Home sweet home - Slavina

Je ne réponds rien, je crois qu’il n’y a rien à répondre. Il a raison, je ne peux rien faire de plus. Je ne peux pas avancer à sa place, ni m’accrocher à sa place. Je ne peux que tenter d’impulser de nouveaux gestes vers lui, c’est ce que je m’efforce de faire depuis quelques jours. Pourtant j’ai voulu baisser les bras plusieurs fois, sans doute parce que ça m’épuise d’essayer d’être le moteur de notre relation mais surtout parce que chaque fois je suis terrifiée de voir à quel point il est hermétique. Il s’écarte de moi, mes mains abandonnent sa peau, les siennes quittent la mienne et mon ventre se serre douloureusement. Je reste allongée sur le flanc, sans cesser de le regarder bien que nos regards ne se croisent pas.

Ses mots me font froncer les sourcils, encore une fois je ne suis pas sûre de comprendre ce qu’il veut dire jusqu’à ce qu’il explicite un peu mieux. Mais quand il dit qu’il ne voit rien, je sens les larmes me monter aux yeux malgré tous mes efforts. Mes poings se crispent, je serre les mâchoires, la ligne de mes épaules se tend alors que j’essaie de contrôler la montée d’angoisse, de détresse, de tristesse qui est en train de m’envahir. Mais je t’aime… Et j’ai besoin de toi… Je balbutie, décomposée. C’est moi qui ai insisté pour qu’on aille au Mexique, c’est moi qui suis venue vers lui, qui l’ait touché la première, qui me suis remise à parler, c’est moi qui ai demandé à changer mes horaires pour qu’on puisse passer plus de temps ensemble. Tout ça c’est moi. Je fais de mon mieux mais c’est déjà tellement dur de ne pas seulement me laisser couler, surtout qu’il donne si peu ! Je ne sais pas quoi faire d’autre si ce n’est pas suffisant. Je suis désolée… Je pensais… Je pensais qu’on avait… Qu’on avait quand même un avenir ensemble… Je pensais que je faisais des efforts, qu’il faudrait du temps mais que ça finirait par payer, je pensais qu’il ressentait quelque chose, n’importe quoi. Je roule sur le dos à mon tour, parce que je sens que je commence à trembler, parce que je suis trop vulnérable, que j’ai brusquement envie d’abandonner, parce que soudain je ne sais plus pourquoi je lutte. S’il ne voit rien quand il me regarde, pourquoi est-il encore ici ? C’est la même question qui revient, finalement, quand bien même j’essaie de la chasser. Pourquoi est-ce qu’il est là ?

Comme il se redresse je fais de même, je ne peux pas rester allongée. Mais je ne viens pas près de lui, je reste assise en tailleur, face à lui, le regard embué de larmes et assombri par l’incompréhension. Je sens que je suis à deux doigts d’imploser, mes mains tremblent si fort que je dois planter mes ongles dans mes paumes pour les maîtriser. Il y a une autre émotion qui couve, douloureuse parce que presque étrangère tant ça fait longtemps que je ne l’ai pas ressentie, ou plutôt que je la refoule, c’est de la colère je crois. Heureusement pour l’heure elle ne prend pas le dessus sur le reste. Je ne sais pas je pensais… Je pensais juste qu’on serait ensemble… Qu’est-ce qu’il croit ? Que je suis en mesure d’imaginer, moi, qu’on va se construire un nouveau Chalet, qu’on va adopter un nouveau chien, faire comme si de rien était ? Il croit qu’il est le seul à être détruit par ces rêves brisés ? Que je suis suffisamment guérie pour imaginer un futur radieux, serein ? On aurait pu… Changer d’identité et… Finir par avoir de quoi se payer un appartement en ville… Après tout campement ou pas, Slab City est un endroit où il y a peu de chances qu’on nous retrouve. J’aurais fini par trouver un autre travail, on aurait… Je sais pas… Ses mots m’ont mis une telle claque dans la figure que je ne suis même plus capable de parler au futur.

Mais j’ai rien fait quand je suis arrivée à NY ! J’ai pris des cachetons et je me suis terrée comme un rat dans mon appartement pendant des mois, j’ai laissé personne me toucher, personne m’approcher, j’étais shootée constamment. J’ai pas continué j’ai seulement… J’attendais la fin. J’attendais que Tobias me retrouve, qu’il vienne m’achever ou que la drogue m’achève. C’est toi qui as fait le reste, qui m’a donné envie d’avoir mieux, qui m’a donné envie d’avoir un chez moi, de fonder une famille, qui m’a fait croire que je méritais mieux que ça. Je n’aurais jamais pensé à faire autre chose que barmaid si ça n’avait été pour lui, je n’aurais jamais cherché à quitter cet appartement, j’aurais sans doute fini à la rue faute de pouvoir payer le loyer. C’était toi, ça n’a toujours été que toi, j’ai jamais rien voulu d’autre, eu besoin de rien d’autre… Et je pensais… J’ai cru qu’on surmonterait ça ensemble, que je te suffirais. Imaginez à quel point je me sens stupide à présent. J’ai les yeux tellement embués à force de tenter de retenir mes larmes que je n’y vois plus rien, j’ai la sensation d’être sur le point de suffoquer et je finis par me lever en chancelant à moitié tant je tremble. J’ai besoin… Il faut que je sorte. Dans ma précipitation je ne pense même pas à enfiler des chaussures, je me contente d’ouvrir la porte de la caravane pour m’engouffrer à l’extérieur.

Les larmes m’échappent dès que j’ai passé la porte, comme si mon corps avait assimilé l’interdiction de craquer devant Slavenko. Encore que vu la précipitation avec laquelle je sors, je crois qu’il a très bien compris dans quel état j’étais. Je me fais mal aux pieds sur le sable et les cailloux qui entourent notre campement et je n’ai pas vraiment le temps de m’éloigner que je l’entends qui m’appelle. Le son de sa voix me fige mais je ne me tourne pas tout de suite. Je n’ai jamais eu l’intention de m’enfuir, j’avais seulement besoin de m’éloigner là, maintenant, tout de suite, pas de ne plus revenir. J’essuie fébrilement les larmes sur mes joues, mes mains tremblant toujours, et je finis par pivoter pour lui faire face, peinant quand même à soutenir son regard.

Je croise les bras sur ma poitrine dans un geste futile de protection et je hausse les épaules en reniflant. Je sais pas, tu ne me dis rien, comment veux-tu que je le sache ? Il ne s’est peut-être pas muré dans le silence mais il est là sans l’être depuis deux semaines, distant à un point que je n’ai jamais connu, enfermé dans une bulle d’indifférence que je ne parviens pas à percer. Je ne parviens pas à m’arrêter de pleurer mais je crois de toute façon que je n’ai plus aucune chance de prétendre que tout va bien. Je ne sais pas quoi faire de plus, je suis même pas sûre de pouvoir faire plus que ça… Et je crois pas que j’arriverais à me battre pour… pour nous si t’as déjà baissé les bras. J’ai cru que j’arriverais à être le moteur d’un nouveau départ mais force est de constater que je n’ai pas les épaules pour le faire toute seule. Je sais même pas pourquoi t’es encore là, pourquoi tu restes si tu visualises aucun avenir, si tu veux plus de nous, de moi… Si tu restes par habitude j’ai besoin de plus que ça et si… Si c’est par obligation alors tu peux partir parce que tu me dois rien. Ma voix tremble, je crois que j’essaie de le faire fuir et pourtant lorsque je le réalise, la peur revient, enflant dans ma poitrine. Je baisse la tête, décroise les bras pour presser mes mains contre mes yeux, comme si ça pouvait enrayer les sanglots. Je relève le visage brusquement, sourcils froncés, les joues trempées de larmes et je secoue la tête en balbutiant, la colère m’ayant soudain désertée : Non… Non, pars pas, s’il te plaît…

Dieu merci, il parcourt la distance qui nous sépare pour me serrer contre lui, je crois que je n’aurais pas supporté son stoïcisme, pas maintenant, pas alors que je suis en train de m’effondrer devant lui. Mes bras ne restent pas ballants longtemps, rapidement ils s’enroulent autour de sa taille et je l’étreins avec force, enfouissant mon visage contre son torse alors qu’il m’assure qu’il ne s’en ira pas. Si je ne comprends pas forcément tout ce que ses paroles signifient, l’essentiel reste d’entendre qu’il ne veux pas être sans moi. C’est la seule chose dont j’ai besoin d’être sûre, je ne veux pas de sa pitié, je ne veux pas qu’il reste parce qu’il a peur que je me foute en l’air -même si je le ferais- ou parce qu’il pense que c’est son devoir de me protéger. Je me fiche que ce soit difficile, que ce soit douloureux et qu’il soit blessé, j’ai besoin qu’il veuille de moi, je ne demande que ça.

Je secoue la tête à nouveau, horrifiée par ses mots parce qu’il a toujours été un résilient, n’a-t-il pas cherché à se reconstruire lorsque je suis partie ? Pourtant cette fois c’est différent, je sais bien au fond de moi que c’est différent. Je lève le nez vers lui, essuie les larmes sur mes joues avant de prendre son visage entre mes mains humides. Je ne vais nulle part sans toi, j’irais jamais nulle part sans toi… Je refuse d’être où tu n’es pas. Je prétends que je le laisserais partir ou que je m’en irais s’il me le demandait, jamais je n’ai sous-entendu que je continuerais à vivre sans lui. Au moins nous sommes sur la même longueur d’ondes à ce sujet ! Je ravale douloureusement mes sanglots, un regain d’espoir naissant de ses mots, de ses assertions. Je ferais mieux que ça… Je ne sais pas encore comment… Laisse-moi du temps pour trouver comment, mais je te promets que je ferais mieux que ça… On aura un avenir ensemble, si tu le veux aussi. Si je sais qu’il ne se contente pas d’errer dans mon sillage alors qu’il voudrait être ailleurs, je peux trouver la force de construire pour nous deux. Je dois en être capable, ce n’est pas comme si j’avais le choix.

J’acquiesce à sa demande parce que je ne suis pas mécontente de retourner à l’intérieur, je ne serais de toute façon pas restée dehors très longtemps… Le temps de pleurer toutes les larmes de mon corps et de me calmer suffisamment pour revenir près de lui comme si de rien était. Une fois de plus, je me fais la réflexion que la caravane est tout de même bien plus confortable que la tente, dans laquelle on étouffait trop rapidement. Le fait qu’il m’invite à venir contre lui une fois qu’on a regagné les couvertures me réchauffe le coeur, m’aide à sécher mes larmes et je me glisse entre ses jambes, mon dos contre son torse, mon corps appuyé sur le sien. Retrouver son contact me fait du bien, on se réapprivoise tout doucement depuis trois jours et ça n’a pas l’air de grand chose mais à mes yeux c’est plus important que tout le reste, je crois bien. Avec lui le réconfort a toujours été très physique, je ne pourrais pas me contenter de mots pour aller mieux, j’ai besoin qu’il m’enlace, qu’il me serre contre lui, j’ai besoin de sa douceur, de sa tendresse.

Ses caresses sur mes bras, dans mes cheveux, ne me font pas peur comme hier soir lorsque ses doigts glissaient sur mes cuisses. A cet instant, je les trouve au contraire infiniment rassurantes. Sa requête me fait légèrement froncer les sourcils, j’aimerais lui répondre qu’il n’a jamais besoin de me demander pour quoi que ce soit, mais on sait bien tous les deux que c’est faux. Deux semaines, il nous a fallu deux semaines pour nous embrasser. Après ce que Logan m’a fait je suis surprise qu’il en ait encore envie, et je suis étonnée d’en avoir envie moi-même. Je me tourne doucement, changeant de position. Le “lit” est calé dans l’angle entre le mur de la caravane, et un mur qui doit délimiter les toilettes ou un placard, je n’ai pas eu le temps de regarder. Quoiqu’il en soit c’est contre ce dernier que je m’appuie, passant timidement et maladroitement mes jambes par dessus les siennes pour rester dans ses bras, les fesses posées sur les couvertures. La réponse à sa question se passe de mots et je me penche vers lui, tendant la main pour la glisser contre son cou, mes lèvres se pressant doucement contre les siennes.

Au fil des heures, des jours, je sens bien que j’apprivoise les sensations retrouvées de nos gestes tendres. C’est étrange malgré tout de devoir réapprivoiser des choses qui ont toujours été d’un naturel confondant entre nous. Le sexe est venu avant les sentiments, nos gestes ont toujours été très possessifs, brutals souvent. Aujourd’hui il nous faut toutes les précautions du monde pour oser nous embrasser ou prendre la main de l’autre. Je noue mes doigts aux siens, les yeux clos, ma bouche fondant contre la sienne. La caresse de sa langue me fait tressaillir, de surprise d’abord et de désir ensuite, quand nos langues se nouent en un baiser qui accélère dangereusement les battements de mon coeur.

J’ai le regard brillant, les mains légèrement moites lorsqu’il s’écarte de moi, ses doigts effleurant la lisière de mon visage. Je cherche dans son regard l’assurance que je n’ai pas de raison d’avoir peur, et malgré tout l’hésitation que je lis dans ses yeux me rassure, parce que je me sens moins seule dans cette situation étrange. Sa bouche revient chercher la mienne et j’étouffe un soupir contre sa langue, mon souffle se perdant dans le sien. Une douce chaleur, qui ne tient pas du désir sexuel, se déploie dans mon ventre, sous ma peau, enfle dans ma poitrine et mes doigts se crispent légèrement sur sa nuque. Mon pouce revient se poser sur sa joue et, après quelques secondes, je me tends vers lui, rapprochant mon corps du sien, réclamant ses bras et sa chaleur un peu plus fort. Ma poitrine épouse son torse mais comme nous sommes habillés tous les deux, la sensation est moins troublante, plus facile à gérer pour moi et je ne m’écarte pas.

Nos baisers sensuels sont suivis de baisers papillons qui me réchauffent de l’intérieur, et je savoure la sensation de le retrouver un peu, enfin. C’est pour ça que je recherchais son contact, que j’ai tenté de vaincre mes peurs pour aller vers lui. Je savais pertinemment qu’on serait incapables de se parler, d’ailleurs les mots échangés ce soir ne sont sortis que parce qu’un lien est en train de se renouer entre nous. D’ordinaire c’est le sexe qui délie nos langues, il nous faut plusieurs étreintes, dont certaines brutales généralement, pour oser enfin se dire ce qui nous pèse. Mais cette fois je sais qu’on ne pourra pas avoir ce secours là, alors il nous faut trouver autre chose. Notre relation est trop charnelle pour qu’on y parvienne sans s’autoriser à se toucher, je ne parle même pas de sexe, mais de contact physique.

Il s’écarte légèrement de moi et je respire un peu mieux, avant que sa requête ne me paralyse. Il ne m’a jamais parlé de ce qu’il a vécu, pourtant à la façon qu’il a de se cacher de moi depuis que nous sommes sortis, je devine que sa peau doit être marquée. Lui qui a toujours été à la limite de l’exhibitionnisme avec moi dort quand même tout habillé, avec ses rangers en prime, depuis deux semaines. J’ai peur de découvrir ses blessures, et j’ai peur aussi qu’il regrette de m’avoir demandé de le toucher. Je me redresse légèrement, avec la sensation étrange que les rôles sont soudain inversés parce que pour une fois c’est à moi d’apprivoiser sa peau. Je m’écarte de lui pour changer de position, et je m’agenouille entre ses jambes écartées. Doucement, je me penche pour venir chercher sa bouche une nouvelle fois, dans un baiser plus doux, pour ne pas l’effaroucher.

J’attends de me maîtriser, parce que je ne veux pas qu’il me sente trembler, et quand je me contrôle plus ou moins, je glisse mes doigts sous son tee-shirt collant de sueur. Mon coeur bat la chamade, sans doute aussi fort que le sien, et je remonte mes mains lentement le long de son torse. Sous mes doigts, je sens la peau enflée par endroits, stigmates des mutilations subies et que je ne peux qu’imaginer parce que je ne sais rien. Ma gorge est douloureusement nouée mais je ne pleure pas, et c’est tant mieux je crois parce que je le connais, et il ne supporterait pas de lire la pitié dans mon regard, je le sais. Je ne me souviens que trop bien de la détresse dans laquelle sa réaction m’avait plongée, lorsqu’il m’a vue nue pour la première fois après mon kidnapping. J’ai cru mourir sous son regard horrifié, et je prends sur moi pour ne pas lui infliger la même chose. Délicatement, j’effleure une cicatrice sur son flanc, intérieurement dévastée de n’avoir pas su lui éviter ça. Ma voix est basse, nouée quand je demande : Je voudrais te voir…

Je le sens qui se crispe sous mes doigts, tout son corps se tendant brusquement et je regrette aussitôt d’avoir demandé. Je laisse mes mains sous son tee-shirt lorsqu’il l’agrippe mais elles s’immobilisent et je recule mon visage pour secouer la tête doucement. Excuse-moi, je suis désolée… Je n’avais pas l’intention de l’effrayer et je ne comprends que trop bien ses réticences quand j’ai moi-même tant de mal à me montrer. Chaque fois que j’ai eu à me déshabiller, je l’ai fait très rapidement et il détournait le regard.

Je retire l’une de mes mains pour venir encadrer son visage tout doucement, cherchant son regard pour qu’il voit que je ne tremble pas, que je ne cille pas. Je comprends, je suis désolée… Je hais l'idée qu’il puisse me craindre ou ne pas avoir confiance en moi, mais je sais qu’il va me falloir de la patience et du temps pour le réapprivoiser. Je ne peux pas me vexer quand je sais que j’aurais réagi peut-être plus violemment encore s’il avait demandé la même chose. Mon regard accroche le sien et je souffle tout bas, d’une voix contrainte et rauque : Moja dusa… Ça fait des semaines que je ne l’ai pas appelé comme ça, mais c’est pourtant toujours ce qu’il est à mes yeux, ça n’a pas changé, jamais. Prudemment, je reviens poser mon front contre le sien. Mes doigts se remettent en mouvement sur son ventre, caressant tout doucement une parcelle de peau qui n’est pas blessée, en tout cas je ne le sens pas sous ma main.

Je suis soulagée qu’il ne repousse pas mes mains, qu’il accepte même de lâcher son tee-shirt pour me laisser toucher sa peau encore un peu. Malgré les cicatrices, dont j’essaie de faire abstraction pour ne pas le mettre mal à l’aise, je suis soulagée de sentir de nouveau sa chaleur sous mes doigts. Je parcours sa peau tout doucement, slalomant entre les marques que je devine, essayant de me remémorer leur emplacement pour pouvoir le toucher sans le blesser. Je me fais la promesse de les apprivoiser, mais j’irais à son rythme, je ne veux pas le brusquer ou le mettre mal à l’aise. Je ne supporterais pas qu’il le fasse avec moi.

Il finit par m’attirer de nouveau contre lui et je libère son torse de la caresse de mes mains pour venir chercher les siennes et y nouer mes doigts. Je me cale dans ses bras, avec ce sentiment délicieux d’être à ma place. Son aveu me brise le coeur, je sens que je me mets à trembler encore en réalisant une fois de plus que j’aurais pu ne jamais le revoir. Mes yeux s’embuent à nouveau, je serre les dents en ramenant ses bras plus fort autour de moi, me faisant un cocon de son corps avec bien moins d’hésitation que je ne l’aurais fait quelques heures plus tôt. Il m’a dit… Il m’a fait croire que tu étais mort… Je ne sais pas s’il a fait la même chose avec lui, je ne pose pas la question. Je sens la culpabilité dans sa voix, à son intonation que je ne connais que trop bien, et c’est sans doute pourquoi je finis par murmurer : Moi aussi, j’aurais voulu mourir… Mais ça ne doit pas le surprendre, j’ai toujours eu ce genre de tendances, contrairement à lui. J’ai envie de m’excuser, je sens que je dois lui demander pardon pour tout ça, mais je crois qu’il ne comprendrait pas et surtout les mots me semblent tellement dérisoires face à la douleur que je préfère les taire. Je finis par me replacer pour qu’on s’allonge, mais je reste dans ses bras, en venant doucement poser ma tête sur son torse. Je te laisserais pas, Slavo… Tu seras jamais seul. Et j’espère, naïvement peut-être, qu’avec le temps, il finira par un jour retrouver l’envie de vivre, avec moi.

Il m’appelle srce et mon coeur s’affole comme un oiseau dans sa cage. Mon regard s’éclaire, et je hoche la tête dans un sourire, un vrai sourire, lorsqu’il suggère qu’on dorme. Je suis épuisée par cette journée, par mon service et par les émotions qui m’ont heurtée de plein fouet ce soir. Je le laisse se caler entre les couvertures, et moi je viens me caler contre lui. A présent que j’ai retrouvé ses bras, je ne veux plus m’en éloigner. Je lui tourne le dos mais je garde ma main dans la sienne pour que son bras reste autour de moi, et je me serre contre son corps autant que la position me le permet. Et pour la première fois depuis que nous sommes sortis, j’ai réellement le sentiment qu’il m’aime, qu’il tient à moi. Vous n’imaginez pas à quel point ça me fait du bien, à quel point ça m’avait manqué.

Je m’endors rapidement, trop épuisée pour lutter, et le fait qu’il fasse bien moins chaud que sous la tente m’aide à me détendre. Comme toujours, je finis par m’éveiller, le visage baigné de larmes induites par les souvenirs de ces trois jours de torture. Mais cette fois je ne suis pas seule, et le corps de Slavenko contre le mien me ramène à la réalité. Je me tourne pour enfouir mon visage contre son tee-shirt, en quête d’un réconfort silencieux, et pour une fois les larmes ne se muent pas en crise d’angoisse. Au contraire, je me rendors même contre lui, enivrée de son odeur, de ses bras qui m’ont tant manqué. Je ne sais pas combien d’heures plus tard, mais la chaleur finit par nous réveiller malgré tout, et le soleil filtre trop fort à travers les draps tendus pour qu’on ne le voit pas. Je grogne de désapprobation, enroule mon bras autour de sa taille pour ramener le slave contre moi.

Il se serre contre moi en un geste qui m’emplit de bien-être, jusqu’à ce que sa main glisse sous mon pyjama. Je sens chaque fibre de mon être se crisper brusquement, une vague d’angoisse terrible se déployant dans ma poitrine. Les cauchemars de la nuit ne m’aident pas du tout à relativiser et je suis terrorisée à l’idée qu’il tente quelque chose. Je cherche son contact avidement mais je ne supporterais pas ce genre de contact là. En tout cas pas comme ça, pas maintenant. La seule chose qui m’empêche de paniquer, c’est le fait qu’il retire sa main brusquement en s’éveillant, prenant visiblement conscience de son geste. Je crois que je m’écarterais de lui s’il ne revenait pas me prendre dans ses bras aussitôt pour me ramener contre son corps. Je profite qu’il ait le visage caché contre mon cou pour essayer de reprendre mes esprits, même si mon coeur bat la chamade. Les yeux clos, j’essaie de restituer l’endroit où je me trouve, d’assimiler le fait que ce sont les bras de Slavenko autour de moi et non pas ceux de Logan, je hume son odeur pour chasser celle qui hante mes cauchemars, et peu à peu les mon rythme cardiaque s’apaise.

Mon regard est sans doute encore un peu angoissé quand je croise le sien, mais je m’efforce de ne pas m’écarter de lui. D’ailleurs je hoche doucement la tête en répondant : Oui, ça me dit… Mais pas tout de suite… Reste encore un peu. Je reviens m’enfouir contre lui, mon front contre son torse. J’ai encore besoin de quelques minutes pour chasser la peur qui m’a envahie et j’ai peur que s’il part tout de suite, j’ai l’instinct de fuir son contact par la suite. En plus j’imagine qu’il a dû me sentir me crisper contre lui et j’ai peur qu’il m’en veuille de ces réactions.

Nichée entre ses bras, je prends le temps de retrouver le contact avec la réalité, et de me rassurer aussi. Je ne veux pas avoir peur de lui, je ne veux pas l’assimiler à Logan. Il me faut quelques instants pour me détendre mais ses caresses chastes m’aident beaucoup et je finis par être en mesure de lever les yeux vers lui, les traits de mon visage apparaissant plus apaisés. C’est vrai oui, on est bien là… Je pense que c’est parce que le van est juste sous l’arbre, donc on a un peu d’ombre -on en aura encore plus quand il sera plus touffu- mais surtout la tente fait étuve alors que la caravane est quand même aérée. Il fait chaud, bien-sûr, mais en comparaison de ce à quoi nous sommes habitués, je me sens presque bien, je crois même que je pourrais traîner au lit alors que sous la tente, c’était juste inenvisageable.

On a du café, y en avait dans les placards de la baraque. Il faut juste… fouiller les sacs pour le retrouver. Tout traîne encore en vrac dans le coffre de la voiture mais je pense qu’on va profiter de cette journée pour vider la bagnole. On a récupéré pas mal d’affaires mais le rangement devrait aller vite, je pense. Je finis par le relâcher pour rouler sur le dos et m’étirer en bâillant. L’espace d’un instant, je m’attends à ce que Tigar bondisse sur les couvertures pour venir ronronner contre mon ventre. Le souvenir douloureux me heurte et j’ai besoin de quelques secondes pour le chasser. Je lève le nez vers Slavenko, papillonne des cils et demande dans une moue enfantine : J’ai droit à un petit déjeuner au lit ?

Son regard s’éclaire sans que je parvienne à dire pourquoi, mais c’est suffisant pour me faire sourire. Et comme il accepte d’aller nous chercher du café, et de m’apporter le petit-déjeuner au lit, je me laisse retomber en arrière dans les couvertures qui me semblent terriblement moelleuses. Je le suis du regard pendant qu’il s’habille et je roule sur le ventre lorsqu’il quitte la caravane, m’abandonnant pour une petite demie-heure au moins. J’enfouis mon visage dans l’oreiller, et j’essaie de toutes mes forces de m’accrocher à la sensation de bien-être que je ressens ce matin, de ne pas me laisser parasiter par des pensées délétères ou par l’angoisse qui couve toujours, jamais bien loin. Je pourrais somnoler mais comme je suis seule dans le van, je ne me laisse pas vraiment aller, et je cligne des yeux pour m’éveiller tout à fait, légèrement sur mes gardes malgré tout.

Je me redresse quand la porte s’ouvre à nouveau, un sourire illuminant mes traits, et je m’adosse au mur en croisant les jambes. Mmh hvala. Il ne parle plus serbe, mais je ne désespère pas qu’il s’y remette, j’ai toujours adoré l’entendre parler sa langue natale, encore plus lorsqu’il me souffle des mots d’amour. Je récupère la tasse fumante, l’odeur délicieuse du café m’éveillant un peu plus. Ah oui, c’est sûr que ça va être compliqué d’aller au bar avec mes horaires… On verra comment on s’organise, tu sais que j’ai droit à des jours de repos, je les ai encore jamais demandés mais… Mais je ne suis pas vraiment censée bosser 7j/7, encore que ça ne semble pas poser de problèmes à Queenie. J’avale une gorgée de café, qui me brûle la langue, et je demande : Quand est-ce que tu retournes à la frontière ?