Home sweet home - Slavina

Je hausse les épaules à sa question, je sais bien qu’il cherche seulement à meubler le silence mais je lui en suis reconnaissante. Je sais pas, ça devrait être moi pourtant, c’est moi qui mange sucré. Et puis t’as la peau plus dure que moi ! Ou alors je mange si peu en ce moment que je suis carrément anémiée et les moustiques le sentent ? Sa plaisanterie sur le jardinage me fait sourire et pourtant ce n’est pas si idiot que ça, en fait. Tu rigoles mais tu sais que j’y ai pensé ? Je voulais me renseigner pour faire pousser de la beuh, ça se revend vraiment bien dans le coin. Je n’ai pas l’intention de me mettre à en consommer régulièrement parce que j’ai trop peur de baisser ma garde, mais c’est une monnaie d'échange très pratique ! Cela dit par une telle chaleur je me demande comment ils font et quelles installations ils ont. Mais des cactus c’est sûrement plus raisonnable, et ça nous fait une haie naturelle comme ça… Il faut qu’on trouve quelles plantes poussent dans ce désert, mais ça “habillera” l’endroit… Et ça me fait penser aux plantes que je voulais faire pousser au Chalet, pour décorer, rendre notre cocon plus vivant… Une boule me noue la gorge et je chasse le souvenir de quelques inspirations profondes.

Une fois passée la peur et l'appréhension, son contact m’aide et m'apaise. Déjà je le sens aussi maladroit que moi, ce qui me rassure, mais en plus je sais bien que je ne crains rien dans ses bras. En plus je ne suis pas devenue insensible, loin de là, et quand il pose sa joue contre mon dos, je me sens fondre complètement, le cœur soudain oppressé par une bouffée de tendresse que je ne m'attendais pas à ressentir. Je ferme les yeux en me laissant aller contre lui, savourant cet instant qui me semble volé au temps et que je suis pourtant consciente d’avoir provoqué. J’attends un long moment avant de souffler tout bas : On va se coucher…? Comme il acquiesce, je me déprends de ses bras et on se lève pour aller dans la tente. Il y fait un peu plus chaud mais je suis tellement soulagée de dormir une fois de plus dans ses bras que ça n’a plus d’importance.

Je fronce les sourcils. De groupe sanguin ? Je sais plus quel groupe je suis… Pourtant ça a du être noté dans mon dossier médical vu les séjours que j’ai fait à l’hosto, pendant qu’on vivait encore à New-York mais même avant. On se renseignera, ça s'trouve y a des plantes qui repoussent les moustiques ! Si on trouve des plantes qui repoussent les araignées c’est encore mieux. Non parce que je connais très bien l'argument qui dit que les araignées, au moins, bouffent les moustiques. Alors d’une part, laissez-moi vous dire que je préfère me faire pomper le sang que d’avoir des mygales sous ma tente, et ensuite vu la taille des araignées qui vivent dans le coin, c’est pas des moustiques qu’elles mangent mais des coyotes !

Il me rejoint sous la tente et, heureusement, reviens me prendre dans ses bras. J'étais si proche de lui dehors que j’aurais été peinée qu’il cherche déjà à rompre le contact. Au fil des jours, j’ose me glisser un peu plus près de lui, contre son corps, nos gestes sont terriblement chastes mais ils deviennent progressivement plus câlins, ou plus tendres en tout cas. Ses doigts se nouent aux miens dans un geste qui accélère les battements de mon coeur. Le moindre contact, avec lui, m’a toujours fait un effet terrible, mais à présent c’est pire encore et il suffit qu’il me regarde pour que j'ai la sensation de me liquéfier sur place. D’ailleurs nos regards se croisent et la même bouffée d'émotion que tout à l'heure me noue le ventre quand il embrasse ma main. J’esquisse un sourire à peine perceptible, mais je sais qu’il est comme moi, à l'affût du moindre détail. Comme ma main est contre sa bouche, je la déplace doucement pour effleurer sa joue, comme je l’ai fait lorsqu'il dormait, sauf que cette fois mon regard est toujours dans le sien. Nous n’avons pas eu le moindre mot doux l’un pour l’autre depuis qu’on s’est retrouvés, pourtant mon amour pour lui n’a pas faibli un seul instant, et mon regard brille toujours de la même dévotion sans faille, peut-être plus puissante encore parce que j’ai cru l’avoir perdu à jamais. Après un moment, je lève le visage pour poser doucement mon front contre le sien, un soupir me soulevant la poitrine.

J’arque un sourcil, surprise qu’il connaisse ce genre de détails. Je ne doute pas qu’il ait eu l'information un jour mais le fait qu’il s’en souvienne m'étonne. Et toi, tu es quoi ? Je me sens coupable, n’est-ce pas le genre de choses que je devrais savoir, moi aussi ? La seule fois où il s’est retrouvé à l'hôpital, je n’ai pas eu mon mot à dire sur grand chose, le temps que j’arrive ils l’avaient déjà plongé dans un coma artificiel. Je ne sais pas comment j’aurais réagi, quelle décision j’aurais prise si on m'avait laissé le choix. D’autant qu'à l'époque, les médecins n’ont fait que me parler des risques pour que je ne me fasse pas de faux espoirs, pour ne pas avoir l’air de me promettre quoi que ce soit sans doute, et j'étais persuadée qu’il ne se réveillerait jamais. C'était la pire sensation au monde, celle de venir chaque jour près de son corps inanimé sans savoir si j’aurais l’occasion de croiser à nouveau son regard. L'idée de le perdre m’est insupportable. J’ai naïvement demandé à Logan de le laisser partir, après tout c’est moi qu’il voulait, pas lui, et c’est à ce moment qu’il m'a fait croire à sa mort. Ce que je n’avais pas pris en compte, c’est que la façon dont Slavenko l’a humilié en Louisiane lui a valu une haine presque aussi grande que celle qu’il me vouait déjà.

Depuis qu’on s’en est sortis, j’ai cette impression douloureuse qu’il ne veut plus vraiment de moi, que l’amour qu’il pouvait ressentir pour moi est mort durant sa captivité. Je n’arrive même pas à l'en blâmer tant je me sens coupable. Alors je prends chaque geste, même le plus infime, avec un soulagement immense. Et pourtant paradoxalement je n’ose pas espérer plus que ça, je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il m’embrasse par exemple, à tout moment au contraire je m’attends à ce qu’il me dise qu’on ne peut pas rester ensemble, que c’est trop douloureux. Les yeux clos, mon front toujours contre le sien, je me laisse aller à la somnolence. Moi aussi je meurs de chaud mais je ne quitterais ses bras pour rien au monde, ils m’ont trop manqué. Je crois que le sommeil me happe avant lui, mon inconscient n’a pas compris la leçon et j’ai toujours ce vicieux sentiment de sécurité quand il est près de moi.

Mon sommeil est agité, des cauchemars m’éveillent mais comme je ne dors pas très profondément je ne me lève pas dans un sursaut, ni dans un cri. J’ai les larmes aux yeux par moments mais comme Slavenko est toujours contre moi, je me niche un peu plus fort contre son torse et j’attends que les souvenirs désagréables -quel euphémisme- soient chassés pour me rendormir. Je dormais de toute façon déjà mal avant, je crois que plus jamais mon sommeil ne sera parfaitement serein. Mais je dors déjà beaucoup mieux que lorsque j'étais seule dans la tente, où le moindre bruissement de l’air dehors me faisait violemment sursauter. Slavenko a toujours eu ce don d’apaiser mes cauchemars, de rendre mes nuits plus douces, et ça n’a pas changé. Si je dors mal, je dors malgré tout toujours mieux avec lui, son odeur me berçant.

Quand j'ouvre les yeux au matin, les siens sont posés sur moi et mon regard s'éclaire en croisant le sien. Salut… Le réveil est doux, plus que je ne l’aurais cru et je m’autorise même un sourire, étrangement sereine ce matin, du moins autant que je puisse l'être dans ces circonstances. Je tends le cou pour déposer un baiser timide sur sa joue, à peine effleuré, et je m'écarte de ses bras brûlants. Je roule sur le dos et m'étire, sans faire attention pour une fois à mon tee-shirt qui remonte dans le mouvement, et j'étouffe même un bâillement. Oui, décidément, je dors bien mieux avec lui. Je crois qu’il a bien calculé son coup, parce que la tente ne chauffe pas autant qu’avant, j'en conclus qu’on est encore sous l’ombre de l’arbre, et ça change vraiment quelque chose ! Bien-sûr il fait chaud, mais je n’ai pas la sensation de suffoquer.

J’attends qu’il ait quitté le van pour aller m’y changer moi aussi, c’est bien plus pratique que la tente. Je n’ai pas trop le choix dans les tenues, j’enfile l’une de mes deux seules robes, noire, elle n’attirera pas trop l’attention. Elle me va trop grand mais j'espère trouver mieux aujourd'hui, c’est en partie pour ça qu’on va au Mexique ! Je mets mes éternelles sandales, malheureusement la seule paire de chaussures que je possède, et je noue mes cheveux en une tresse rapide qui ne me gênera pas et surtout devrait m'empêcher d’avoir trop chaud. Slavenko est déjà prêt, et on remballe nos affaires pour les dissimuler au mieux. C’est un peu angoissant de tout laisser comme ça sans savoir si on retrouvera quoi que ce soit en rentrant ce soir, mais d’un autre côté comme on a déjà tout perdu, je ne panique pas outre mesure. Quoiqu’on perde, ce ne sera jamais pire que ce qu’on a déjà perdu. La seule chose à laquelle je tienne réellement c’est Slavenko, et on part ensemble.

Dans le taxi, je me cale contre la portière en lui répondant. 18h, à priori pour l’instant ça va être 18h tout le temps. Je ne peux pas prévoir mon programme trop loin, mais sur une semaine environ je pense pouvoir dire que je ferais 18h-4h, sauf imprévu et heures supplémentaires nécessaires. En tout cas je ne ferais pas moins, c’est certain. Niland n’est pas loin et on y arrive rapidement, je laisse Slavenko payer le chauffeur et on se rend à l'arrêt de bus. J’ai laissé le slave gérer les horaires, je ne sais même pas quelle heure il est, j’ai de toute façon perdu la notion du temps depuis deux semaines. Il commence déjà à faire plus chaud et nous ne sommes pas seuls à attendre, même si ce n’est pas blindé de monde non plus. On se tient à l'écart des autres pour pouvoir parler sans être entendus. C’est quoi la première étape ? On essaie de trouver une voiture là-bas ou pas…? Je sais à quel point il angoisse, je le connais trop bien et je ne suis pas dupe, et j'essaie de l’impliquer pour qu’il prenne les décisions qui lui semblent le moins risquées.

La voiture, ça me semble le plus important, parce qu’on a vraiment besoin de beaucoup de choses et on ne pourra pas les ramener en bus, déjà parce que ça va être impossible à porter, ensuite parce que ça attirerait trop l’attention. Pour le matelas par contre je ne sais pas du tout comment on va se démerder mais ce n’est pas forcément ma priorité, si on parcourt déjà à trouver tout le reste on pourra toujours économiser pour acheter un matelas à Niland ou autre. Moi aussi, j’aimerais autant éviter le marché, malheureusement on ne va pas pouvoir forcer trente baraques différentes on ne peut compter que sur la chance en espérant y trouver ce dont on a besoin.

Dans le bus, je suis silencieuse aussi, pas somnolente pour autant parce que comme lui je suis très méfiante, pas assez sereine pour relâcher mon attention. Comme lui, je préférerais crever que de retomber entre les mains de Logan. C’est étrange parce qu’on est terriblement loin l’un de l’autre, et paradoxalement il est aussi le seul à comprendre parfaitement ce que je ressens. On partage la même douleur, les mêmes rêves brisés, les mêmes espoirs perdus et les mêmes regrets. On s'éloigne des autres voyageurs et je marche près de lui en demandant : Pour la voiture je te laisse gérer…? C’est plus son domaine que le mien et j’avoue que ça me paraît encore plus risqué que la maison, parce qu’il faudrait avoir la chance de trouver une bagnole qui ne sert pas de la journée pour que le propriétaire n'en signale le vol. Il faut qu’on ait le temps de la voler, de la remplir, et surtout de repasser la frontière avec ! J’avoue que ce point-là m’angoisse…

C’est plus facile pour lui, il connaît déjà bien les lieux puisqu’à ce que j’ai compris, c’est par ici qu’il vient chaque soir quand il part en mission. C’est un plus, il sait déjà par où passer. Je suis franchement surprise qu’on doive s’engager dans une bouche d'égout, je ne m’attendais pas à ça ! Je suis un peu réticente, mais j’essaie de ne pas le montrer et je le suis sans rechigner, visiblement il sait parfaitement où il nous emmène. D’ailleurs on arrive directement dans un parking qu’il semble connaître, et avec la même facilité que celle que j’ai à crocheter les serrures, il ouvre une bagnole dans laquelle on s’engouffre tous les deux. Je suis déjà un peu soulagée d’être dans l’habitacle, je me sens moins à découvert de cette façon, et je peux commencer à réfléchir à la suite.

Je suis moins sereine que d’habitude, les cambriolages à NY ou en Louisiane ne m’inquiétaient pas autant, là je sais qu’on risque la taule mais aussi de se faire repérer et, forcément, je ne suis pas tranquille. Il s’éloigne heureusement suffisamment pour qu’on trouve un coin avec des baraques qui ne sont pas toutes collées les unes aux autres, ce serait très con de se faire repérer par les voisins. Je décide de ne pas être trop ambitieuse sur ce coup-là, et je désigne une maison qui semble posée au milieu d’un grand terrain, il n’y a même pas de portail pour y accéder. Ca veut dire qu’ils n’auront pas pris la peine d’installer un système de sécurité. Je veux surtout des fringues et de la bouffe, le fric serait un extra. Celle-ci me paraît bien, t’en dis quoi ? Y a pas de voiture, les volets sont fermés… A priori, je dirais qu’il n’y a personne, et vu que tous les volets sont fermés, je ne crois pas qu’ils soient juste partis faire des courses. Encore qu’ici, ça peut être seulement pour se protéger de la chaleur, on ne sait jamais trop.

Il reste pour l’instant dans la voiture et je ne pose pas de questions. Voilà au moins une chose entre nous qui n’a pas changé, c’est que j’ai toujours une confiance aveugle en lui, je n’imagine pas un seul instant qu’il pourrait se barrer sans moi et me laisser ici, par exemple. Je sors donc la première et vérifie moi aussi précautionneusement qu’il n’y a personne avant de m’avancer pour grimper les quelques marches qui mènent à la porte d’entrée. J’avais raison, il n’y a pas de système d’alarme, et la serrure n’est pas bien compliquée à forcer. En soi, aucune serrure n’est compliquée à forcer une fois qu’on a compris comment ça fonctionnait. Je me sers d’une barrette pour les cheveux, ce qui est moins pratique que ce que j’utilise d’habitude, mais je parviens à la déverrouiller et à ouvrir la porte. Je jette prudemment un regard à l’intérieur, aucune lumière n’est allumée malgré la pénombre induite par les volets. Je n’entre pourtant pas de suite, je tape des pieds, cogne contre la porte pour voir si quelqu’un se manifeste… Et j’attends deux minutes pour faire signe à Slavenko qu’il peut me rejoindre.

Jusque là, rien de bien méchant, trouver une maison isolée dans ce coin c’est facile, rien à voir avec NY où toutes les baraques sont collées. Ensuite forcer une serrure. J’aurais pu galérer avec une alarme, mais pas avec une bête serrure ! Là où je nous trouve vraiment chanceux, c’est que l’intérieur semble bien moins bas-de-gamme que ce à quoi je m’attendais. Je ne dirais pas que c’est le summum du luxe non plus, mais ils n’ont l’air de manquer de rien ! L’entrée est joliment décorée, visiblement les murs ont été peints il n’y a pas longtemps, tout est en bon état… On voit directement le salon au mur duquel est accrochée un écran qui ne doit pas être donné, il y plein d’appareils électroniques… Bref, je ne pense pas que la famille qui vit ici -s’il s’agit d’une famille- soit considérée comme la classe moyenne au Mexique. A mon avis, ils sont un peu plus aisés que ça ! En revanche l’endroit me semble trop bien rangé et nettoyé pour qu’il y ait des enfants, à moins qu’ils aient juste fait le ménage avant de partir en vacances…

Comme c’est ce qui me manque le plus, et ce qui est le plus chiant à trouver à Slab City aussi, je vais directement dans la chambre pour essayer de trouver des vêtements. Et je crois bien que j’ai une chance phénoménale parce que la femme qui vit ici semble être gaulée comme moi, en tout cas elle est visiblement toute fine puisque ses fringues sont en XS, autant dire pile ma taille en ce moment ! Je trouve un grand sac dans lequel je fourre un maximum de choses, à commencer par les sous-vêtements parce que j’en manque cruellement, je vide littéralement son tiroir. Ensuite j’emporte tout les fringues qui ne me paraissent pas trop guindés, être bien habillée au campement ne me servirait pas à grand chose. Je prends les robes, les shorts, les hauts, et même un pull au cas où -dans un élan de folie je crois- ainsi qu’une nuisette que deux pyjamas qui m’éviteront de voler des tee-shirts à Slavenko. Je trouve même des maillots de bain, c’est Noël. En chaussures aussi, je trouve ma taille, à une pointure près, les siennes sont un chouilla plus grandes mais ce n’est pas très graves. Je prends une nouvelle paire de sandales et une paire de baskets pour pouvoir enfin marcher sans craindre les morsures de serpents. Slavenko a déjà fait la razzia dans la salle de bain, il a emporté tous les produits de beauté sans distinction, plus ou mois. Je m’occupe d’emporter toute la pharmacie, on fera le tri plus tard. Je leur vole aussi des draps, je ne désespère pas de nous trouver un matelas un jour et alors on sera bien contents de les avoir !

On ne traîne pas, vu ce qu’on trouve j’ai bon espoir qu’on n’ait pas besoin d’aller au marché et qu’on puisse rentrer directement au campement. On file dans la cuisine remplir des sacs de courses avec tout ce qui est non-périssable, des boîtes de conserve, des biscuits, des céréales, du café, les placards ne débordent pas et le frigo est vide mais on parvient à faire un peu de stock malgré tout. Je récupère de la vaisselle et je pique même la cafetière, on n’a pas d’électricité mais je pourrais la filer au Boyuyu ou autre, toujours penser aux monnaies d’échange ! J’aurais vraiment voulu trouver une autre bagnole ou des chaises de jardin, une table de pique-nique, ce genre de choses, malheureusement on fait chou blanc de ce côté-là, ils ont un grand terrain mais il est complètement inutilisé. Je me tourne vers Slavenko : J’pense qu’on va pouvoir y aller, qu’est-ce que t’en dis ? Il reste un peu de place dans la caisse ? On peut p’t’être caser deux chaises… Genre leurs chaises de salon, mais c’est lui qui a rempli le coffre du coup je ne sais pas où on en est.

Pendant qu’il fouille le garage, je fais un dernier tour pour m’assurer qu’on n’a rien oublié d’intéressant. Je me sens hyper chanceuse parce qu’on repart vraiment les bras chargés, mais je sais aussi que je ne m’autoriserais pas à me détendre tant qu’on ne sera pas arrivés sains et saufs au campement. Je trouve des bougies chauffe-plat que je récupère parce que ça peut toujours servir, et des paquets d’allumettes. Pas de briquet malheureusement, je crois d’ailleurs que Slavenko n’a pas trouvé de cigarettes non plus. Je crois qu’il a déjà récupéré les packs d’eau, comme l’eau n’est pas potable partout ici tout le monde en a chez soi, et je pense qu’on est de toute façon trop chargés pour que je continue à fouiller. Si je m’écoutais, je serais venue avec un camion de déménagement, on leur aurait piqué le lit et le canapé au passage. P’t’être même le frigo, on aurait réfléchi à comment le brancher plus tard !

Je le rejoins dans la voiture en refermant soigneusement la porte derrière moi, je vérifie une dernière fois, par paranoïa, qu’il n’y a pas de caméras -ce qui serait ridicule vu comme la maison est peu sécurisée- et on démarre enfin. Je souffle un peu, pas complètement détendue mais avec la satisfaction de ne pas revenir bredouille. C’est clair, c’est bizarre, j’pensais que le mur continuait tout du long… Faudra qu’on se débarrasse de la bagnole une fois qu’on aura déchargé. Je ne voudrais pas qu’on remonte jusqu’à nous, même si les flics ne s’aventurent que très rarement jusqu’à Slab City, je préfère prendre mes précautions. Je tourne la tête vers lui, esquisse un sourire prudent. J’ai trouvé des tonnes de fringues. De quoi me refaire une garde-robe complète. La pauvre, en revanche, n’aura plus rien en rentrant ! Non parce que je me doute qu’on ne va pas faire ça trop souvent, alors j’ai tout pris, ou presque, pour ne pas me trouver à manquer de nouveau d’ici le mois prochain. En plus, elle ne s’habille pas trop mal, j’aurais franchement pu tomber sur pire ! Y a même des trucs assez sexy, que j’ai pris par acquis de conscience plus que par réelle intention de les porter vu mon état d’esprit actuel…

J’arque un sourcil. Garder la caisse ? T’as pas peur qu’on ait des ennuis ? Cela dit je lui fais entièrement confiance et s’il estime que ça n’est pas trop dangereux, je l’écouterais. Parce que vu sa paranoïa en ce moment, je sais qu’il ne nous ferait pas prendre le moindre risque. Déjà qu’en temps normal, il est particulièrement prudent, c’est complètement décuplé depuis qu’on s’en est sortis, ce que je comprends parfaitement et à vrai dire j’en suis même rassurée. De toute façon j’ai toujours eu confiance en lui pour veiller sur moi, sur nous. Personne n'aurait pu prévoir l'attaque de Logan, et à nous deux il n’y avait aucun moyen qu’on y échappe. Je ne l’ai jamais tenu pour responsable de notre captivité, loin de là, la seule que je blâme c’est moi. Quoiqu'il en soit j’admets que garder la voiture serait particulièrement pratique, pour pouvoir se déplacer à nouveau par la suite. Il a sans doute raison, on n’ira pas chercher aux USA une voiture volée au Mexique, et encore moins à Slab City !

Ouais, j’ai même trouvé deux pyjamas j’aurais plus besoin de te voler tes tee-shirts. Une aubaine d’avoir trouvé des vêtements à ma taille, c’est fou. C’est bien cela dit que la chance se décide à nous sourire un peu, je crois qu’on n’aurait pas supporté une autre déception. On a besoin de lueurs d’espoir, surtout en ce moment. Pourquoi ça m’embêterait ? C'est une bonne chose, mieux vaut monter les palissades le plus vite possible. C’est ce qui dissuadera le plus les autres de venir nous piquer nos affaires. Je suis surprise quand même du respect qui règne au campement, les vols sont très rares. Je crois que c’est parce que tout le monde est vulnérable, et que tout le monde craint de se faire dévaliser. Et puis rares sont les slabbeurs qui ont de véritables objets de valeur. Je tends le bras vers l'arrière pour récupérer une bouteille d'eau que je lui tends, et je secoue la tête. Pour l'instant ça va, si on peut éviter de s’arrêter avant la frontière, c'est mieux.

Je hoche la tête sans insister plus que ça, je crois qu’il est mieux renseigné que moi sur le sujet. Dans tous les cas, il faut la ramener au campement pour décharger. Ça pourra aussi nous servir pour faire le tour de la ville, ou pour aller à Niland, et récupérer des palettes pour faire les palissades plus rapidement. Si Slavenko ne va pas bosser ce soir il pourra toujours s’en charger. Je ne suis pas vraiment déçue qu’il passe plusieurs jours à bosser, ça signifie pourtant qu’on va très peu se croiser les jours prochains mais en même temps en quinze jours j’ai eu le temps de m’habituer à ne plus le voir que très rarement, en coup de vent. J’avais déjà la sensation de ne pas lui manquer avant, à cause de sa façon de tout cloisonner, mais c’est encore pire aujourd'hui et je crois que peu à peu, je me fais une raison.

Je ne pense pas du tout qu’il tient sentimentalement à ses fringues. C’est seulement qu’il en a -ou en avait- très peu lui aussi et que du coup le fait que je lui en pique n'arrangeait rien. Là, non seulement il a trouvé des vêtements lui aussi, mais en plus je n’aurais plus besoin de lui emprunter quoi que ce soit, il ne sera plus obligé de laver ses affaires tous les jours et c’est quand même un sacré gain de temps. En revanche je crois que je serais terriblement triste s’il me disait que même le bracelet que je lui ai offert l’indiffère à présent. Moi je tiens toujours particulièrement à mes alliances et je suis infiniment soulagée que Logan ne me les ai pas enlevées, je crois qu’il s’en fichait. Mais à mes yeux, les alliances et le bracelet sont le symbole de ce qu’on a été. On a certes tout perdu, mais je ne peux pas encore me résoudre à accepter le fait que même notre mariage n’a plus de sens. Finalement c’est moi la plus ridiculement romantique des deux.

Une fois la frontière passée, je me détends perceptiblement, à tel point que j’ai même envie de venir poser ma tête contre son épaule comme je le faisais autrefois. Mais je m’abstiens, heureusement pour mon ego. Tu veux faire une pause ? Ou que je prenne le volant ?

Il s’occupe de tout le trajet et je me laisse aller, sereine parce qu’il est au volant et aussi parce qu'à présent nous sommes du bon côté de la frontière. Et je me détends vraiment complètement une fois qu’on arrive à Slab City. D’autant qu’en plus de n’avoir pas eu d’ennuis sur la route, on retrouve le van et la tente intacts. Je ne l’ai pas dit à Slavenko parce que je ne veux pas lui transmettre mes inquiétudes -il a déjà assez des siennes- mais j'ai eu peur qu’on ne profite de notre absence pour nous voler le van. Comme il le dit, c’est une fois qu’on aura mis les palissades que l’endroit sera vraiment perçu comme “propriété privée” et je n'étais pas forcément très sereine. Là, d’un coup, j’ai l’impression que c’est une excellente journée, mais j’ai aussi cette sensation de nouveau départ délicieuse. C’est l’occasion, peut-être, de sortir un peu du mode survie pure dans lequel on est plongés depuis qu’on a échappé à Logan.

Comme je meurs de chaud, j’accepte sa propose avec plaisir. J’vais aller faire un tour au canal, oui, ce sera mieux avant d’aller bosser. Je ne suis pas contre me baigner un moment ! Et puis il ne bosse pas ce soir contrairement à moi, alors j’ai moins de scrupules à le laisser s’occuper seul un moment. En plus j’ai un maillot de bain à inaugurer ! Je fouille coffre de la bagnole pour trouver l’un des sacs dans lesquels j’ai mis les fringues. Je dois foutre le bordel pour mettre la main sur le maillot, un truc que je n’aurais jamais acheté puisqu’il est bleu avec des fleurs blanches, mais très honnêtement c’est la dernière de mes préparations. Je file dans le van pour me changer, j’ai même récupéré une grande serviette de plage que j’enroule autour de moi pour ne pas me balader à moitié nue devant le slave, et je ressors. Tu me rejoins…?