeais aussi des émotions douloureuses. Malheureusement je suis faible je crois, parce que toutes les autres émotions que je ressens avec lui me manquent trop pour que je sois raisonnable. J’ai passé la nuit complètement collée à lui, blottie dans ses bras, et son odeur est même parvenue à apaiser mes cauchemar. J’ai envie de plus que ça, je veux ses bras encore, la tendresse encore, ce lien entre nous qui me fait si cruellement défaut.

Je peine à décrocher mon regard de lui, je crois que c’est la première fois depuis que nous sommes sortis que je me fais cette réflexion. Il n’a jamais cessé de me plaire, mais cette fois c’est autre chose, un sentiment plus profond qui me retourne le bide. Je le trouve attirant, vraiment beau, à avoir envie de m’enfouir contre lui, de dévorer sa bouche de la mienne, de fourrer mes mains dans ses cheveux. Pas parce qu’il n’a plus sa barbe, mais parce que c’est la première fois que je prends autant le temps de le regarder, de l’observer vraiment, pas seulement à la dérobée. Très honnêtement je crois que j’en ai des palpitations. J’avais oublié à quel point je pouvais ressentir des émotions fortes quand il s’agit de lui. Si, je l’ai piqué dans la salle de bain, attends. Je finis par m'éloigner à regrets pour aller chercher le petit miroir sur pied, ceux qui tournent sur eux-mêmes avec une face grossissante, et j’en profite pour prendre la brosse à cheveux. Je reviens avec le tout et prends sa place sur la chaise en lui tendant les objets.

Je roule des yeux. Un raton-laveur, n’importe quoi. Je ne le trouve pas moins beau qu’avant. Bien-sûr le voir amaigri et fatigué me fait de la peine, mais il n’en perd aucunement son charme pour autant. De toute façon je crois que le voir comme ça ne fait que me donner envie de prendre soin de lui, et c’est d’ailleurs pour ça que je me suis efforcée de faire le premier pas pour amorcer une réconciliation entre nous. Parce que oui, c’est la sensation que j’ai, comme s’il fallait qu’on se réconcilie, qu’on se pardonne quelque chose… Je ne supporte pas de le savoir malheureux, d’imaginer ses souffrances, ses remords, ses regrets. Je voudrais savoir apaiser ses maux seulement en le berçant contre moi, dans le secret de mes bras. Malheureusement je sais que ce ne sera jamais suffisant, et surtout le contact est difficile à établir. Pour lui comme pour moi. De mon côté l’envie ne manque pas, mais ce n’est pas pour ça que les gestes sont plus faciles à faire.

C’est plus simple cette fois parce qu’il est dans mon dos, je ne crains pas qu’il lise les expressions de mon visage. Je n’ai plus l’habitude qu’il prenne soin de moi, pourtant il a déjà fait bien plus que ça. Je n’oublie pas toutes les fois où il a lavé ma peau couverte de sang, où il a savonné mes cheveux parce que j’étais incapable de le faire moi-même, les fois où il a passé de la pommade sur mes bleus, celles où il a changé mes pansements aussi, suite à mon opération. Le contact de ses doigts me fait frissonner et je ferme les yeux, essayant d’apprivoiser la sensation. La dernière fois que j’ai senti une main autre que la mienne sur mon cou, elle serrait pour m’étrangler. Il me frôle à peine pourtant, effleurements légers, caresses aériennes mais je sais où se trouvaient les marques violacées des mains de Logan, et je sens comme des relents de douleur chaque fois qu’il passe à ces endroits-là. Ma voix est un peu nouée lorsque je réponds. J’ai déjà eu les cheveux plus longs encore, tout en bas du dos. Et petite, je les avais courts, coupés au carré. Ses gestes sont doux, il ne me fait pas mal et progressivement, je sens mes muscles se dénouer, mon corps se détendre légèrement. Je ferais des tresses comme tu as dit tout à l’heure, pour aller bosser.

J’ai un haussement d'épaules à sa question. Je ne sais pas, peut-être… tu aimerais ? Déjà, aller chez le coiffeur n’est pas ma priorité ici comme on s’en doute, et malheureusement je me vois mal me couper les cheveux moi-même, je crains la catastrophe. Mais en plus de ça, s’il me préfère avec les cheveux plus longs, je suis amplement prête à les laisser pousser autant qu’il le voudra. J’aime la façon dont ses doigts glissent entre les mèches brunes, quand il écarte les cheveux de mon visage aussi. Et avant, j’aimais sa façon de s’accrocher à mes cheveux pour me faire lever les yeux vers lui, pour me garder contre lui, pour me forcer à me cambrer aussi… Ce sont des souvenirs bien plus intimes qui me reviennent par moments et que j’ai du mal à assimiler, comment ai-je pu aimer sa brutalité à ce point-là quand aujourd'hui le moindre effleurement me fait trembler ? J’aimerais ne plus avoir peur, surtout pas de lui, mais je ne sais pas comment m’y prendre.

Je plisse le nez à son histoire. Tu crois que je suis encore une princeza ? J’avais jamais entendu l’histoire de la princesse à la caravane… J’aurais voulu moi aussi une mère pour me raconter des histoires de princesses, malheureusement comme on le sait je n’y ai pas eu droit. Je l’ai retrouvée, à la Nouvelle-Orléans, j’avais son dossier, son identité, je suis rentrée dans le Bronx avec toutes les informations dont j’avais besoin et en me promettant de la contacter lorsque je me sentirais prête… je n’ai jamais eu le temps de me sentir prête et je le regrette aujourd'hui. T’en fais pas, je sais faire les tresses… Je t'en ferais si tu laisses repousser tes cheveux. Je lance dans un sourire amusé, pour ne pas me laisser gagner par la mélancolie et les regrets.

Ses baisers quand il se penche sur moi me font frémir de la tête aux pieds et je cligne des yeux plusieurs fois pour maîtriser la sensation de mon cœur qui s’emballe. Le temps qu’il s’installe à côté de moi, je me suis ratatinée sur ma chaise et je finis par oser demander tout bas, gênée de poser la question parce que j’ai l’impression d'être une enfant en quête de réconfort. C’est vrai, tu… Je te plais encore, même comme ça ?

Passé un certain stade, la longueur ne change pas grand chose. J’aurais aussi chaud avec les cheveux en bas du dos que juste sous les omoplates, cela dit c’est un peu plus chiant à entretenir et comme on en est encore à se laver au canal, ça finira peut-être par m’agacer. Mais je note qu’il aime mes cheveux longs, et ça signifie que je ne les couperais pas trop courts si jamais je venais à en avoir marre, pas plus court que ce que j’avais à New-York en tout cas. Mon coeur rate un battement au srce qu’il glisse dans sa phrase, sans même s’en rendre compte, comme si c’était naturel alors qu’il ne m’a plus donné de surnom depuis des semaines. Avant, ils ponctuaient chacune de ses paroles, et je sens que mon rythme cardiaque s’emballe brusquement. J’essaie de ne rien laisser paraître, de crainte de l’effrayer et qu’il ne fasse attention à ne plus le dire ! Ouais, je suis complètement parano. Non, qu’est-ce qui fait la princeza alors ? Les tresses tu crois ? Je fronce le nez, amusée. Je connais pas l’histoire de Peau d’ ne, ça me dit vaguement quelque chose mais c’est tout... Et déjà qu’on a quatorze ans d’écart, ça risque d’être vraiment étrange s’il se met à me raconter des histoires pour m’endormir, n’est-ce pas ?! Tu pourrais ressembler à un Viking, faut juste te trouver une hache !

J’ai peur qu’il trouve ma question ridicule, parce que même moi qui la pose je suis consciente qu’elle l’est. On ne peut pas réclamer des compliments, ce n’est pas quelque chose qui se fait, ça n’a rien de naturel. Mais je crois que ma confiance en moi est partie en fumée et je m’efforce d’en retrouver les lambeaux pour tenter de me reconstruire. Le résultat c’est que je ne suis même pas sûre de lui plaire réellement, en même temps comment pourrait-il répondre “non” à une question pareille ?! Je récupère le miroir pour tenter de reprendre contenance, esquisse un sourire en contemplant le résultat. C’est vrai, ça fait une éternité qu’ils n’ont pas brillé autant… Tu devrais me coiffer tous les jours, tu fais ça mieux que moi. C’est surtout que je ne prends plus vraiment la peine de perdre autant de temps à m’occuper de moi, en fait. Surtout que je finis par m’attacher les cheveux pour aller bosser, alors… Je repose le miroir et me fais la réflexion que j’ai quand même quelques coups de soleil, aussi je demande : Tu pourras me ramener de la crème solaire la prochaine fois que tu vas à la frontière ? Et de la Biafine si t’en trouves, ce serait bien. J’essaie de rester à l’ombre autant que possible mais malheureusement avant qu’on ait le van, le soleil était difficile à éviter !

J’arque un sourcil. Un âne qui chie de l’or ? Ta mère vous racontait de drôles d’histoires ! Je secoue doucement la tête, amusée. Un faux Viking, c’est mille fois mieux qu’un prince. Et puis une caravane c’est plus… Comment t’as dit déjà ? Ah oui, plus bohème qu’une cabane dans la forêt. La seule chose que je veux, c’est être avec lui, je crois qu’on l’avait déjà compris. J’ai toujours su que je ne pouvais pas vivre sans lui, dès le départ, et d’ailleurs quand j’ai voulu l’accompagner à Savannah c’est bien parce que j’ai réalisé qu’une séparation était inenvisageable… Mais après l’avoir cru mort, réellement mort, je mesure encore mieux ma chance d’être à ses côtés aujourd’hui. Je me ferais à la chaleur, à la solitude, au manque de confort, aux conditions de vie difficiles. Je sais que je m’y ferais. En revanche je n’aurais jamais pu me faire à son absence.

Je secoue doucement la tête. J’ai regardé y avait rien, tu parles ils sont déjà trop bronzés, ils ont pas besoin de Biafine. Encore moins de crème solaire ! Tu sais quoi ? J’irais m’acheter un grand chapeau, genre sombrero mais en plus joli… Comme ça je prendrais moins le soleil. J’aime bien bronzer un peu en vacances, mais là ce n’est pas exactement ça et je ne peux pas dire que je sois fan des coups de soleil. Et puis surtout je sais à quel point Slavenko aime ma peau claire, encore une fois j’ai peur de moins lui plaire si je bronze un peu trop. C’est vrai oui, on est en repos. Mais je voudrais pas salir les couvertures avec le sable et la poussière… Disons qu’elles viennent d’une maison propre, ce serait bien de les garder comme ça aussi longtemps que possible. Sinon on peut… Je sais pas, juste s’allonger sur les serviettes de plage, peut-être ?

Je roule des yeux avec un sourire amusé, mais mon regard reste triste je crois. Parce que c’est ridicule, mais parler de contes et de dessins animés me fait inévitablement penser à cette famille qu’on voulait fonder ensemble. Et je l’imaginais bien, moi, en train de raconter des histoires à son fils ou à sa fille pour l’endormir, je nous visualisais très bien tous les trois sur le canapé devant un dessin animé, surtout qu’il venait d’acheter une télé ! La plupart du temps j’essaie bien-sûr de ne pas y penser, mais c’est d’avoir perdu ce rêve-là qui me fait le plus de mal. Parce que j’y croyais vraiment, cette fois. Tu préférerais être quoi ? Je finis par demander, pour chasser ces pensées. On n’est personne ici, ça veut bien dire qu’on peut être ce qu’on veut, non ? Alors tu peux bien être un prince Viking et moi une princesse en caravane. Quelle importance après tout, qui ira vérifier ? Le seul à savoir réellement qui je suis, c’est lui, il connaît tout de moi, même encore aujourd’hui.

Bizarre pourquoi ? A cause de ses tatouages ? Je vois de quelle fille il parle, elle est tatouée de partout, plutôt jolie et a la peau claire, ce qui est étonnant dans le coin. Mais elle est ici depuis un moment je crois, de ce que j’ai entendu. J’ai vu qu’elle vendait plein de choses sur le campement, j’irais voir pour un chapeau. Quant aux bracelets, mes poignets en sont déjà pleins. Je me doute bien qu’il n’est pas dupe de la raison pour laquelle je les porte, pourquoi me serais-je embêtée à voler tant de bracelets quand je n’avais pas pris la peine de voler des fringues, ou si peu ? Je cherchais à me cacher, comme il le fait en restant toujours tout habillé. Oui, on sera bien à l’intérieur. Et ce sera plus confortable comme ça. Je me garde de dire qu’en plus, il y a moins de chances qu’on soit embêtés par des bestioles…

Je me lève à mon tour, sans rien emporter parce qu’il se charge de tout, et je le rejoins dans le van en ôtant seulement mes sandales. Sa requête me paralyse et j’écarquille les yeux, pas sûre de comprendre. J’ai brusquement la sensation d’avoir dix ans de moins, et que ce serait un genre de jeu étrange avec mon premier amoureux, ou quelque chose du genre. Sauf que je ne me souviens pas avoir été aussi paniquée pour ma première fois, je vous assure ! Je… Je balbutie, baisse les yeux, les mains soudain moites, le coeur battant trop vite et trop fort. J’ai envie de dire non, vraiment. Mais en même temps, je me déshabille devant lui tous les jours quand on va se baigner… Et je n’oublie pas à quel point il était réticent à l’idée de se déshabiller lui-même. J’ai peur de laisser passer ma chance en refusant alors je finis par murmurer : D’accord. Hésitante, je viens m’asseoir à côté de lui sur les couvertures, en essayant de maîtriser ma respiration qui ne m’obéit plus vraiment. En même temps. Je lance, comme si c’était un jeu alors que c’est terriblement grave à mes yeux. Aux siens aussi, je crois. De mes mains tremblantes, j’attrape le bas de ma robe, et j’attends qu’il fasse de même avec son tee-shirt.

Je retiens mon souffle quand je le vois tirer sur son tee-shirt, qu’il enlève bien plus rapidement que moi. J’ai l’impression que c’est comme ôter un pansement, il faut tirer d’un coup sec. J’inspire une nouvelle fois et je fais de même avec ma robe, la faisant passer au-dessus de ma tête. Heureusement j’ai pensé à enfiler un soutien-gorge cette fois, lorsque je me suis habillée tout à l'heure. Même si j’ai minci, ma poitrine n’est pas minuscule, je crois que je perds surtout des fesses en premier, mes jambes sont plus fines également mais j’ai quand même l’air moins fragile que lorsque nous sommes arrivés ici… En tout cas j’ose l'espérer. Je détesterais avoir l’air squelettique, mes omoplates saillent sans doute un peu trop mais je n’en suis pas au point de n’avoir que la peau sur les os. Peut-être parce que je m'étais vraiment bien remplumée avant que Logan ne nous attrape, ce qui fait que même en quinze jours je n’ai pas pu perdre de façon effarante non plus.

De la même façon qu’il a croisé les bras, je réalise que je suis cramponnée à la robe que je presse contre mon ventre, le cœur battant à tout rompre. Il me faut quelques secondes supplémentaires pour oser abandonner tout à fait le vêtement. Je croise les bras moi aussi, les joues rouges d’embarras, le regard empli de trouille. Je n’ose pas le regarder franchement, de peur de le mettre mal à l’aise. Baissant les yeux, je finis par souffler en désignant mes épaules. Les marques de bronzage s'arrêtent là… sur le ventre je crois que je suis aussi blanche qu’avant. Je me doute que ma tentative pour détendre l’atmosphère n’est pas très subtile, mais je fais de mon mieux ! Sur ma peau, toutes les traces ou presque ont disparu, il reste peut-être de très légères ombres à peine bleutées, vestiges d'hématomes qui ne tarderont pas à devenir complètement invisibles. Slavenko c’est différent, je le sais, j’ai senti sous mes doigts les cicatrices dont il semble avoir honte. J’ose enfin balayer son torse du regard en prenant soin de ne pas m’attarder sur un endroit en particulier pour ne pas l'effrayer.

Ce qui est fou, c’est que j’ai autant peur d’éveiller son désir que de ne pas l’éveiller du tout. J’ai peur parce que je sais que je ne sais pas si je pourrais lui donner ce dont il aurait envie, mais je suis aussi terriblement triste de constater que le lien charnel entre nous est mort. Même après mon kidnapping justement, j’avais envie de lui. Mais eux n’avaient pas abusé de moi, et les bras de Slavenko m’étaient alors un refuge qui n’avait rien d’effrayant. Au-delà de ça, je suis comme lui à présent, terriblement mal à l’aise avec mon propre corps, avec ce qu’on en a fait à mon insu. Il y a cette petite voix ridicule qui me souffle que si je le laisse me regarder, il devinera ce que j’ai vécu, et je ne veux pas qu’il le devine. Je suis loin de me douter que Logan lui a raconté les moindres détails de mon calvaire, j’essaie encore de me convaincre qu’il ne peut qu’imaginer sans réellement savoir ce qu’il s’est passé. Comment pourrais-je le regarder avec horreur ou dégoût quand je suis persuadée qu’il me regardera de la même façon ?

Comme il s’allonge, je l’imite timidement, tournée vers lui. Comme il m’assure qu’il n’a plus mal, je demande tout bas : Ca ne t’a pas fait mal quand je t’ai touché…? La culpabilité me ronge qu’il ait souffert par ma faute, et la peur de raviver ses blessures me noue le ventre. Je voudrais soulager sa peine mais pour l’avoir vécu je sais que rien n’efface jamais vraiment ces souvenirs-là. Je me souviens parfaitement de mon état d’esprit après le kidnapping, de la terreur permanente qui m’agitait, je me demande si ce sont les mêmes émotions qui le hantent aujourd’hui. Je fronce légèrement les sourcils en murmurant, baissant les yeux : Moi j’ai plus de… tout est parti… Et à lui faire face ainsi je me sens presque coupable de ne pas arborer les stigmates de mon passage entre les mains de Logan, comme si ma souffrance était moindre par rapport à la sienne. Et au fond c’est sûrement le cas, après tout Logan ne m’a rien fait qu’il ne m’avait pas déjà fait à l’époque du Red Manor. Mais cette fois c’était différent, je n’avais pas l’héroïne pour flouter la réalité, ses visites au manoir ne duraient jamais plus de quelques heures, et surtout je n’avais pas cette voix dans ma tête qui me hurlait que j’appartenais à un autre. Je crois que c’est ce qui me manque le plus aujourd’hui, le fait de ne plus avoir le sentiment de lui appartenir, comme si je n’étais plus digne d’être à lui.